Enquête

Inégalités : le rôle des médias

Des médias dirigés par des hommes, une presse qui ne s’intéresse qu’aux hommes. Si la parité est un enjeu démocratique, qu’en est-il en Seine-Saint-Denis de la visibilité des femmes ? ENQUÊTE

Connaissez-vous la femme invisible ? Elle vit en Seine-Saint-Denis. Ce n’est pas une blague. Ouvrez n’importe quel journal, n’importe quel magazine, allumez la télé, vous ne la trouverez nulle part. Pour Claire Blandin, historienne des médias et professeure à l’université Paris 13, « les femmes de Seine-Saint-Denis sont très peu médiatisées. Lorsque vous ouvrez les magazines, la plupart des gens que vous voyez sont blancs, vous avez très peu de corps noirs ou d’autres couleurs. Cela fait partie des questions sur lesquelles les féministes sont très mobilisées aujourd’hui. »

La journaliste de France Culture Sonia Kronlund (actuellement en résidence au collège Romain-Rolland de Tremblay) parle même de « double peine » : « On parle très peu des femmes dans les médias. On se fiche pas mal de ce qui se passe en Seine-Saint-Denis… alors, pour les femmes de Seine-Saint-Denis, c’est la double peine. Le sujet même de notre émission Les pieds sur terre est de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. Parmi les gens qu’on n’entend pas beaucoup, il y a des femmes en Seine-Saint-Denis. Cela fait 15 ans qu’on les interviewe, c’est, si on peut dire, notre cœur de cible. Sur les 3 000 émissions, 500 concernent la Seine-Saint-Denis. »
Son émission est réalisée par 14 femmes journalistes et 2 hommes : un ratio qu’on ne retrouve que dans la presse féminine.

Pour Claire Blandin, « c’est une question que commencent à se poser les jeunes de banlieue : pourquoi est-ce que nous, on n’apparait pas dans les médias ? Les jeunes se voient, se parlent beaucoup sur les réseaux sociaux, les médias alternatifs, Youtube, Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat ». Elle regrette qu’« on cantonne la banlieue dans des médias alternatifs ».
C’est d’ailleurs sur la page Facebook de Minutebuzz que Meggy Pyaneeandee a perdu son statut de femme invisible en recueillant 4 millions de vues. Cette étudiante à Science Po Paris, qui a grandi au Blanc-Mesnil, est devenue Miss Île-de-France en 2016. À cette époque aucun média ne s’intéresse à elle…

Porte-voix

Si on valorise son 18,5 au test de culture générale, on l’interviewe très peu : « Je voulais être un porte-voix pour les jeunes de Seine-Saint-Denis, souvent victimes de stigmatisation, pour notre département si décrié. Je voulais dire que malgré des conditions d’études plus difficiles qu’ailleurs (son cursus est en ZEP), on est pourtant nombreux à se battre pour réussir à l’école… Si j’ai réussi, c’est qu’on m’a mise en confiance. Et cette confiance, je voulais la leur donner. » Depuis qu’elle n’est plus Miss, les interviews qu’elle donne sont plus nombreuses, plus profondes, moins lisses mais toujours sur le Net.
La presse, qu’elle soit nationale, régionale, quotidienne, hebdomadaire ou magazine a mis en avant l’an dernier 83,1 % d’hommes contre 16,9 % de femmes. Parmi elles, des actrices, chanteuses, blogueuses, femmes politiques, sportives ou cheffes d’entreprise.

Pour la Sevranaise Véronique Moreira, l’une des rares présidentes de fédération sportive nationale, – l’Union sportive de l’enseignement du premier enseignement (USEP) –, les médias rechignent à montrer la réalité telle qu’elle est : « Prenons l’égalité filles-garçons : on constate que, à l’école maternelle et primaire, il y a aussi bien du rugby pour les filles que de la danse pour les garçons, et ça fonctionne bien ! Mais la médiatisation ne suit pas. Les médias sont restés sur des stéréotypes qui datent des années 60 ».
Pareil pour la publicité. Que changerait, selon elle, une plus grande visibilité des sportives dans la presse ? « Le décrochage sportif se fait pour les filles au moment de l’adolescence. Avec la pression familiale, la pression des médias, la pression de la société, c’est plus compliqué à cet âge-là. Une médiatisation plus grande serait un bon moyen de changer les représentations et inciter les filles à poursuivre un projet sportif. »

Prenons la Une

La responsabilité des médias est pointée du doigt par la rédactrice en cheffe du Bondy Blog : « Au Bondy Blog, on est une majorité de filles, explique Nassira El Moaddem. Moi-même je me considère comme féministe. Je fais partie de Prenons la Une, un collectif qui travaille à une meilleure représentation des femmes dans les médias : l’égalité salariale, la place des femmes dans les rédac, et la manière dont on parle des femmes dans les médias. Tant qu’on n’aura pas, dans les rédactions, une diversité d’origines sociales, d’origines ethniques, géographiques, il y a des sujets qui ne seront pas abordés car les gens n’ont pas le réflexe premier de le faire. On se retrouve avec des couvertures, des dossiers où tout un pan de la population n’est pas représenté. Ou quand elle l’est, c’est de manière caricaturale ».
La représentation des femmes, des quartiers, et aussi des jeunes… pour Nassira, les moyens humains intellectuels sont là pour se bouger sur ces questions : « Moi, je considère que je ne fais pas n’importe quel métier. Ce n’est pas pour me la raconter : je pense qu’on a une mission qui est quasi citoyenne. Quand on est ce quatrième pouvoir, on doit être à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres. On doit faire des efforts ! »


JPEG - 10 kioClaire Blandin historienne des médias

Faire évoluer la norme
« Les médias sont là pour accompagner les évolutions de normes dans la société. Leur responsabilité serait de mettre en avant plus de corps de couleur, plus de corps différents, plus de corps de personnes âgées. Mais les médias sont peu nombreux à prendre ce risque vis-à-vis des annonceurs. »


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Véronique Moreira  présidente de l’USEP

Dépasser son origine
« Je ne pense pas que les médias fassent en fonction de la personne ou de l’origine : ils se demandent juste si leur article va être vendeur. Sarah Ourahmoune est médiatique non pas parce qu’elle vient de Seine-Saint-Denis mais parce qu’elle développe plein de choses. »

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