Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°20)
Aujourd’hui, les 4e du collège Joséphine-Baker à Saint-Ouen reçoivent la comédienne et metteur en scène Marie Piémontèse et la documentariste radio Fabienne Laumonier. Reportage.
Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires elles-mêmes de Seine-Saint-Denis, rendent compte d’une résidence artistique dans un collège du département.
EPISODE 20
La petite Histoire de France
Marie Piémontèse, le doigt sur la bouche, me fait signe d’entrer. Je la rejoins sur la pointe des pieds. Nadir est assis face à elle, il a calé ses mains entre les jambes et avance timidement les lèvres vers le micro : « Autour de Saint-Ouen il y a Aubervilliers »... il réfléchit, fait traîner le « a », plisse les yeux et cherche. « Autour de Saint-Ouen, il y a ... Saint-Denis. Autour de Saint-Ouen, il y a ... Asnières ».
« Tu sais Nadir, tu as le droit d’imaginer loin ! » l’encourage Fabienne Laumonier. Documentariste radio, elle accompagne Marie sur de nombreux projets. Cette semaine elle a apporté avec elle son matériel d’enregistrement au collège Joséphine-Baker.
Nadir poursuit, face à ses bienveillantes auditrices : « Autour de Saint-Ouen, il y a... le Maroc, autour de Saint-Ouen il y a l’Asie, autour de Saint-Ouen il y a la Corée du Sud, autour de Saint-Ouen c’est l’Amérique ». Son rythme se fait plus rapide : « Autour de Saint-Ouen, il y a beaucoup de choses que je ne connais pas et que j’aimerais visiter, il y a d’autres religions ». À présent Nadir ne respire plus entre ses phrases et il a libéré ses mains qu’il agite en parlant : « Autour de Saint-Ouen il y a d’autres coutumes, autour de Saint-Ouen il y a d’autres océans, autour de Saint-Ouen il y a des montagnes ».
Quelques secondes de silence s’écoulent avant qu’un autre camarade ne vienne s’asseoir à sa place devant le micro. Tour à tour, les collégiens défilent tandis que Marie et Fabienne capturent leur imaginaire sur la carte mémoire du Nagra.
Je suis épatée. La dernière fois que j’ai vu la classe de 4ème E, elle ne connaissait pas le silence. Dans un enthousiasme général, les adolescents s’amusaient à faire régner le chaos pendant l’heure et demie d’atelier. Nadir et ses amis n’étaient pas les derniers à y participer. Ils avaient lancé une joute verbale à partir de lancer de blagues. Plus précisément des « disquettes » comme me l’a appris Kelly, la muse des garçons de la classe.
Une disquette Madame ? C’est quand un mec essaie de draguer mais c’est trop raté.
Du genre ?
Du genre : « Hey ton père c’est pas un vendeur de Nutella ? Parce que toi t’es trop bonne », « Hey ton père c’est pas un terroriste ? Parce que toi t’es une bombe ! » m’a expliqué Naoufel, s’adressant à Kelly, à titre d’exemple bien entendu.
Là devant le micro ce matin, l’ambiance est bien différente. L’énergie est toute concentrée autour du micro. Marie a morcelé la classe, les élèves passent par petits groupes. À chaque enregistrement, l’un d’entre eux enfile le casque pour prendre des notes, accroché à la voix du camarade narrateur. Cette fois, on ne joue pas des coudes, on écoute le grain et on entend les silences. « Le micro permet aux plus timides de s’exprimer », se réjouit Marie. Elle découvre, par exemple, le phrasé posé de Mehdi, enfant dans un corps trop grand, très réservé dans ses prises de paroles en classe. Elle ne manque pas de lui dire : « Mehdi, tu as une très jolie voix. J’avais choisi ta voix pour passer un extrait dans mon spectacle, tu sais ça ? Tu avais reconnu ta voix ? ». Grand Mehdi, gêné, détourne le regard.
Dans un filet de voix, Tachadinan se lance après avoir été encouragé par Marie et Fabienne. Il n’était pas là lors de ma précédente visite au collège Joséphine Baker : « Je suis arrivé en milieu d’année, j’ai passé cinq mois en classe d’accueil, je suis venu en France en 2014, je ne parlais pas trop le français. J’habite à Saint-Ouen. De ma fenêtre je vois le stade et des usines. Au Sri Lanka, de ma fenêtre je voyais des arbres et des voisins ».
« Merci Tachadinan. C’était très doux », le rassure Marie. Elle a demandé aux élèves qui le souhaitent d’apporter un objet auquel ils tiennent vraiment. C’est au tour de Samy qui a oublié de prendre avec lui l’objet ce matin.
« Je voulais ramener un collier que j’ai depuis longtemps. Il est précieux parce que c’est un souvenir de ma famille, vu que je les vois pas souvent. Dès que je le touche je pense à eux. C’est un collier avec un signe kabyle. Ça ressemble au signe de ’Koh-Lanta’ avec un cercle qui pointe vers le ciel et un vers la terre. C’est ma mère qui me l’a offert en 2012 ».
Dehors, la récréation a sonné, mais peu importe. Les enfants écoutent Samy. De temps à autre, un élève à l’extérieur colle le nez à la vitre de la salle polyvalente où nous nous trouvons et qui donne sur la cour, un autre tape sur la paroi et ça nous ramène à Saint-Ouen.
« Oh les garçons ! » hurle le CPE du collège depuis la cour de récré.
« Autour de Saint-Ouen, il y a Marseille, il y a l’Australie... il y a le CPE qui crie » poursuit Samy.
Pour Woodlens, l’enregistrement est l’occasion de nous livrer une petite explication sur son nom. « Ça fait bizarre le micro, d’habitude je parle tout seul quand je pense. Je suis pas fou mais j’aime bien parler dans la tête, c’est bizarre, je sais », confie l’ado en survêtement crocodile.
« Je m’appelle Woodlens », reprend-il. « C’est original, je ne connais personne qui a ce prénom. J’aime bien, ça me différencie des autres. J’aime bien mais il faut avouer qu’il y a des gens qui le prononcent assez mal ».
« Je suis originaire d’Haïti », poursuit Woodlens. Le garçon s’arrête. « Ça me fait trop bizarre de dire que c’est à côté de Saint-Ouen », s’excuse-t-il auprès de Marie et Fabienne, avant de s’expliquer : « C’est que c’est très différent de Saint-Ouen. Là-bas il y a des chiens abandonnés, il suffit de faire 30 minutes pour arriver à la mer, là-bas c’est gratuit y’a la forêt, on n’est pas obligé de payer pour aller au musée », finit Woodlens.
Marie semble émue. Réussir à les faire parler est précieux. Elle a touché l’intime. « Ils ont de quoi être fiers ! Et j’aimerais que leurs témoignages rayonnent en dehors de ce collège », m’explique-t-elle. C’est pourquoi la metteur en scène a décidé de donner les enregistrements qu’elle et Fabienne ont collectés au musée national de l’Histoire de l’immigration. Ainsi les enfants prendront conscience que leurs récits s’inscrivent dans l’Histoire de France.
NB : Les photos de cet article proviennent d’un autre reportage, effectué fin 2015, au collège Jean-Jaurès de Montfermeil.
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