A la Briche foraine, l’imagination au pouvoir...
Pour sa cinquième édition, le 22, 23 et 24 juin derniers, la Briche foraine reprenait place sur le lieu où elle est née, à Saint-Denis. Des centaines de personnes sont venues admirer le savoir-faire technique, poétique et humoristique des « brichoux ».
Ici, pas de limite au délire. Ce troisième week-end du mois de juin, les hangars de la Briche, nichés au fin fond d’une zone industrielle de Saint-Denis, en bordure de Seine, se transforment en royaume de la loufoquerie. Organisateurs ou participants, tout le monde finit le visage peinturluré, et scintillant de mille paillettes. « Au début, nous participions aux portes ouvertes des ateliers d’artistes de Saint-Denis. Puis on s’est dit : on ferme les hangars, et on fabrique », explique Jojo, la trentaine, qui travaille le métal. Le bonheur de refaire une Briche foraine sur leur propre lieu est sur toutes les lèvres. « Les dernières années, nous avons dû faire la fête sur des pelouses de la ville, entre des autoroutes ou au bord du canal. Transformer notre lieu de travail en lieu de fête est un vrai plaisir : nous avons tous nos outils à proximité », poursuit la ferronnière.
En surveillant d’un œil le babyflotte- un babyfoot dont les joueurs ont des queues de sirène agitées dans une mini-piscine- elle bavarde avec sa copine/collègue Paulci. Elles comptent parmi les quatre-vingt artisans et artistes qui travaillent à l’année dans cet ancien « casse-fonte » - atelier de ferrailleurs, reconverti en ateliers dans les années 90. La jeune génération est plus particulièrement à l’initiative de cette parenthèse enchantée. « Nous avons des métiers qui peuvent parfois être solitaires, et où nous sommes souvent restreintes à de la pure exécution. La préparation de la fête permet aux brichoux de travailler ensemble, en totale autogestion. Pour nous, la Briche est un espace de création et de liberté. Pendant trois semaines, c’est la colonie de vacances », expliquent les naïades aux boucles d’oreilles en coquillage.
En maillot de bain, mini-short et diadème de pompons, elles sont allées, le temps de leur pause, se baigner dans les thermes et le sauna installés juste à côté. Ce motif aquatique se retrouve avec la fontaine centrale de notre fête foraine sobrement baptisée : « Ode à la moule ». De ses six seins jaillissent des jets irréguliers qui viennent caresser la nuque des paresseux installés sur ses rebords. A minuit, le samedi soir, le mollusque qui coiffe ce corps monstrueux s’est ouvert pour exhiber les milles miroirs qui ornent son intérieur.
La thématique de l’année ? « La mort du Croult », le filet d’eau qui coule en contrebas de la Briche. Dans les allées, des pleureuses entonnent des polyphonies aux sonorités slaves en signe de recueillement. La mort et sa faux se baladent, croisant parfois Saint-Denis lui-même, reconnaissable à sa tête, qu’il porte dans ses bras. On peut faire des offrandes à « La Chapelle Kroult du grand conduit », en lançant des balles dans les trous découpés dans le grand dragon chinois peint sur un mur du hangar.
Soudain, bousculade. Un homme en costume blanc crème fend la foule à toute berzingue avec un caddie dont dépasse un cercueil. Il s’agit de Michel-Ange Titane, « dit Mickey », qui, raconte-t-il très en verve, a monté sa start-up « Morbiflex » avec son cousin Norbert. Son objet ? « Rendre des services nécro-spirituels », détaille sa carte de visite, qui précise : « Communication sensorielle, gestion de patrimoine sensible, thanatopraxie déléguée, linceuls chic et choc, résolution de la question de l’être, médiation du Grand Soi et du Petit Moi, séminaires d’outre-tombe, totémisation pratique ».
Nous aurons le droit à une démonstration de cette dernière activité. Suivant Michel-Ange dans une cave de la Briche, il propose aux six participants de rentrer en contact avec l’animal-totem de l’un d’entre nous. Grâce à l’intercession d’un chaman très expressif, nous avons eu l’occasion de communiquer avec le patronus d’Erica, un « raton-laveur blender ». Dans l’échoppe voisine, on peut acquérir quelques pacotilles : des têtes de mort peintes en paillettes, ou des bougies à l’effigie de Saint-Denis.
En ressortant, on croise Nicolas, qui accepte de nous récapituler le programme : « Cet après-midi, dans cette maison, une famille d’artistes va venir faire une séance de fritologie. Ils vont apprendre au public une chorégraphie avec des frites de piscine. Tu veux goûter du kéfir de maté ? C’est une boisson probiotique que je produis ici... ». Lard, cochon ? Nous avons avalé une gorgée de la potion sans oser le demander.
En s’enfonçant dans le sous-bois, on trouve le « Shlagmarket ». Shlag, habillé d’un mini-short aux couleurs d’un malabar bigoût et d’un t-shirt noir orné d’un faucon et d’une Harley Davidson, anime le stand avec ses « shlaguettes » qui font tourner la roue de l’infortune en chantant « Flash !/ Market !/ Gratuit ! ». La roue s’immobilise et Paco, 10 ans, remporte un vieux buste de mannequin. Ses parents sont ravis : « On a bien fait de venir ! ». Plus sérieusement, Cédric, le papa, raconte : « On habite Saint-Denis depuis toujours, et les fêtes qui rassemblent la population de la ville ne sont pas pléthore. Celle-ci en est une ».
« Poétique, magique, loufoque, complètement déjanté », énumère Marie, 40 ans, toutefois un peu déçue par l’absence de lancer de poulpe cette année. Quant à Caroline et Amélie, les briques rouges des hangars, l’ambiance familiale de la fête et le goût de la bière leur rappellent les fêtes de courées de leur Nord natal. Seul le risque du décès de la propriétaire, très âgée, et de la revente à un promoteur par ses héritiers vient troubler l’insouciance totale qui règne sur ce petit bout de terre Dyonisiaque. Alors, pour se rassurer, on n’en finit pas de trinquer sur la terrasse : « Longue vie à la Briche ! ».
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