Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°15)
Aujourd’hui, les confidences iraniennes de Cécile Ladjali aux élèves de 3e du collège Albert Camus de Rosny-sous-bois.
EPISODE 15
De quelle couleur est le ciel de Téhéran ?
« Ces jours-ci, je regarde tout comme une fin. Partout où je vais, je me dis que j’y vais pour la dernière fois, que je ne reverrai plus ces paysages. J’essaie de ne garder aucun souvenir. Quand je serai là-bas, je ne veux pas penser au dehors, ça me ferait souffrir. Je vivrai le moment seule avec moi-même... » A l’écran, Mahnaz Mohammadi regarde la caméra et baisse les yeux. Le lendemain, elle franchira la porte d’une prison de Téhéran, où elle doit être incarcérée. Dans ce petit film, diffusé sur Youtube, la comédienne et documentariste iranienne fait sa valise. Un épais sac à dos de randonnée dans lequel elle a pris soin de glisser de nombreux livres de philosophie, un essai sur l’Histoire du droit des femmes et aussi « Gérer sa colère pour les Nuls » en farsi, parce qu’elle ne veut pas céder à ce sentiment qu’elle exècre, raconte-t-elle. Elle vient d’être condamnée à cinq ans de prison pour propagande contre le régime.
Mahnaz aurait-elle imaginé en tournant cette vidéo il y a trois ans, qu’un jour des collégiens de Rosny-sous-bois la regarderaient droit dans les yeux à l’autre bout du monde ? Dans la classe des 3es ce matin, les adolescents l’écoutent s’exprimer en persan. La vidéo est sous-titrée mais le regard de Mahnaz et sa voix qui déraille quand elle avoue que ça va être « difficile » suffisent à les scotcher devant le tableau veleda, où Cécile Ladjali a projeté l’extrait.
La romancière, qui prépare un prochain livre dont l’intrigue se situe dans la capitale iranienne, explique aux élèves qu’elle compte rendre visite à Mahnaz dans moins d’une semaine à Téhéran. « Je suis très excitée à l’idée de rencontrer cette courageuse réalisatrice », confie Cécile aux adolescents. La jeune femme a été libérée, mais elle vit sous surveillance étroite depuis.
Moi-même, j’ai rencontré Mahnaz pour la première fois en 2008 à Téhéran, je collaborais alors avec une équipe de la télévision française. Elle était une jeune réalisatrice intrépide, et elle tournait à l’époque un documentaire sur le port du voile. Elle parlait fort, riait fort, souriait fort et ouvrait grand des yeux déjà grands. Ce genre de femme iranienne vous fait sentir toute nulle. Ici, en France, on ne se bat plus vraiment, la plupart de nos droits étant déjà acquis... du moins en apparence. En Iran, à leurs côtés j’apprends à parler fort, rire fort et sourire fort moi aussi. Ça paraît anodin, mais au quotidien, il faut déployer beaucoup d’énergie pour exister. Par exemple, pour s’imposer dans une file d’attente, car le type du guichet est capable de vous ignorer ouvertement, de rester sourd à vos « Excusez-moi Monsieur ! », « Euh... s’il-vous-plaît ! », « Monsieur ? », « Mon ?...sieur ? »... et de s’adresser sous vos yeux écarquillés, sans aucun scrupule, à l’homme placé derrière vous dans la queue. Une fois, une seule, j’ai laissé cela arriver. Le soir venu, j’ai repensé à mes cousines qui supportent ces files d’attente interminables depuis des années. J’en ai tant pleuré que plus jamais je n’ai fermé ma bouche.
Le visage de Mahnaz, comme un rappel, est resté figé sur le tableau veleda de la salle de français depuis le début de l’atelier. « Pourquoi elle n’essaie pas de s’enfuir au lieu de se rendre ? » s’étonne Jean-Luc. Le film a suscité des interrogations chez les élèves de 3e, davantage chez les garçons que chez les filles de la classe étonnamment. Adriano, Jean-Luc, Patrick se lancent dans une série de questions : « Combien de temps va-t-elle passer derrière les barreaux ? », « Est-ce qu’elle a peur ? », « Les autres prisonniers ils se sont comportés comment avec elle ? », « Quel est son plat préféré ? »... Cécile propose de transmettre à Mahnaz et promet de revenir voir les élèves avec les réponses dans un mois.
La rencontre avec la documentariste iranienne est très importante pour l’auteur. Mahnaz n’est pas simplement réalisatrice, elle est aussi une militante féministe, qui observe et dénonce les conséquences de l’identité sexuelle dans la société iranienne. Or dans le roman de Cécile, le genre de son personnage principal est au cœur de l’intrigue. Elle explique aux élèves qu’elle se pose de nombreuses questions elle aussi, qu’elle a besoin d’une multitude de détails pour nourrir son récit. Combien de kilomètres son héro(ïne) peut-il ou elle parcourir à pied, en pleine nuit, dans cette jungle urbaine ? Où s’arrêterait-il ou elle pour manger ? Quel regard les passants porteront sur ce personnage androgyne ? Ou plus simplement... de quelle couleur est le ciel de Téhéran ?
Ce dernier détail a accroché les adolescents, qui, le temps d’un travail d’écriture, se mettent à la place de Mahnaz, tout juste sortie de prison.
« Cette lumière m’a éblouie. La lumière de la prison est blanche, comme dans un hôpital. La liberté, je ne la connaissais plus, toutes ces odeurs, mon marché aux épices... » écrit Patrick.
« Les hommes en noir qui sont venus me chercher dans ma cellule. Les portes qui se referment dans un fracas métallique. Mes yeux accrochés aux lampadaires. Le vent de la montagne. » imagine Ilona.
Prochain épisode : Avec les élèves du collège Jean-Vilar de La Courneuve, dans le cadre de la résidence de la compagnie Kiaï
Légende photo : Cécile Ladjali en résidence avec le photographe Marco Castilla pour la classe de 3ème1 du collège Albert-Camus à Rosny-sous-Bois.
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