Lutte contre les violences

Des signalements en hausse durant le confinement

Pendant les 55 jours de confinement, certaines femmes ont connu des situations dramatiques, enfermées avec leur conjoint, sans avoir la possibilité d’appeler au secours. Certaines d’entre elles ont pu, grâce à des outils mis en place, et l’aide des associations, se signaler.

Au sortir de cette période où aucun féminicide n’a été constaté sur notre département, les associations ont commencé à dresser un bilan. Rappelons tout de même la hausse des violences conjugales : la ligne d’écoute dédiée aux victimes, le 3919, a enregistré 10 000 appels sur toute la France au mois d’avril, en pleine période de confinement, soit le double de l’an dernier à la même période. Les forces de sécurité se sont davantage déplacées au domicile, appelées sur le 17, alors qu’on constatait une baisse du nombre de plaintes. Selon la gravité des faits, l’agresseur était mis en garde à vue et le parquet décidait de poursuivre ou non. Durant cette période, la moitié des gardes à vue sur le département de la Seine-Saint-Denis a été motivée par les violences conjugales.

Au plan départemental, les téléphones Grave Danger (TGD) permettant à la victime de joindre un service de téléassistance 7 j /7 et 24 h/24, sont au nombre de 47 en activité sur tout le département. Pendant la période de confinement, 7 TGD ont été remis à des femmes en danger, signe pour Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes, « qu’on a pris en compte la dangerosité ».
Pour Jérôme Jannic, directeur de SOS Victimes 93, le point fort durant cette période a été le partenariat très fort entre les différentes structures : les associations entre elles, les associations et les services sociaux.

Durant le confinement, le Département avait aussi mis au point un dispositif novateur : le financement de 10 chambres d’hôtel pour éloigner sur mesure judiciaire des hommes violents du domicile conjugal.

Un décret qui passe mal…

Depuis le déconfinement, les associations donnent la priorité à l’accueil physique, à l’écoute et à la protection. Alors que celles-ci souhaitent que toutes les mesures prises lors du confinement soient pérennisées, un décret gouvernemental, passé fin mai, a provoqué un véritable tollé. Alors que la loi adoptée à l’Assemblée nationale prévoyant de réduire le délai d’obtention des ordonnances de protection pour les femmes victimes de violences conjugales à 6 jours contre 42, un décret paru le 27 mai est venu mettre à mal cette initiative. Il impose un délai de 24 heures à la victime pour qu’elle prévienne elle-même, par voie d’huissier, son compagnon ou ex-compagnon, qu’une ordonnance de protection a été demandée contre lui. Si elle ne le fait pas, l’ordonnance devient caduque et tout est annulé. De plus, le ministère contraint les femmes à payer un huissier de justice pour effectuer cette démarche… Affaire à suivre…

Claude Bardavid

Entretien

« Avant tout, rompre l’isolement »

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Pendant toute la période du confinement, un cabinet associatif de huit psychologues, intervenant sur les villes de Villemomble, Gagny et Montreuil, a répondu aux appels de nouveaux·elles patient·e·s tout en continuant à suivre à distance leur patientèle. Rencontre avec Nawel Siamer, psychologue clinicienne.

Quel profil présentaient les personnes qui se sont adressées à vous ?

« Pendant cette période, nous avons continué à suivre à distance nos anciens patients qui le souhaitaient, mais nous avons eu aussi de nouveaux appels. Nous n’avons pas vraiment changé notre façon de faire. Pour nous psychologues, la question du cadre que nous posons avec le patient est centrale. Que nous soyons écoutant à distance ou en présentiel, il est important de donner immédiatement des repères à la personne qui nous rencontre pour la première fois, car bien sûr, même au téléphone, on se rencontre. Le plus important pour les nouveaux patients était d’instaurer un climat de confiance, qu’ils se sentent protégés par la confidentialité de nos échanges.

Que recherchaient-elles ?
Avant tout rompre l’isolement. L’isolement physique car de nombreuses personnes se sont retrouvées relativement seules pendant le confinement, mais aussi l’isolement psychique. Lorsqu’on se sent mal, on ne trouve pas toujours les mots pour faire comprendre à son entourage, lorsqu’on en a un, ce qui se passe pour nous. Parfois, on n’a même aucune idée soi-même de ce qui se passe. La seule chose qu’on sait c’est qu’on se sent mal. Ce que voulaient ces personnes, c’est être écoutées par quelqu’un qui ne les jugerait pas et qui porterait un regard neuf et neutre sur elles.

Comment s’est manifestée cette anxiété ?
Parfois les personnes étaient débordées par leurs émotions. Nous avons eu des appels de personnes en larmes qui n’arrivaient pas à verbaliser leurs émotions. Elles nous expliquaient que la solitude devenait insupportable car, faute d’interaction avec les autres, elles se retrouvaient prises au piège de leurs pensées, de leurs angoisses, parfois même de leurs idées suicidaires. Beaucoup nous nous ont parlé de troubles du sommeil ou de troubles du rythme veille/sommeil, de troubles du comportement alimentaire, d’augmentation de la consommation d’alcool et de tabac. Dans quelques cas, les personnes ne faisaient pas forcément le lien entre leur anxiété et ces comportements. Notre travail a aussi consisté à les amener à en prendre conscience et à les aider à mieux comprendre leur état.

Et la violence envers les femmes ?
Nous avons eu à connaître plusieurs situations de violences verbales, de harcèlement et d’humiliations répétées de la part du conjoint. Les femmes qui nous ont contactés semblaient prises au piège d’un conjoint qui ressentait une forme de toute puissance. Les entretiens téléphoniques se faisaient parfois en bas d’un immeuble, à l’extérieur du domicile, dans un parc, dans une voiture, ce qui nous a demandé beaucoup de flexibilité et de réactivité car les rendez-vous étaient programmés selon les possibilités de sorties de nos patientes.

Avez-vous eu à connaître des cas de violences exercées sur des enfants ?
Oui. Parfois dans le cadre des violences conjugales, les enfants sont également victimes de violence directe. Mais de toute façon, les violences conjugales représentent une violence pour l’enfant, ne serait-ce qu’à titre de témoin. Les explosions de violence régulière pendant la période de confinement ont rendu certains enfants totalement otages de celle-ci, à laquelle ils ne pouvaient échapper et dont ils ne parlaient à personne. Les enfants exposés à ces moments de violence répétées sont dans un état post-traumatique.

Le confinement a-t-il été le révélateur d’une situation latente qui ne demandait qu’à être révélée ?
Oui. Par exemple dans les situations de violence conjugale. Elles s’exerçaient parfois depuis longtemps et le confinement a révélé l’urgence d’une aide car celles-ci devenaient plus fréquentes avec parfois un danger vital et sans plus aucun échappatoire. Des personnes qui n’avaient jamais demandé d’aide jusqu’à présent ont notamment demandé les coordonnées d’un psychologue à leur médecin traitant.

Que pouvez-vous nous dire de l’état psychique sur notre département qui a payé un lourd tribut à la pandémie ?
Le confinement et l’anxiété généralisée liée à la pandémie ont fragilisé des personnes avec des traumas antérieurs. Cette situation a provoqué chez certains des symptômes de décompensation, de passage à l’acte suicidaire et des déclarations de phobies sociales. On peut aussi dire que dans ce département où le confinement est toujours d’actualité [l’entretien s’est déroulé pendant le confinement], les patients que nous recevons sont dans une grande inhibition, avec une perte de repères. Certains ont des difficultés à sortir et à se projeter, comme si le temps s’était « arrêté ».

Propos recueillis par Claude Bardavid

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