A Epinay-sur-Seine, jouer avec la nourriture peut donner de très belles choses
Le 28 mars, à l’école Jaurès d’Epinay-sur-Seine, le studio de design culinaire Hopla organisait un atelier aux maternelles. Objectif : composer un tableau gastronomique en utilisant les couleurs des radis, des betteraves, des épinards... Une manière d’acquérir quelques notions de nutrition, tout en s’amusant.
« D’un gros brocoli... j’en fais un tout petit », commente Magali, détachant une branche du légume sous les yeux émerveillés des enfants du centre aéré de l’école Jean-Jaurès, à Epinay-sur-Seine. Le concept du « Studio Hopla », des designeuses culinaires Agathe Bouvachon et Magali Wehrung, tient tout entier dans ce geste : la mise en scène quasi magique de la gastronomie.
Ce mercredi 28 mars, elles partagent leur art avec les petites sections de maternelle de l’école Jean-Jaurès, à Epinay-sur-Seine. Il y règne une ambiance de ruche. Sur le buffet, les verres attendent, posés sur du terreau, entre des mini-carottes et des breuvages fruités. La directrice ne sait plus où donner de la tête. L’atelier de design culinaire est l’ultime pièce d’un programme qui dure depuis deux ans, et dont la restitution aura lieu dans la soirée.
Toupie en tranche de chou
Dans le cadre du dispositif « Imaginaire et Jardins », le centre a perçu une subvention de Plaine Commune, pour transformer l’école en îlot végétal au cœur d’un paysage plutôt minéral : celui des barres de la rue de Presles. L’année passée, les enfants ont planté des potagers dans la cour. Ils ont aussi transformé de vieux meubles en jardinières, et le gazon pousse désormais sur le siège d’un canapé avachi. Un véritable salon de verdure orne la cour de récré. Cette année, Anne-Charlotte, la directrice, a voulu lier l’univers du jardin et celui de la gastronomie. Le parcours des enfants s’achève par trois ateliers avec le studio Hopla. Les enfants ont fabriqué une toupie en tranche de chou, navet, concombre et tomate, puis ont composé un jardin « zen » à base de bâtonnets de carotte, brins de ciboulette et rondelle de radis plantés sur une tartine de Saint-Môret.
Aujourd’hui, on passe à l’échelle supérieure. A l’inverse de la nature morte, les enfants vont confectionner des tableaux gastronomiques... que pourront déguster, ce soir, leurs familles. A 14h30, la ribambelle d’enfants de petite section de maternelle débarque donc dans la cantine, et prend place autour des tables.
Agathe commence par un quiz sur les légumes de saison.
- Qu’est-ce qui pousse au printemps ?
- Des fleurs !, répondent les enfants en choeur.
Raté. Elle essaie encore :
- Qu’est-ce qu’on a mangé pendant l’hiver ?
- Des bûches glacées !
- Oui, mais ça ne se récolte pas dans un jardin...
- Des tomates !
- Non... Pensez à des légumes qui poussent dans la terre et qui se conservent ... Il y en a un qui pousse tout l’hiver et qui est grand comme ça.
- JE SAIS ! Un concommmmbre !
Encore raté.
- Un poireau !
Trouvé.
Des épinards pour faire du vert
Après avoir fait un rapide tour de la notion de saison, Agathe introduit son atelier : « Aujourd’hui, on va faire de l’art avec de la nourriture. On va faire des tableaux à manger. Au lieu d’utiliser la peinture, on va utiliser de la nourriture pour faire des couleurs ». Pour faire du vert, les enfants vont utiliser des pousses d’épinard broyées. Pour faire du rouge, du coulis de betterave. Pour le orange, des râpures de carottes. Et pour le jaune, on préférera la savora aux zestes de citron et autres peaux de banane peu digestes. Une fois l’exposé liminaire terminé, les enfants se saisissent des outils qu’on leur tend. Pendant quinze minutes, les marmitons apprennent à manier l’économe, à couper les radis, à étêter les brocolis et à réduire en poudre verte ce cousin du chou. Rafaël, 4 ans, m’explique doctement : « On coupe les radis en forme de carotte. »
Les ingrédients préparés, et les épluchures évacuées par le « capitaine poubelle » de la table, se pose la question du support.
- Qu’est-ce qui est grand, plat, et qui peut faire un peu comme un tableau ?
- Un sandwich !
- Une crêpe !
- Du pain de mie !
- Une PIIIIIZZZZAAAAAA !
- Oui, de la pâte à pizza, confirme Agathe. Les pizzas, c’est comme des tableaux. On a fait préparer des pâtes en forme de carré chez un boulanger, explique l’intervenante aux enfants, avant de les distribuer.
Un couteau pour pinceau
« Quand on travaille en équipe, il faut faire ensemble, et pas essayer d’aller plus vite ou de faire plus que l’autre », prévient Agathe dans un souci d’apprentissage du collectif. Elle sort le Saint-Môret, à étaler uniformément sur les pâtes à pizza pour faire le « fond » blanc de la toile. Puis les enfants peuvent laisser parler leur sensibilité artistique en distribuant à leur gré les ingrédients préparés auparavant. « Tu vois, là tu fais la même chose qu’un très grand peintre qui s’appelle Jackson Pollock », explique Agathe à celui qui lance des filets de vinaigrette jaune sur son carré. « Le couteau, c’est comme un pinceau qui fait des oeuvres », constate Lukas.
Vingt minutes plus tard, chaque table a donné vie à une œuvre. « On donne un nom à son tableau ? », lance Agathe à la cantonade.
- Le tableau délicieux, propose Jules.
Puis Magali saisit la croûte de pain et la pose, à la verticale, sur le chevalet.
- Vous avez bien travaillé, rien ne se décolle !
C’est l’heure de ranger... et de commenter. « Alors, qu’est-ce que tu as ressenti pendant cet atelier ? ». L’enfant à qui s’adresse la question reste un instant interdit, avant de répondre : « Pomme ». Après une reformulation, on obtient un plus opportun : « J’ai aimé parce qu’il y avait plein de couleurs. C’était une activité très géniale ».
Agathe et Magali invitent le mag93 à les rencontrer autour d’un repas dans la cuisine de la Halle Papin, à Pantin. Autour du saucisson, de la pissaladière et de la tarte tatin de chez Picard que nous avions apporté, un peu gênée, elles nous content l’histoire du Studio Hopla. Les deux jeunes femmes se sont trouvées au début de leurs études à l’ESAD, l’école de design de Reims. Elles tombent sous le charme des cours de Marc Brétillot, pape du « design-food » en France. Celui-ci repère la cuisine mobile destinée aux enfants inventée par Magali au sortir de son Erasmus à Istanbul, et lui propose de la présenter dans la première exposition de « design-food » en France. C’est à cette occasion que la directrice des affaires culturelles de la ville de Guyancourt la repère et lui propose une résidence artistique. Lorsque Magali, en 2012, propose à Agathe de se joindre à elle pour mener à bien ce projet, Hopla Studio est né. « « L’Europe passe à table » consistait à proposer à 25 classes de primaire et maternelle un travail autour de la gastronomie des pays européens. Cela allait d’un clip où les enfants qui représentaient la Suède étaient déguisés en écrevisses, à la confection de bijoux en pâtes bombées en or pour ceux qui représentaient l’Italie, en passant par la fabrication d’Azuleijos (carreaux de porcelaine) montrant les trouvailles culinaires de Vasco de Gama pour ceux qui avaient tiré au sort le Portugal », relate Agathe. Depuis, les associées ne comptent plus les événements organisés, les dispositifs inventés pour des écoles, de grandes institutions culturelles- Mac Val, théâtre de Brétigny- ou des marques-Ikea, Hema, Shisheido etc.
Panacotta en forme de sein
Magali et Agathe se revendiquent, sinon artistes, au moins artisans. La graphiste et la designeuse participent quasi depuis le début à l’aventure « Souk Machine ». Ce collectif se saisit de lieux en friche, y installe, de manière temporaire, des artisans et des artistes, y organise des événements festifs qui font du lieu en question un carrefour de rencontres sur le territoire. Les deux jeunes femmes s’occupent de l’identité graphique du fameux collectif. Mais cette communauté leur a aussi permis de développer le concept de leur studio à travers les « Bouffes mondaines ». Une fois tous les deux mois environ, ces fanas de cuisine organisent un repas autour d’un thème. Du temps où Souk Machine occupait le « Pavillon du Dr Pierre » à Nanterre, le premier repas avait pour thème le dentrifrice, car le bâtiment était une ancienne usine de pâte à dent. A l’entrée du repas, le maître d’hôtel, habillé en blouse blanche, appliquait de la ricotta sur un petit bâton qu’il distribuait aux convives. Puis ils étaient invités à aller goûter de l’écume de citron sur une bande son de bruits de crachats. Autre mémorable « bouffe », pour un 14 juillet, les tartes étaient à la myrtille, à la chantilly et à la fraise. Ces festins continuent à la Halle Papin, à Pantin, où le Souk Machine réside au moins jusqu’en octobre 2018.
Bientôt, certaines marques ont fait appel aux talents d’Agathe et Magali pour animer leurs évènements. Pour le lancement d’un produit d’une marque de prêt à porter féminin ayant pour thème le « girl power », les inventeuses ont mis au point une panacotta en forme de sein, et des biscuits en forme de doigts aux ongles badigeonnés de sucre rose.
Quand manger devient spectaculaire
Avec les années, les projets qu’on leur propose gagnent en sophistication. Les « bouffes mondaines » les ont menées à proposer un spectacle culinaire autour de la magie au théâtre de Brétigny, duquel elles sont devenues « artistes associées ». Puis elles ont monté « Txotx », un concert gastronomique où les serveurs viennent servir dans les gradins au son des musiciens. C’est d’ailleurs vers ce milieu, culturel, qu’elles comptent s’orienter. « On y comprend ce que veut dire la création, le fait qu’on mette un peu de nous-même dans ces repas que nous organisons », explique Magali. « Bosser uniquement pour le luxe ne nous intéresserait pas. Ce que nous cherchons à créer, c’est une interaction avec celui qui mange, qu’il n’ingurgite pas simplement, mais qu’il s’interroge, au moment où il mange, sur le sens de son acte. Nous voulons créer de l’expérience commune », conclut Agathe. A Epinay-sur-Seine en tout cas, c’est chose faite.
Photos : @Eric Garault
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