Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°23)
Début de la saison des restitutions qui marquent la fin d’une année scolaire In Situ avec le concert des collégiens de Joliot-Curie à la Philharmonie.
La journaliste Bahar Makooi a suivi pour nous ce moment phare, le 23 mai dernier.
Épisode 23
Où est mon père ?
Plus que quatre heures avant les premières notes du concert des 6èmes « Ellington » de Pantin à la Philharmonie...
Les enfants se sont mis sur leur trente et un. Surtout Nadir. Discrètement il glisse dans sa poche, une brosse en plastique ronde qu’il vient de passer dans ses cheveux pour la troisième fois. Ayoub, jolie tignasse, et Melvin, les cheveux à ras, n’auront pas manqué de la lui emprunter pour plaquer, eux aussi, la petite mèche, même s’ils en sont dépourvus.
La petite troupe impétueuse a du mal à cacher son excitation, aussi leur professeur de musique Edith-Laure, déploie beaucoup d’énergie pour ordonner le flux d’élèves dans la rue. La Philharmonie se trouve à dix minutes à pied du collège Joliot-Curie. C’est la quatrième fois que les 6èmes traversent le périphérique pour y retrouver les musiciens de l’orchestre Les Siècles.
« Avant les ateliers, je savais déjà que c’était un endroit où les stars venaient » dit Noura.
« Moi, mon père il m’avait déjà dit que c’était un théâtre », explique Hadjer.
Au feu rouge, un automobiliste s’amuse à la vue de cette bande d’étuis de violoncelles sur pattes, qui avance seule et court en accordéon sur le trottoir. Plus loin, à l’approche de Paris, un cycliste fonce dans le tas en sifflant, agacé par cet amas d’enfants venus stopper sa course. Dans la foulée, une gamine fait tomber son violon. La plupart des 6es sont plus petits que les instruments qu’ils transportent sur le dos, ce qui leur donne une allure de pingouins. D’ailleurs Edith-Laure a dû décharger l’un d’entre eux, Ismaël, qui n’arrivait plus à avancer. A cause des longues lanières de son étui, le violoncelle venait frapper ses mollets.
Plus que 200 mètres avant l’entrée de la Philharmonie et fuguent déjà au loin quelques notes de musique qui s’échappent de l’un des bâtiments bordant l’édifice. Une mélodie interrompue par Melvin. Trop occupé à plaisanter avec Ismaël, il se prend les pieds dans un plot en béton et fait un vol plané avec son violoncelle. La sentence du professeur tombe : « Melvin, c’est grave ! Vous auriez pu abîmer votre instruments ! Je ne veux plus avoir à vous faire de remarque ! ».
Melvin n’avance plus. Il reste scotché au plot qui l’a fait trébucher. Il dit ne plus vouloir jouer cet après-midi. L’adolescent naissant baisse la tête et boude.
« Vraiment sur la vie de ta mère tu joues pas ? », demande Aslan.
« Laissez vos mères tranquilles, elles n’ont rien à voir dans l’histoire », ordonne le professeur de français venu prêter main forte à Edith-Laure. « Je n’ai pas fait le déplacement pour vous entendre ne pas jouer ! », dit-elle. Après quelques minutes et un peu d’attention, elle parviendra à convaincre Melvin de rejoindre le groupe.
Plus que trois heures avant le concert...
La violoncelliste des Siècles, Jenny, place les enfants sur scène pour la répétition. Pendant que les musiciens accordent les instruments, les filles font des selfies. Nadir à son voisin : « Dis-moi, est-ce que je suis beau gosse ? ». Ayoub : « Oui, prête-moi ta brosse ». Pendant ce temps, Melvin rouspète. Il n’aime pas la place qu’on lui a attribuée. Jenny vient lui glisser quelques mots à l’oreille : « Reste calme s’il-te-plaît. On s’est battu pour que tu sois là aujourd’hui et on est très content que tu joues ». Finalement, il se retrouvera au fond à gauche.
Laetitia prend la place du chef d’orchestre. Elle envoie les pizzicato, trémolos, longues blanches... Alterne exercices et conseils.
« Myriam respire avec tes poumons. Des groooos poumons ! »
« Les violons, ne soyez pas timides, vous savez ce que vous faites, et vous le faites bien ! Alors allez-y ! Mettez le paquet ! »
« C’est pas mal du tout ! Ça revient ! »
« On respire à fond parce que tout à l’heure, avec un peu de stress vous allez avoir du mal à faire entrer l’air ! »
Je demande à Nadir s’il a le trac. « Non, c’est la cinquième fois que je monte sur scène. J’ai fait de la danse », me lance-t-il le sourcil relevé. Absorbé par la musique, Melvin semble avoir oublié qu’il avait refusé de jouer « sur la vie de sa mère » une heure plus tôt. Il a Laetitia dans son champ de vision, ne la quitte pas des yeux et pince ses cordes parfaitement en rythme.
Laetitia ne laisse rien au hasard. Avant de laisser filer les enfants, elle passe en revue l’entrée, la sortie, le placement et même l’organisation des applaudissements. « Mais ça a duré deux secondes cette répèt’ ! » râle Melvin.
Plus que deux heures avant le concert...
@Franck Rondot
« C’est nous les stars ! Là c’est la loge de PNL ! Là c’est Booba ! Et là c’est nous ! ». Les filles défilent dans les couloirs, où sont exposés les « flight case » des musiciens de l’orchestre de Paris. Sur chaque boîte est peint leurs noms dans une police désuète.
Les couloirs de la Philharmonie prennent des allures de collège. Les rires et les bavardages des trente collégiens qui se bousculent résonnent et brisent la rumeur des notes de musique s’échappant de chacune des nombreuses salles de répétition de l’étage. Un technicien passe et grimace. Il doit avoir l’oreille sensible.
Le temps d’une pause, dans la salle de répétition, Ismaël prend la place du chef d’orchestre et bat la mesure, suivi au violon par Marie, une altiste des Siècles, sous le charme du collégien espiègle. Laetitia propose une dernière répétition.
« On ne garde pas notre énergie pour le concert ? », s’émeut Tony.
« Ne t’inquiète pas », le rassure celle que les enfants surnomme « Laeti ». « J’en sais quelque chose, il y a une énergie ’spéciale concert’. Elle va venir toute seule ! »
« Et comment elle vient à nous ? », s’exclame Melvin.
« Tu la sentiras venir au moment venu, dans quelques minutes, ne t’en fais pas ! », répète Laeti.
Plus qu’une heure avant le concert...
Melvin a perdu son archet. Tout le monde se met à le chercher. Il s’était glissé sous la chaise d’une camarade. Fausse alerte.
« Prends pas ce T-shirt ! », glisse Hadjer à son voisin, « tu vas ressembler à une frite ! ».
« Madame, c’est moche le jaune non ? », me demande Aslan. Je lui réponds que c’est la couleur du soleil. « Bah justement... ça attire trop ! » marmonne-t-il avant d’exiger un T-shirt noir. Le mot passe et la plupart des enfants refusent d’enfiler les T-shirt jaunes distribués par Les Siècles préférant le modèle plus sombre. Nadir est bien embêté, il a hérité d’un jaune. Il ne dit rien mais sort sa brosse de sa poche et passe un dernier coup dans ses cheveux avant de la ranger avec son archet. Le professeur qui a perçu sa déception, réussit à lui dégoter un T-shirt noir, comme les autres.
« Les violoncelles ! Rentrez vos piques ! Les violons ! Vous disposez la pointe de vos archets vers le bas ! On y va ! », lance Jenny.
Dans les couloirs, Noura s’inquiète de la présence de sa petite sœur. « Elle va avoir peur. La dernière fois, elle est venue à ma compét’ de judo et elle s’est mise à pleurer quand on m’a fait tomber parterre. Ça m’a trop déconcentrée ! »
Ismaël, haut comme trois pommes, se retourne vers sa bande : « Hey Melvin ! Je pense que mes parents ne sont pas là... comme d’hab’ ! »
« Mais ta mère elle viendra », le rassure Tony.
Ismaël hausse les épaules : « Peut-être... mais mon père en tout cas, il ne sera pas là ».
19h45...
Les applaudissements du public résonnent jusqu’aux coulisses.
Dans la bande des filles, Rayanna respire de plus en plus fort. Les autres plaisantent avec les garçons. « C’est normal le trac. Si tu n’as pas le trac, c’est que tu n’es pas investi », lui murmure Laetitia. Et Jenny de remotiver les troupes : « On est très content du travail que vous avez fait. Normalement, les gens ne jouent pas cette pièce de Stravinsky avant l’âge de 20 ans ! C’est incroyable ce que vous avez fait ! Vous devez le montrer à tout le monde maintenant ! »
« Allez la 6ème Ellie ! ... » lance leur chef d’orchestre.
« … à la Philharmonie !!! » scandent les enfants.
Et les 6ème « Ellie » entrent sur scène, les yeux rivés sur leurs spectateurs. Ismaël, gêné par les projecteurs, plisse les yeux pour tenter de repérer ses parents. Dans le public, les adultes sortent les téléphones portables et filment leurs petits. Le professeur de musique est fière. Elle les filme aussi. La ronde de Printemps, la Danse des adolescentes, Golliwogg’s cake-walk. Les enfants se débrouillent très bien. A la sortie, ils sont encore sous adrénaline, ils se trompent de chemin et se perdent dans les couloirs de la Philharmonie. Leurs esprits et leur professeur retrouvés, les impressions fusent : « Oh la honte ! » raconte Noura entre deux grandes respirations. « Ma mère, elle pleurait, alors ma petite sœur s’est mise à pleurer aussi... encore une fois ». Ismaël, lui, n’est pas parvenu à apercevoir sa famille.
Les enfants sont reconduits jusqu’aux parents qui ont fait le déplacement. C’est l’occasion pour moi de jouer à reconstituer les paires. Celle-ci, la blonde, c’est la maman de Tony, l’un des seuls à avoir des cheveux châtains dans la classe. Ses frères et sœurs lui ressemblent. La mère de Melvin, elle, paraît plus sévère que ce que j’avais imaginé, mais devient tout sourire lorsqu’on lui parle de son fils.
Plusieurs enfants sans parent restent avec le professeur. Je cherche Ismaël. A mon grand soulagement il n’en fait pas partie. Je l’aperçois en bonne compagnie, avec sa mère. Le gamin s’est blotti contre le torse de son papa. Je l’avais repéré dans le public, mais je ne savais pas qu’il s’agissait de son père. L’homme passe la main sur la joue de son fils pendant qu’Ismaël, toujours blotti, semble savourer l’instant et lève les yeux pour mieux le regarder faire.
Prochain épisode : Au collège Louise-Michel de Clichy-sous-bois pour la restitution de Dominique Brun et ses danseurs.
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