Santé Mobilisation

"Ecoutez-nous !" : le cri des soignant·e·s au lendemain du Covid

"Et un, et deux, et trois cents euros !". La banderole "Blouses blanches, colère noire" des soignant·e·s de Seine-Saint-Denis caracolait au devant du défilé, lors de la manifestation du 16 juin 2020. Le département vient en effet de payer un lourd tribut lors de la crise du Covid, s’expliquant par une patientèle très précarisée, un manque de lits, de matériel, de personnel... SSD mag a recueilli la parole de plusieurs professionnel·le·s présent·e·s dans le cortège.

JPEG - 29.9 kio

De moins en moins d’argent pour soigner les précaires
Sandra, 33 ans, auxiliaire puéricultrice à Delafontaine (Saint-Denis)

" Pendant le Covid, j’ai gardé les enfants de soignants à la crèche de l’hôpital. Nous avons aussi accueilli des enfants de maternelle, que leurs parents ne parvenaient pas à faire garder. Tout l’hôpital public a été touché par cette crise, mais en Seine-Saint-Denis, c’était encore plus dur. Nous avons énormément de patients précaires, sans prise en charge. Or le budget de l’hôpital destiné à financer l’aide médicale d’Etat (AME) diminue d’année en année, et rend les prises en charges plus compliquées. Sans compter que pour soigner ces patients précaires, il faut aussi traiter les problématiques psychologiques, de logement cela demande plus d’écoute... Lorsque Delafontaine est passé en "Covid +", qu’il n’accueillait plus que des personnes atteintes du Covid, les hôpitaux privés ont joué le jeu en prenant nos patients, y compris ceux qui étaient à l’AME."

JPEG - 29 kio

"Mon binôme est mort du Covid"
Khadidja, 52 ans, infirmière de nuit à l’unité ado de Ville Evrard, puis à l’hôpital André-Grégoire à Montreuil.

"Au début du Covid, il n’y a pas eu de prise de conscience immédiate du danger. Il y avait une banalisation, qui venait d’en haut, du gouvernement. On a mis du temps avant d’arrêter les permissions des adolescents, qui circulaient entre l’intérieur et l’extérieur. On a eu du mal à avoir des masques. Mon binôme, Patrick Lihau, qui souffrait d’une faiblesse immunitaire, a attrapé le Covid et il est décédé. Avec ma collègue, nous avons été mises en arrêt. Mais j’étais déjà dans la rue avec le collectif inter-urgences, car l’hôpital public est sous-doté. Avant, je travaillais au centre médico-psychologique de Neuilly-sur-Marne : c’était un enfer que d’avoir les parents de jeunes en détresse au téléphone et de ne pouvoir leur proposer de solution, faute de place, avant un an. A l’hôpital, c’est le même problème : nous manquons de lits. Les parents doivent attendre, trouvent parfois d’autres appuis... mais parfois, il y a des passages à l’acte des ados, parce que nous ne pouvons pas les soigner, faute de moyens. Il faut nous accorder des dotations non seulement en fonction du nombre d’habitants, mais surtout en fonction de sa spécificité, de sa misère, et de ses carences."

JPEG - 26.1 kio

"Nos moyens n’étaient pas à la hauteur de la vague qui s’est abattue sur nous"
Elisa, 42 ans, médecin en médecine interne à Delafontaine

" Nous avons expérimenté une très grosse vague, parce que nous étions proches de l’Oise, le premier département touché, et que beaucoup de soignants y habitent. Mais la surmortalité dans le 93 est aussi liée à la précarité : nos patients étaient des gens qui ne pouvaient pas s’arrêter de travailler, souvent parce qu’ils avaient de petits boulots au noir, ou tout simplement parce qu’ils ne pouvaient pas télétravailler. Les conditions de logement ont aussi posé problème : quand on faisait sortir des patients atteints du Covid en leur conseillant de garder leurs distances vis-à-vis de leur proches, l’un d’eux m’a demandé comment il allait faire, sachant qu’ils vivaient à 6 dans un 30 mètres carré. La possibilité de les mettre dans des chambres d’hôtel est apparue après seulement. En terme de matériel, nous n’en avons jamais manqué, mais on nous demandait de l’utiliser avec parcimonie, de garder nos masques et nos sur-blouses des demi-journées entières. Cela fait un an que nous sommes en mouvement pour défendre l’hôpital public, en terme de dotations et de salaires, en particulier pour les professions paramédicales. Il faut que nous ayons une enveloppe correcte pour soigner, il faut arrêter de fermer des lits. "

JPEG - 28.9 kio

" De la maille, pas des médailles"
Sophie et Tom, orthophoniste et psychomotricien à Casanova (Saint-Denis)

" Pendant le Covid, nous paramédicaux, avons aidé ça et là : on a désinfecté les chambres après les décès, on lavait les toilettes, les sanitaires... Les recommandations d’hygiène changeaient tous les jours : au début, on a continué à côtoyer ceux qui accueillaient physiquement les patients aux urgences, on mangeait ensemble. Puis on a manqué de masques, de surblouses : les médecins avaient des manches de poissonniers pour faire les soins pendant la moitié de l’épidémie. Dans notre hôpital, deux infirmières, une assistante sociale, une psychologue, une ASH (agente de service hospitalier) et une cadre de santé ont été contaminées. On a dû faire des appels aux dons, aux magasins, à des couturiers, ce n’est pas normal. Pendant la crise, on a entendu beaucoup de paroles : que c’était le moment de changer les dotations, les budgets, les salaires... Et là, rien n’arrive. On sait que la prime ne nous est donnée que pour éviter d’augmenter notre salaire. Mais même avec cette prime, aura-t-on les moyens de faire face à une nouvelle vague ? Nous voulons plus de budget et plus de matériel. Et on veut une véritable reconnaissance salariale, pas une médaille, une proposition qu’on trouve teintée de mépris. On est là pour dire : "Ecoutez-nous" !

Dans l'actualité