A Saint-Denis, « pas de fatalité » dans les quartiers populaires
Lundi 5 décembre, le lycée Suger de Saint-Denis a accueilli une journée mondiale de l’égalité des chances, organisée par l’association « Passeport Avenir ». L’occasion pour les lycéens de poser leurs questions à plusieurs représentants de la société civile originaires de Seine-Saint-Denis comme l’écrivain Rachid Santaki ou le rappeur McTyer.
« Combien de gens ici aiment les dictées ? Allez, soyez sincères, faites pas les mythos... » L’écrivain Rachid Santaki, figure de Saint-Denis et organisateur depuis trois ans de dictées géantes à travers toute la France, n’hésite pas à apostropher son jeune auditoire. Une dizaine de doigts se lèvent, sans grand enthousiasme non plus. L’auteur de polars en profite pour rebondir : « Ca vient en partie du fait que vous abordez la dictée comme un exercice scolaire. Nous, avec l’association Force des Mixités, quand on organise nos dictées géantes, on veut faire passer l’idée que la langue française appartient à tout le monde et que c’est un vrai plaisir de l’entendre. »
L’égalité des chances, c’était le sujet de cette table ronde organisée lundi 5 décembre au lycée Suger. En plus de Rachid Santaki, plusieurs personnalités de Seine-Saint-Denis avaient répondu présent comme le rappeur MacTyer ou Stéphane de Freitas, fondateur de l’association Eloquentia, tous réunis à l’initiative de la ville de Saint-Denis et de Passeport Avenir. Cette association fondée en 2005 se donne pour objectif d’améliorer l’accès des jeunes issus de quartiers populaires aux entreprises françaises. Dounia et Wassila, les deux coordinatrices de cette journée mondiale qui implique Saint-Denis mais aussi 5 autres villes dans le monde, rappellent d’ailleurs quelques chiffres au passage : en France, un jeune issu de milieux populaires a 20 fois moins de chances d’intégrer une grande école qu’un étudiant issu d’un milieu favorisé.
Face à cette situation, Passeport Avenir met en œuvre un certain nombre de solutions comme un système de tutorat entre des bénévoles au sein des entreprises et des jeunes lycéens ou étudiants. (voir encadré).
« Notre ambition, c’est d’avoir des cadres d’entreprises qui soient à l’image de la diversité de la France, explique ainsi Benjamin Blavier, le fondateur de l’association, au petit parterre d’élèves du lycée Suger. Aujourd’hui, clairement, la route est encore longue, même si les tutorats que nous avons mis en place donnent de bons résultats. Il y a évidemment la question de l’insertion dans l’emploi, mais il y a aussi celle de l’ascension au sein de l’entreprise. A tous les niveaux, il faut être vigilant à ce que les jeunes des milieux populaires ne rencontrent pas un plafond de verre. Tout ça se fait en tissant des réseaux, patiemment. »
Questionné sur les différents freins qui peuvent exister pour expliquer les difficultés d’accès aux études supérieures ou à l’embauche dans un département comme la Seine-Saint-Denis, le sociologue Fabien Truong, professeur à Paris-8 Saint-Denis, en identifie quelques-uns : « difficile d’occulter des formes de discrimination, mais il y a aussi une certaine autocensure, le manque de codes et de réseaux propres au monde de l’entreprise ».
« La question de base est en fait : pourquoi existe-t-il certains freins comme l’autocensure alors que le savoir est disponible ?, poursuit le sociologue. C’est aussi lié à certaines représentations. L’idée qui s’est installée qu’il y a un eux et un nous, une classe dominante et une classe dominée peut déclencher la volonté de se brider, de ne pas trahir sa classe. »
Une intervention qui fait réagir Mac Tyer, rappeur d’Aubervilliers et visiblement populaire auprès des lycéens comme en témoigne l’applaudimètre. « Je voudrais juste compléter en disant que ce concept du « eux et nous », ce n’est pas le banlieusard qui l’a créé. Aujourd’hui, il faut se battre contre plusieurs formes de ghettoïsation de la société qui font que des classes sociales différentes ne se parlent plus. » A l’origine d’une initiative baptisée « Rentrée pour tous », Socrate Petteng – de son vrai nom – insiste dans son intervention sur la notion de volonté, même en situation d’inégalité sociale manifeste. « Il ne s’agit pas de nier les difficultés des quartiers populaires. Mais il faut aussi dire qu’il n’y a pas de fatalité. Il faut que vous vous rendiez compte de la chance que vous avez de pouvoir aller à l’école ou de pouvoir visiter des musées gratuitement. Ces chances-là, ne les laissez pas se perdre, saisissez-les », rappelle le rappeur à l’auditoire.
Dans l’assistance, William, 25 ans, aimerait lui qu’on recentre le débat sur le système éducatif, pas assez souple à son goût. « Je trouve dommage qu’en France, on transmette l’idée qu’il y une voie sacrée obligatoire pour toute personne qui souhaite réussir, à savoir la voie générale. Alors qu’il y a tellement d’autres possibilités, dans le technique ou le professionnel, pour des secteurs qui cherchent en plus à embaucher. Et puis, je dirais aussi que le système ne vous apprend pas que même après un échec, il y a des voies de reconversion possible », fait remarquer le jeune Aulnaysien, titulaire d’un diplôme d’ingénieur en génie civil.
Une assertion à laquelle souscrit le sociologue Fabien Truong. « Le système scolaire français a en général beaucoup de mal à penser les trajectoires non rectilignes et à accorder une deuxième chance. » Fort de ces constats, rendez-vous est en tout cas pris dans un an pour refaire une photographie de la situation.
C.L
Intervenant du lycée au bac +5, Passeport Avenir peut compter sur un réseau de quelque 1300 bénévoles, salariés en entreprise, pour faire découvrir ce monde à des élèves ou étudiants de quelque 260 établissements partenaires. Dans le lot figurent 5 lycées, 2 classes préparatoires aux grandes écoles et 2 écoles d’ingénieurs en Seine-Saint-Denis. Avec à chaque fois la même mission : apporter une connaissance des codes de l’entreprise, chasser les stéréotypes en tout genre et combattre l’autocensure propre à certains milieux. L’idée étant qu’un jeune ayant profité de l’accompagnement de Passeport Avenir s’engage à se réinvestir dans l’association. Les anciens « tutorés » deviennent ainsi à leur tour des ambassadeurs, dont la mission est d’intervenir dans des établissements scolaires ou de former des salariés bénévoles.
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