A Gournay, la danse, c’est tout pour elles
Lundi 11 décembre, l’humoriste et réalisatrice belge Nawell Madani a rendu visite aux danseuses de l’Académie de Gournay dont plusieurs apparaissent dans son premier long-métrage « C’est tout pour moi », actuellement en salles. Un moment émouvant pour ces jeunes filles dont beaucoup se rêvent en danseuses professionnelles. REPORTAGE.
« Nawell, comment vous nous avez trouvées dans votre film ? » La question manque un peu de spontanéité car la scène est filmée pour les besoins d’une chaîne Youtube, mais elle est sincère. La petite Albane, qui l’a posée, fait partie des 6 danseuses de l’Académie de danse de Gournay qui ont eu la chance d’apparaître dans le premier long-métrage de Nawell Madani, « C’est tout pour moi ». Réponse de la réalisatrice et stand-uppeuse : « Vous étiez géniales ! Quand je cherchais de jeunes danseurs et danseuses pour mon film et que je suis tombée sur une vidéo de vous sur les réseaux sociaux, j’ai pensé que vous veniez des Etats-Unis... Tellement vous dégagiez d’énergie ! »
C’est vrai que de l’énergie, Juliette, Charline et toute la bande de Sabrina Lonis, une des chorégraphes de l’Académie de danse de Gournay, en ont à revendre. Et une expérience comme celle qu’elles ont vécue sur le tournage du film de Madani (en 2016, à Paris) aurait encore tendance à la décupler. « C’était super de voir comment ça se passait sur le tournage, de voir les coulisses quoi », témoigne Aimée, 15 ans. « C’était génial et stressant à la fois. Forcément, avec la caméra qui arrive sur vous… Mais au final, c’est un moment inoubliable », complète Albane, 12 ans.
Comme cadeau de bienvenue pour Nawell Madani venue avec son chien - l’espiègle « Tupac » - les quelque 40 danseurs des classes de danse contemporaine et de hip-hop de Sabrina Lonis ont préparé des chorégraphies, en solo ou en duo. Petits et grands - les âges vont de 11 à 17 ans – se démènent sur « Ain’t Nobody » de Chaka Khan, qui figure d’ailleurs dans la bande son de « C’est tout pour moi ». Melvin, 16 ans, termine sa démonstration par une figure de « trix », un dérivé du break dance. « Les modes évoluent constamment. On essaie d’enrichir notre palette en regardant des vidéos sur Instagram et aussi évidemment en demandant conseil à Sabrina ».
Après 8 ans de présence à Gournay, la chorégraphe est un des piliers de l’Académie de danse. Formée aux écoles américaine et anglaise, la jeune femme essaie chaque jour de transmettre sa passion à son groupe, qui ne va pas sans une certaine exigence. « Je m’appuie sur trois choses : la passion, la force du travail et aussi le soutien du collectif. Car parfois, même la plus grande des volontés ne suffit pas : il faut un esprit de corps pour surmonter les moments difficiles », explique la jeune femme qui intervient également dans d’autres cours qu’à Gournay.
« Ici comme partout ailleurs, j’enseigne plusieurs styles car pour moi, un danseur doit être polyvalent », poursuit la chorégraphe, casquette vissée sur la tête et regard perçant, avant de détailler la composition de son cocktail : « du lyrical jazz, du contemporain, du jazz pur, de la street dance et du commercial ».
Enchaînements rythmés, gestes et mimiques peaufinés : le plaisir est donc palpable, en même temps que l’effort. Il faut dire que Sabrina Lonis ne fait que donner à ses troupes les moyens de leurs ambitions. Car la plupart de ses jeunes élèves aimeraient faire de la danse un métier. « La danse, j’adore vraiment ça. Je me doute que ça ne sera pas facile, mais je veux vraiment y aller à fond », commente ainsi Albane, récente protagoniste d’un clip du chanteur Nassi, dans lequel interviennent 16 autres élèves de Sabrina Lonis. Celle-ci recrute aussi régulièrement ses protégés de l’Académie pour monter sur la scène du Jamel Comedy Kids, dont elle est la chorégraphe officielle.
Autant dire que ses élèves se sont identifiés à fond à l’histoire de Nawell Madani, jeune femme éprise de danse et déterminée à réussir sans pour autant renier certaines valeurs. « Oui, je me suis reconnue dans cette jeune fille qui rêve de devenir danseuse », affirme ainsi Aimée, tentée par une carrière de danseuse mais à qui la voix de la raison dicte tout de même de ne pas lâcher les études.
« Ces jeunes-là ont de forts potentiels, ça se voit, estime pour sa part Nawell Madani. Dès qu’elles rentrent au milieu du cercle, elles s’émancipent. » Et de leur adresser un grand Big up, comme on dit dans le milieu.
Christophe Lehousse
Photos : @Jean-Christian Meyer- Tendance Floue
Nawell Madani : « Le hip-hop, ce qui nous parlait le plus »
Récit de formation d’une jeune femme qui rêve de percer dans la danse puis bifurque vers le monde du stand-up, « C’est tout pour moi » est un film sur la soif de réussite, l’émancipation, l’amour filial aussi. Une œuvre qui puise largement dans la vie de son auteure, même s’il ne s’agit pas d’un biopic. Interview.
Pourquoi aviez-vous retenu ces danseuses de l’Académie de Gournay pour votre film ?
« Tout simplement parce qu’elles sortent du lot. Sabrina Lonis leur fait travailler leur énergie, leur attitude et elle le fait en grande professionnelle. Elles sont homogènes et même temps elles ont toutes leur individualité : c’est tout ce qu’on recherche dans des chorégraphies. Comme en plus, je n’avais que 5 semaines pour tourner, en raison d’un budget limité, il me fallait des gens précis, rapides, c’est exactement leur cas. »
Vous venez du stand-up, une discipline où on se défend plutôt pas mal en Seine-Saint-Denis, comme on peut le voir avec les Kheiron et autres Claudia Tagbo. Pourquoi à votre avis ? Il y a une culture de la tchatche dans les quartiers populaires ?
« Peut-être oui, même si dans le monde du stand-up, j’ai croisé des gens de tous les milieux sociaux. Après, oui, il y a peut-être une certaine rage de réussir. Et puis, il y une culture urbaine très présente : les stand-uppers, ce n’est que la continuité logique des rappeurs, des slameurs. Nous les stand-uppers, les humoristes, on s’inspire évidemment de gens venus avant nous. »
Pourquoi de tous les styles avoir ainsi flashé sur le hip-hop ?
« Parce que c’était ce qu’il y avait de plus accessible quand j’étais gamine. Bien sûr, le street jazz, les claquettes, c’était sympa, mais c’est le hip-hop qui nous parlait le plus, dans lequel on se reconnaissait. Un bout de musique, un bout de miroir et encore… et c’était parti. On avait des VHS qu’on s’amusait à rembobiner encore et encore pour reproduire les choré. »
Dans votre film, le monde du hip-hop puis du stand-up que vous montrez est terriblement machiste. C’est encore le cas aujourd’hui ?
« Oui quand même. En tout cas, c’est un milieu d’hommes. Baladez vous aujourd’hui dans les battles de hip-hop, vous ne verrez pas beaucoup de femmes. De manière générale, c’est difficile pour une femme de se faire sa place dans un milieu ou il y a une prédominance masculine, que ce soit dans le journalisme, la politique ou ailleurs. On est obligée de redoubler d’efforts. Mais je considère que ça forge le caractère. »
Pour un film qui porte en partie sur la danse, la bande-son était cruciale. Comment avez-vous choisi les musiques de votre film ?
« Je voulais un spectre assez large, qui aille de S.Pri Noir à « Wahrane Wahrane » en hommage à ma double culture. Et en même temps, il y avait des incontournables. « Ain’t Nobody » de Chaka Khan, par exemple, en était un. Enfant, j’avais tellement aimé « Break Street 84 » où se trouve déjà cette chanson que je voulais absolument qu’elle figure dans mon film. « Break Street » m’a marquée parce que c’était la première fois qu’un film dépeignait ainsi les arts de la rue, les disciplines différentes qu’offre la culture urbaine. Et puis, ce choc des cultures entre une fille d’un milieu plutôt bourgeois et un groupe issu des quartiers était intelligent : tout d’un coup, il n’’y avait qu’un seul langage, la danse »
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