Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°22)
Le photographe Marco Castilla a rejoint les 3e du collège Albert Camus à Rosny-sous-bois. Pour cette première rencontre, il se livre et leur raconte son histoire d’amour avec la Tour de Babel.
Épisode 22
Les folies verticales de Marco
Au premier rang, un collégien bondit quand Marco Castilla prend la parole. L’instant d’avant, il avait caché sa tête sous ses bras, la joue collée à la table, engoncé dans la fourrure de sa doudoune à capuche. Dehors il fait froid, dans la classe, le chauffage est brûlant et l’atmosphère propice à se laisser bercer.
« Elle a existé, la Tour de Babel, au sud de Bagdad, à Babylone », raconte le photographe et plasticien, qui reprend aujourd’hui la résidence au collège Albert Camus de Rosny-sous-bois. « Ce sont des esclaves qui ont été chargés de la bâtir. Savez-vous à quoi sert la Tour de Babel ? », demande Marco. « A se rapprocher du paradis », « à prier », « à monter haut pour toucher Dieu », répondent les troisièmes.
Dans un élan mécanique, tous attrapent une règle et tracent un trait pour marquer la séparation avec l’exercice précédent. Dans la salle j’entends les « stylos quatre couleurs » claquer. Accrochés à leur cahier, les collégiens recopient mot à mot ce que Cécile Ladjali a commencé à écrire au tableau. L’auteure est présente aujourd’hui pour passer le flambeau à son acolyte photographe. Les mots défilent à mesure que Marco raconte. « Mésopotamie ». « écriture cunéiforme ». « Nimrod le dompteur de tigre ». Les filles écrivent avec des lettres rondes, prenant le temps d’inscrire d’harmonieux petits cercles sur la barre des « i ». « Nabuchodonosor ». « Etememnanki ».
Celui-là leur pose un sérieux problème. Etememnanki ? C’est le nom d’une « ziggourat ». Une quoi ? Une « ziggourat », c’est un édifice religieux mésopotamien, explique Cécile, amoureuse des mots et amusée par cet enchaînement de lettres qu’elle-même ne parvient pas à prononcer : « Essayez de le dire, c’est un challenge ». « Etememnanki … Etmemnanki » chuchotent quelques collégiens.
Marco, qui projette des photos au mur, passe de Persepolis à Fritz Lang. « Dans Métropolis, vous avez des ouvriers qui travaillent comme des chiens pour subvenir aux besoin des riches. Eux vivent dans des jardins suspendus. Fritz Lang s’est inspiré de la Tour de Babel » Les enfants sont un peu bousculés par ces bonds temporels, mais ils restent attentifs et continuent de noter.
L’artiste leur confie ses inquiétudes quant au Babylone d’aujourd’hui. Babylone est en Irak et en Irak, il y a la guerre. Alors les archéologues ne peuvent plus accéder aux sites. Dans les années quatre-vingt-dix, Sadam Hussein s’est fait construire un palais en rognant sur une partie du site. Puis, pendant les deux guerres du Golfe, l’armée américaine a planté sa base devant ce qui aurait pu être la Tour de Babel. Ils l’ont appelé le camp Alpha et ils ont contribué à détruire une partie du site archéologique. « Vous savez, les hommes qui avaient construit cette Tour de Babel parlaient tous la même langue », explique Marco aux adolescents. « Mais Dieu les a punis pour leur orgueil, et aussi parce qu’ils avaient oublié de prier. Alors il décida de les disperser dans le monde et de briser cette langue commune qu’ils utilisaient. Certains voient ça comme une bénédiction : la multiplicité des langues et des cultures créent notre richesse. Mais par ce geste, il instaura aussi la guerre et la discorde ».
« Guerre et discorde » notent les élèves sur leur cahier.
« Ca vous dit quelque chose, les choux-fleurs de Créteil ? », poursuit le plasticien. Nanterre, les camemberts de Noisy-le-Grand... il passe en revue les réalisations architecturales phares de la banlieue parisienne. Les tours, ça parle aux collégiens de Rosny-sous-bois. Le collège Albert Camus est niché sur une colline que l’on appelle la Boissière et qui offre plusieurs très beaux points de vue sur l’est parisien. Sur cette colline, il y a une cité que l’on aperçoit depuis l’autoroute A86. Une dizaine de tours beiges et brunes autrefois, ravalées et roses aujourd’hui. C’est dans l’une d’entre elles que j’ai grandi, au quinzième étage précisément. Adolescente, je me souviens avoir passé des heures à observer l’horizon depuis ma chambre, avec des rituels. En fin de journée, depuis la cité de la Boissière, les camemberts de Noisy-le-Grand flambent. Le soleil, qui se couche à l’Ouest se reflète dans les centaines de fenêtres des édifices en forme de cercle. De loin, les deux immeubles noiséens aveuglent et défient quiconque ose les regarder avec trop d’insistance. Je ne suis pas la seule à reconnaître ces constructions : à la vue du cliché, les troisièmes lèvent la tête et acquiescent.
Marco a fabriqué sa propre tour, sa « Tour de Babel ». Elle fait 8 mètres de haut. Au fond de la classe, Mehdi - l’élève arrivé en cour d’année si vous vous souvenez bien - se montre particulièrement désireux d’en savoir plus sur la logistique déployée par l’artiste pour transporter, démonter puis remonter son ouvrage. Les questions fusent : « Vous la construisez comment ? Combien de cartons vous avez utilisés ? Où avez-vous trouvé tous ces cartons ? Vous les avez achetés ? Mais ça coûte cher ? Elle coûte cher si vous la vendez ? Comment vous la transportez ? »
« Je vous montre », propose Marco. Mais c’est le moment que choisit le soleil pour illuminer la classe et un grand rayon de soleil vient se poser très exactement sur l’écran du rétroprojecteur. La Tour de Babel disparaît sur ce tableau blanc. Les élèves aimeraient la voir. « Elle sera exposée à l’espace culturel Georges Simenon », rassure leur professeur de Français.
Prochain épisode : Les 6ème du collège Joliot-Curie de Pantin donnent un grand concert à la Philharmonie, accompagnés par les musiciens de l’orchestre Les Siècles.
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