Ecole à la maison

Continuité pédagogique : contre mauvaise fortune, bon coeur

Après les ajustements des premières semaines, la plupart des enseignant·e·s de Seine-Saint-Denis semblent avoir trouvé un rythme de croisière pour assurer leurs cours à distance. Certain·e·s proposent même des solutions franchement originales. Et même si tou·te·s sont conscient·e·s des inégalités générées par cette situation, ils·elles appellent d’abord à privilégier la sécurité sanitaire en vue du déconfinement.

On « dérange » Maud Varbédian en pleine préparation d’un cours sur les blasons et l’héraldique du Moyen-Âge. Après un « tâtonnement » de quelques jours lié au choix de l’outil numérique le plus adapté, cette enseignante de français au collège St Exupéry à Rosny-sous-Bois dit avoir retrouvé sa sérénité. Ses cours, elle les envoie désormais chaque début de semaine, via l’espace numérique de travail (ENT) du collège, avec des retours assez satisfaisants. Mais elle tient tout de suite à battre en brèche une idée préconçue : non, le confinement ne représente pas moins de travail pour les enseignant·e·s, bien au contraire.
« Les trois premières semaines, ça a été du travail non stop. Ne pas avoir mes élèves en face de moi a supposé d’adapter beaucoup de choses : j’ai d’abord passé à l’écrit les consignes que je donnais auparavant à l’oral, le but étant d’être vraiment comprise par tous. Ensuite, je privilégie les contenus dynamiques, qui donnent envie : je propose des dictées audio, je varie les séances en faisant aussi de la lecture d’images, je renvoie vers les sites des musées ou de certains éditeurs pour essayer de piquer leur curiosité. », détaille cette professeure qui admet vivre « un petit défi » dans sa vingtaine d’années d’expérience.

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A cet aspect pédagogique s’ajoute aussi un rôle de lien social à entretenir, de manière à pouvoir sonner l’alerte en cas de silence radio. « Avec les CPE (conseiller·ère·s principaux·ales d’éducation), on a vraiment veillé à avoir des nouvelles de chaque enfant et de chaque famille. C’est une habitude qu’on avait déjà avant le confinement, et là ce réflexe nous a facilité les choses. », explique celle qui échange de 30 à 50 mails par jour avec ses élèves.
Elle qui enseigne de la 6e à la 3e applique aussi un principe à chacune de ses classes : ne pas noter. « Je continue une forme d’évaluation par gommettes quand j’estime l’exercice réussi, mais je ne note pas car ce serait dissuasif et assez inégalitaire compte tenu de la disparité des situations à la maison. »
Dans un département où le coronavirus a creusé des inégalités sociales déjà préexistantes et où l’urgence dans certaines familles est devenue de manger avant d’avoir internet, cette ligne de conduite semble en effet sensée.

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Philippe Dheu avec ses élèves à l’Insep avant le confinement

C’est aussi la manière de voir les choses de Philippe Dheu. En ces temps difficiles, ce professeur d’EPS au collège Espérance d’Aulnay a démultiplié les propositions en direction de ses élèves : des petits défis physiques « à basse intensité, pour leur permettre de s’entretenir », mais aussi des exposés sur l’histoire du sport. Avec à chaque fois une constante : ne pas noter. « En ce moment où les uns ont facilement accès à l’outil informatique et d’autres beaucoup moins, ce serait à mes yeux renforcer l’inégalité. Au contraire, il faut mettre en avant la notion de plaisir, souligner ce qui a été bien fait et surtout ne pas faire culpabiliser », insiste celui qui dit avoir des « retours effectifs » d’une moitié de ses élèves. « Mais l’exigence pédagogique, ce n’est pas le plus important en ce moment. Ce qui compte, c’est de maintenir le lien et de s’assurer qu’il y a le moins de casse sociale possible. »
50 % de devoirs faits, c’est aussi à peu près le « score » de Guillaume Godin, professeur de dessin industriel au lycée professionnel Jean-Pierre-Timbaud. Si cet enseignant partage la philosophie de ses collègues de collège, il se dit tout de même inquiet devant les inégalités d’apprentissage et de débouchés que pourrait générer une situation dont l’issue n’est pas franchement visible. « Il y a certains élèves avec qui ça fonctionne bien, qui me renvoient des exercices. Et puis d’autres dont je suis sans nouvelles ou qui me disent qu’ils voudraient travailler, mais qui ne peuvent pas pour des raisons matérielles. Et pour les élèves qui étaient déjà décrocheurs avant, la situation a fini de les faire décrocher, malheureusement », souligne celui qui se dit aussi inquiet des stages en entreprise qui manqueront à cette « génération Covid » « En espérant que ça ne leur soit pas préjudiciable », souffle-t-il.

Rois de l’audimaths

C’est justement pour atténuer ces formes d’inégalités d’apprentissage que deux enseignants du collège international de Noisy-le-Grand ont donné suite à la proposition qui leur avait été faite par le ministère de l’Education nationale : contribuer à une chaîne de contenus pédagogiques sur France 4. Tous les jours, Cyril Michau et Nicolas Lemoine, professeurs à Noisy-le-Grand, dispensent donc une demi-heure de maths face caméra dans l’émission « La Maison Lumni ».

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Cyril Michau à gauche et Nicolas Lemoine, dans une de leurs émissions de maths

« Au-delà de l’aspect nouveauté, j’ai accepté ce défi parce qu’après mes 16 ans de REP en Seine- Saint-Denis, je sais très bien que les élèves ne sont pas tous égaux face au numérique. Pas tellement sur l’accès en soi car les smartphones se sont largement démocratisés, mais par contre sur leur usage dans les familles : parfois il y a un outil informatique pour toute la famille, ou la connexion internet est défaillante. Passer par la télé dans ces situations avait donc du sens. Et puis ça va dans le sens de ce qu’on défend avec Cyril : mettre les maths à la portée de tous... », explique Nicolas Lemoine.
Géométrie, algèbre : en une demi-heure, des notions concernant les 4 niveaux (de la 6e à la 3e) sont abordées, sur un ton à la fois clair et dynamique. Un déroulé qui, s’il paraît fluide, a demandé énormément de travail aux deux nouveaux rois de l’audimaths… « Il a fallu qu’on s’adapte énormément. Une émission de 30 minutes nous demande environ 10 heures de préparation... Parce que faire cours face à une caméra n’a rien à voir avec faire cours face à une vraie classe. Là, l’hétérogénéité des niveaux est extrême : c’est la France entière. Il faut donc être le plus explicite possible. Et puis, il y a l’aspect présentation : regarder la bonne caméra, rester en place alors que d’ordinaire, moi j’aime bouger dans ma salle. C’est un autre métier quoi. Mais l’expérience est super enrichissante. », se réjouit Cyril Michau, qui rompt donc une fois par semaine le confinement pour aller enregistrer avec son compère 6 émissions d’un coup dans les studios de la Plaine Saint-Denis.
Mais aussi plaisante que soit leur expérience médiatique, il tarde aux deux enseignants de retourner devant leurs propres élèves, à qui ils continuent évidemment aussi de proposer des cours en ligne. « J’ai vraiment hâte de les retrouver », confie Cyril Michau qui organise tous les 10 jours une visio-conférence avec ses 2 classes, pour maintenir le lien. Prudent, l’enseignant, qui a fait toute sa carrière en Seine-Saint-Denis, précise toutefois : « On a conscience que le confinement creuse certaines inégalités sociales, que certains enfants sont confrontés à de la violence domestique. Mais les exposer au virus et risquer une deuxième vague, c’est aussi les mettre en danger. Si toutes les garanties, notamment en termes de masques, sont réunies, alors oui je les retrouverai avec plaisir. » En attendant, il donne rendez-vous sur France 4 à ses « alumni » et aux autres.

Christophe Lehousse

Le Département mobilisé pour réduire la fracture numérique

Depuis le début du confinement, le Département, conscient des inégalités soulevées par l’école à distance, s’est fortement investi pour réduire celles engendrées par les disparités d’équipement numérique. Il a ainsi mis à disposition 15 000 tablettes à des élèves non équipés de matériel informatique à la maison, offre complétée par 1 500 autres tablettes données par l’association « Le Choix de l’Ecole » et la Fondation Rothschild.
A partir du lundi 27 avril, 1 800 cartes SIM, obtenues grâce au partenariat du Département avec Emmaüs Connect et l’intervention de la Fondation SFR, vont aussi être distribuées aux élèves n’ayant pas de connexion internet pour suivre l’école à la maison. 1 400 d’entre elles iront à des collégiens et collégiennes repérés par les chef·fe·s d’établissement. Et 400 autres à des élèves d’autres niveaux que le collège, via les circonscriptions sociales.

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