Des ados bien dans leurs baskets
Qui sont les adolescents de Seine-Saint-Denis ? À quoi pensent-ils ? Quelles sont leurs priorités dans la vie ? Une enquête scientifique leur a demandé de tout nous dire. Les résultats surprenants contrastent avec l’image que certain.e.s se font d’eux.
La plupart des enfants scolarisés au collège en Seine-Saint-Denis vont bien. Si on leur propose de se positionner sur une échelle du bonheur qui va de 0 à 10 (10 étant la meilleure vie possible et 0 la pire), huit jeunes sur dix entre 11 et 15 ans sont heureux de leur vie. En Seine-Saint-Denis, un sur cinq choisit même la note maximale de 10.
La famille, un espace essentiel
Les collégiens sont non seulement plus enthousiastes en Seine-Saint-Denis qu’à Paris et en France métropolitaine(1) mais ils sont aussi moins nombreux à expérimenter ou à consommer des substances psychoactives. « Les adolescents du 93 sont les adolescents qui fument le moins de cannabis en France métropolitaine, et cela est vrai pour le tabac et l’alcool aussi », explique Stanislas Spilka, statisticien et responsable du pôle Enquêtes et analyses à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), qui ajoute : « Une fois qu’on sait ça, il faut essayer de comprendre pourquoi. »
Enguerrand du Roscoät, responsable de l’unité Santé mentale – santé publique France, chercheur associé au Laboratoire parisien de psychologie sociale (Lapps) s’est d’ailleurs intéressé au soutien apporté d’une part par la famille et d’autre part par les amis. Derrière le mot soutien, il entend : l’affection de sa famille, de ses amis, la possibilité de discuter, l’aide apportée au moment de prendre une décision importante ou lorsqu’un problème survient. Il s’est aperçu que « le soutien familial joue un grand rôle dans le bien-être psychologique et dans la régulation des comportements dits à risques dans le champ de la santé (violences et consommations de produits psychoactifs) ».
« Le soutien familial est essentiel pour réguler les comportements dits à risques. »
Bruno Falissard, pédopsychiatre et biostatisticien, directeur du centre Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, rappelle que « avoir un environnement qui nous étaye, c’est quelque chose qui nous fait aller bien dans la vie ». Pourtant, 5 % des ados trouvent leur vie nulle. Et le jour où ils perdent leurs amis, leur taux d’insatisfaction augmentent de 5 points. Le jour où les ponts avec leur famille sont coupés, ce taux augmente de 28 points. Les collégiens qui perdent le soutien de leur famille sont plus déprimés, plus violents avec leurs camarades. Leurs consommations de cannabis, d’alcool et de tabac augmentent aussi de façon significative et les ivresses alcooliques sont plus fréquentes.
Enguerrand du Roscoät arrive à la conclusion que l’environnement amical n’est pas déterminant sur leur sensation de bien-être. Par contre, le cocon familial quel qu’il soit et le soutien qu’il apporte seraient un rempart aux émotions négatives des adolescents.
Le Département de la Seine-Saint-Denis a pensé aux adolescents qui n’osent pas parler à leurs parents de sujets qui les concernent. Il y a dix ans, il a ouvert un espace de prévention dans le centre commercial Rosny 2 à leur intention. Depuis, Tête à tête a vu passer 200 000 visiteurs.
Sa responsable, Évelyne Dorvillius, confirme : « Beaucoup de structures de prévention travaillent à la prise en charge des conduites à risques. C’est cet ensemble de mesures, mises en place par le Département et les associations, qui commencent à payer. Mais en matière de prévention, rien n’est acquis ! » « D’autant que ceux qui vont mal vont peut-être plus mal qu’ailleurs », ajoute Dorothée Lamarche, cheffe de la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques pour la Seine-Saint-Denis.
Des adolescents plus sages ?
Le cocon familial a aussi ses revers. Les ados du 93 sont plus nombreux que leurs homologues parisiens devant leurs écrans (2). Que ce soit pour la télévision, qu’ils sont huit sur dix à regarder plus de 2 heures par jour, ou les jeux vidéo : « Les parents d’aujourd’hui me disent : “ J’aime mieux qu’ils restent sur leurs jeux vidéo plutôt qu’ils trainent dehors”, explique Malik, de l’association Mozaïk d’Aubervilliers, en rappelant que les années 80 ont vu mourir une grande quantité de jeunes. »
Stanislas Spilka ajoute : « 11-15 ans est l’âge où il y a une omniprésence des écrans. Des jeux vidéo on passe au smartphone et on utilise les réseaux sociaux tous les jours. Des pratiques problématiques apparaissent dès le collège, où des élèves arrêtent d’aller en cours pour aller sur les écrans. Les garçons sont plus touchés que les filles. »
Déconstruire les clichés
Cette enquête internationale* permet, pour la première fois, d’avoir des résultats précis sur la Seine-Saint-Denis. « Il ne s’agit pas d’un sondage mais bien d’une enquête scientifique. Soit un an de mise en œuvre, un an de passation, un an d’analyse pour arriver à dire les choses les plus proches de la réalité. » Et Stanislas Spilka de conclure : « Derrière un territoire, il y a énormément de représentations. Nos enquêtes permettent de dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, de déconstruire les clichés. »
(1) 11 % des collégiens ont répondu « 10 » à Paris et 13 % au national). D’où vient cet enthousiasme ?
(2) 55 % des enfants de Seine-Saint-Denis, contre 44 % des enfants parisiens, et 49 % des résultats nationaux.
Emmanuelle Godeau, médecin de santé publique, médecin conseiller au rectorat de Toulouse et chercheuse INSERM, dirige l’enquête HBSC-France depuis 2000
« L’enquête montre plusieurs réalités de la scolarisation des enfants handicapés : 3 % des enfants « valides » disent ne pas aimer l’école, 2 % des élèves en situation de handicap scolarisés dans une classe tout-venant et presque 5 % des élèves scolarisés en ULIS. »
Bruno Falissard, pédopsychiatre et biostatisticien
« Les collégiens vont bien. Quand on leur demande comment ils se sentent dans leur vie, 80 % disent qu’ils se sentent bien, 10 % neutre, 10 % pas bien. C’est spectaculaire ! »
Évelyne Dorvillius responsable de Tête à tête
« Notre expérience nous montre que les plus jeunes sont très peu à consommer du tabac, de l’alcool ou du cannabis en Seine-Saint-Denis. »
Amour
La vie amoureuse ne fait pas partie des priorités des ados, et ce même s’ils déclarent être tombés amoureux ou être sorti avec quelqu’un pendant les années de collège. En Seine-Saint-Denis, l’amour est même vécu de façon très platonique. Très peu des 11-15 ans ont eu des rapports sexuels.
Racket
Il reste marginal (2 %). C’est chez les élèves de sixième, et notamment les garçons, qu’il est le plus fréquent. Dans leur très grande majorité, les ados n’ont jamais connu la violence au sein ou aux abords du collège.
École
Dans leur majorité, les collégiens déclarent aimer l’école : près de 2 sur 3. Une perception qui s’altère nettement entre le début et la fin du collège. Ils sont peu à être stressés par le travail scolaire. La moitié d’entre eux reconnaissent avoir de bons, voire de très bons résultats scolaires.
Cannabis
En matière d’expérimentation du cannabis, la troisième est une classe charnière en Seine-Saint-Denis. Avant, cela concerne très peu d’élèves. En classe de sixième, seul 1 élève sur 100 l’a expérimenté, en cinquième on trouve 2 élèves sur 100 et en classe de quatrième 3 élèves sur 100. Au plan national, en 2014, 1 élève sur 10 de quatrième déclare avoir déjà expérimenté du cannabis. Ils sont 24 %, soit presque un sur 4, en classe de troisième.
Inégalités géographiques
Même au sein du département, il y a une inégalité géographique. L’est du département – selon un axe allant de Tremblay à Noisy-le-Grand – est plus touché par les alcoolisations ponctuelles importantes (soit 5 verres en une même occasion), les consommations de tabac ainsi que les usages de cannabis, que l’ouest du département. Et ce quels que soient ces usages, quotidiens, réguliers ou exceptionnels. (Selon une étude réalisée elle aussi par l’OFDT en 2014 auprès des d’adolescents de 17 ans – enquête Escapad).
Retrouvez les résultats et analyses de l’enquête HBSC 2014 France sur www.cairn.info
Trois questions à Stéphane Troussel
Propos recueillis par Sabine Cassou
Une enquête internationale s’intéresse au bien-être des ados de la Seine-Saint-Denis. Premier constat : les 11-15 ans sont au sommet de l’échelle du bonheur. Cela vous surprend-il ?
C’est encourageant et cela ne me surprend pas complètement. Ce résultat va à l’encontre des idées reçues sur la Seine-Saint-Denis… Lors de mes discussions avec des collégiens, je constate leur enthousiasme et leur envie de réussir. Beaucoup d’entre eux s’engagent positivement dans la vie de leur quartier, de leur collège. Et cela témoigne d’une forme d’optimisme quant à leur avenir. Les jeunes constatent une évolution, avec de grands projets comme les JO 2024 et l’arrivée de nouveaux transports. Ces transformations à venir contribuent, je pense, à leurs espérances.
Deuxième constat : le soutien familial est le rempart indispensable pour réguler les comportements dits à risques. Quand ce soutien est affaibli, les institutions peuvent-elles prendre le relais ?
Je suis convaincu que le soutien bienveillant des adultes est déterminant pour aider les jeunes à se construire. Même dans les familles où la vie est difficile, et contrairement à ce que l’on entend parfois, elles s’investissent dans l’école et dans l’éducation. Par contre, quand ça décroche du côté des adultes, les conséquences peuvent être très lourdes. Alors oui, les institutions au sens large sont un relais naturel et indispensable. Je pense à l’infirmier du collège, à l’éducateur sportif, à l’enseignant, à l’animateur prévention. Accueillir, entourer, écouter, informer les jeunes, c’est notre rôle à tous.
Quelles mesures le Département met-il en place pour la jeunesse, la santé et la prévention ?
Nous menons depuis des années une politique publique forte autour de la protection de l’enfance. C’est une partie de l’ADN de ce département. Mais cela implique de travailler en permanence avec l’ensemble des acteurs pour trouver des solutions. .Nous y consacrons des moyens importants à travers les projets éducatifs dans les crèches, les PMI, les collèges, l’espace Tête à tête. Nous devons continuer sur cette piste de l’innovation au service de la jeunesse.
Une enquête internationale
L’enquête HBSC (pour Health Behaviour in School-aged Children) a concerné 200 000 jeunes âgés de 11 à 15 ans dans 43 pays. Elle est réalisée tous les 4 ans depuis 1982 sous l’égide du bureau Europe de l’Organisation mondiale de la santé. Cette enquête internationale permet d’avoir des résultats précis sur la Seine-Saint-Denis – et sur Paris également – en ayant mobilisé des échantillons plus importants de jeunes collégiens séquano-dionysiens et parisiens. Commandée à l’OFDT par la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques (MMPCR) et portée par les Départements de la Seine-Saint-Denis et de Paris, c’est la première fois qu’elle analyse des résultats au niveau départemental.
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