Abraxasdabra !
A Noisy-le-Grand, dans le quartier du Mont d’Est, les Espaces d’Abraxas imaginés par Ricardo Bofill intéressent historiens et urbanistes. L’une d’elles, Anne Kockelkorn en raconte la genèse. L’occasion de rendre hommage à l’architecte espagnol récemment décédé.
Terry Gilliam y a tourné son film culte Brazil. Plus récemment le quatrième opus de la saga Hunger games l’a pris pour décor. Construits entre 1978 et 1983, l’ensemble abrite pas moins de 600 logements sur 18 étages et des dizaines de cages d’escalier. Abraxas qui partage la même origine étymologique que la formule magique fascine autant les réalisateurs que les historiens. « C’est une des premières œuvres en France de Ricardo Bofill, raconte Anne Kockelkorn, doctorante en histoire de l’architecture à l’Ecole polytechnique de Zurich. Les planificateurs de Saint-Quentin-en Yvelines et Marne-la-Vallée se disaient à l’époque qu’il fallait proposer quelque chose à ce Catalan qu’on avait appelé pour participer à la construction des villes nouvelles en France en 1971 et qui n’avait toujours rien construit depuis sept ans… »
Abraxas devient alors le projet auquel il s’accroche contre vents et marées. « C’était une œuvre décisive pour lui, pour sa carrière. » ajoute Anne. L’ensemble architectural bénéficie d’ailleurs d’une exposition médiatique avant même sa construction lors de la première Biennale d’architecture de Venise en 1980 où Ricardo Bofill est invité au même titre que Rem Koolhaas ou Christian de Portzamparc.
Coincé entre un parking et une autoroute, l’espace laissé à l’architecte pour Abraxas est forcément contraint, mais peu importe ! Il ne mégote pas sur les colonnes, pilastres, frontons, corniches et balustrades. Les codes classiques de l’Architecture avec un grand A réalisés grâce à des modules de béton préfabriqués signent son style qu’on retrouvera à Montpellier avec Antigone.
« Au début des années 1970, il était prévu de construire des bureaux à cet endroit. Mais avec la crise économique les investisseurs privés ne viendront pas. A la place, un ensemble mixte, mêlant logements sociaux et logements de standing verra le jour. Les fonds publics permirent de couvrir les risques financiers, » explique Anne. Ricardo Bofill en fera une œuvre surréaliste tridimensionnelle, un palais pour les gens. L’architecte catalan a été l’un des premiers architectes à utiliser le « béton architectonique » de manière aussi esthétisée, figurative et aboutie. Un très grand savoir-faire au service d’un geste architectural et d’une idéologie : élever l’homme simple en lui construisant des contre-mondes imaginaires pour le sortir de la banalité de son quotidien.
« Il était plutôt en faveur des gens normaux, des employés, des travailleurs. Pour lui c’était très important de leur proposer des environnements urbains de qualité. Jusqu’au milieu des années 1970 l’idée de Ricardo Bofill était de changer la société, de changer les gens, de changer leur quotidien en induisant des expériences de choc, » explique Anne qui en 2012, y habite pendant six mois pour les besoins de ses études. Un moment très intense où elle se lie d’amitié avec des habitants et des gardiens d’immeuble. « Vivre au Palacio a changé mon regard. Alors même que cet immeuble peut susciter des émotions ambivalentes où terreur et joie cohabitent, j’ai constaté en interviewant les habitants de la première génération qu’ils en ont presque tous une image positive. Ils aiment cette architecture, ce monde hors du commun, même si leur vécu au quotidien y est souvent difficile. »
Une œuvre qui plaît aussi à l’architecte, suffisamment pour envisager d’y habiter. « En 1982, Ricardo Bofill songea même à acheter l’un de ces appartements. Une anecdote qui révèle au fond qu’il se voyait bien y vivre lui-même… ».
Crédit Photos Henri Da Costa - Ville de Noisy-le-Grand.
Nota bene : Le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis organise régulièrement des visites guidées à Abraxas comme ici en 2015 avec Benoit Pouvreau, chargé d’inventorier le patrimoine contemporain.
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