IN SITU Résidences artistiques - Le feuilleton

Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°12)

Aujourd’hui, visite au collège Joséphine-Baker à Saint-Ouen, pour la résidence avec la comédienne, auteure et metteure en scène Marie Piémontèse.

Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires de Seine-Saint-Denis, rendent compte des résidences artistiques dans 10 établissements du département.

Épisode 12 : Paris sous la mer

« Madame ! Est-ce que c’est passé dans la loi de pouvoir se promener tout nu ? », demande Mamadou, entouré par les pinceaux, les pots de peintures, et les travaux inachevés des précédents camarades. Dans la salle d’arts plastiques du collège Joséphine Baker, Kelly, Mamadou, Sarah, Aya, tendent l’oreille pour s’emparer de la réponse de Marie Piémontèse. La question fait suite à d’intenses échanges autour de leur table.

« On n’a pas le droit de se balader nu en France, c’est interdit par la loi, sauf dans des lieux particuliers et réservés », répond Marie.
 « Tu vois je te l’avais dit ! », lance Kelly, tournée vers Mamadou, le sourcil relevé.



Au tableau, Marie a inscrit plusieurs phrases : « coutume » / « Arabie Saoudite » / « Pays riche » / « Pays pauvre » / « Raser des quartiers » / « Construire des tours » … Elle m’expliquera plus tard que le débat sur les nudistes a émergé après avoir discuté de la différence entre les coutumes, les lois, puis de l’obligation du port du voile en Arabie Saoudite.

Marie est comédienne et metteur en scène, elle cherche à récolter des éléments sur les élèves de la 4ème E qui pourraient servir à écrire une pièce de théâtre à soixante mains. Pas facile pourtant de capter l’attention de tous les adolescents ce matin. Dans la salle de classe, il faut chaud, certaines vitres condensent, les rideaux sont tirés car le soleil d’hiver essaie de taper l’incruste. Loin de plonger le groupe dans le sommeil, la chaleur semble avoir diffusé dans l’air un parfum d’euphorie. L’ambiance générale est à la blague. Les garçons se tchipent, les filles pouffent et bavardent. J’entends aussi le claquement d’une bulle de chewing-gum.

« Range ton téléphone Naoufel ou partage avec nous ce que tu fais ? », intervient Marie, qui se retrouve bien seule sans le professeur ce matin. 

Après quelques secondes de répit, Naoufel recommence, Hubert se balance sur sa chaise, Jonathan rit un peu fort, les filles piaillent.

« Ca ne vous intéresse pas ? », lance Marie, qui a haussé le ton. « Là vous vous comportez comme des élèves, moi je vous parle comme des êtres humains. Vous connaissez mon travail pourtant, vous êtes venus voir mon spectacle. Soyez polis, toutes ces questions c’est pour vous connaître, pour écrire avec vous ».

 Sur ce, l’échange reprend. « De quel pays vous sentez-vous le plus proche en dehors de la France ? » demande Marie.

« Le Mali et la Côte d’Ivoire », répond Mamadou du tac au tac. « Les pays de ma famille ! »
« La Bretagne ! », crie Jonathan à son tour avec le même enthousiasme.
« La Bretagne c’est dans la France ! », corrige Naoufel.
« Pour moi c’est pas la France », poursuit Jonathan. « Je ne sais pas comment expliquer j’ai toujours vu la Bretagne comme ça ».
« Bah c’est plus blanc, il y a des Français purs ! », ajoute Mamadou.
« C’est pas comme à Saint-Ouen, où il y a des Arabes. Saint-Ouen c’est mille couleurs », intervient Samy.
« Il y a même du violet ! », conclut Hubert. 
« Ouais du violet... », répète Samy.


Les autres acquiescent en riant et le brouhaha reprend. Les garçons se tchipent, les filles bavardent, interrompues soudainement par Marie, qui prend un ton martial et jette dans la pièce un « Bon ! Vous prenez une feuille ! », suivi d’un « Oh nooon ! » général. Tous savent bien ce qui vient après... et ça ne tarde pas à tomber. Dans un élan bref et franc, Marie se lâche : « Interro écrite ».

Bien vite elle se tourne vers moi et me fait un clin d’œil. Elle s’empare d’un feutre velleda, dont l’odeur chatouille le nez. « Dans ma carte imaginaire, ... » inscrit-elle en vert au tableau.

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Dans la classe tous recopient automatiquement, prenant soin de bien appuyer les lettres une par une au stylo bille. Tous, sans broncher, sauf Hubert. Il lève le nez, me regarde, et dit : « J’ai R [rien] compris ».

A ses côtés, un camarade plus inspiré écrit : « Dans ma carte imaginaire, il y a la méditerranée à proximité de la FNAC. Tu prends la ligne 4 et tu peux aller te baigner. »

A la table de Mamadou, les filles papotent encore, de la carte imaginaire cette fois.
  Le sable c’est salé tu crois ? 
- Comme l’eau de la mer !
- L’eau de la mer c’est salé ?


Pendant ce temps, Aya a inscrit : « Dans ma carte imaginaire, il y aurait que l’Algérie avec de l’eau autour ». Le monde d’Aya fait sourire Marie. Elle connaît bien l’Algérie. L’artiste française a passé son enfance de l’autre côté de la méditerranée auprès de ses grands-parents. Les enfants de la classe lui parlent souvent de la famille, de l’éloignement, de leurs liens affectifs. Elle aime quand ils prennent le risque de se découvrir franchement. « Je leur dit toujours qu’il faut penser » dit Marie, tout en ramassant les copies. La sonnerie a retenti, à peine le temps de se dire au revoir, tous ont filé. Marie m’emmène avec elle dans la salle que le collège lui a attribuée, ses trésors sous le bras. Les bribes de texte lui serviront de base aux improvisations avec les élèves, prévues quelques jours plus tard. On en déplie un dernier toutes les deux : « Dans ma carte imaginaire, la France va mourir, noyée par un tsunami ».

On se regarde en silence.

Depuis je voudrais savoir.

Voulait-il parler d’une gigantesque vague d’amour ravageuse ? Fait-il référence à l’époque où – il y a 45 millions d’années – Paris était immergée sous une mer tropicale ? Ou bien, a-t-il voulu nous alerter ? Nous, qui a la manière des pêcheurs, bien trop occupés à partir en mer, ne percevons rien au large, allons-nous retrouver notre port ravagé par un raz-de-marée au retour de la pêche ? J’ai hâte de retrouver Marie et le jeune auteur pour qu’il m’explique. Car depuis cette lecture, mon imagination d’adulte politisée n’arrive plus à se défaire de son trait d’esprit d’enfant.


Dans le prochain épisode, nous retrouverons les élèves du collège Louise-Michel de Clichy-sous-bois au Centre National de la Danse à Pantin.
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Marie Piémontèse, au cours de cette résidence, travaillera aussi avec la structure culturelle partenaire Espace 1789 à Saint-Ouen.

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