Aspirants journalistes, ne laissez pas passer "La Chance" !
Plus que quelques jours pour postuler à "La Chance", la prépa aux écoles de journalisme qui aide gratuitement depuis 2007 les étudiants boursiers à se préparer aux concours. Si elle a aidé des centaines d’élèves - de Seine-Saint-Denis entre autres - à entrer dans les écoles, les patrons de presse, eux, sont encore à la traîne en ce qui concerne la diversité de leur recrutement.
Salut à toi, jeune étudiant·e boursier·ère qui rêve de porter la plume dans la plaie ! Si Seine-Saint-Denis Le mag se permet de t’apostropher, c’est parce que tu as jusqu’au 26 septembre prochain pour déposer ta candidature à "La Chance" ! Cette prépa aux écoles de journalisme a l’ambition d’optimiser les chances des publics éloignés des médias d’entrer dans les grandes écuries du journalisme. Pendant un an, tous les samedis, les "chanceux" se retrouvent pour s’entraîner aux questionnaires d’actualité, de culture générale, s’initier au reportage ou réviser leur anglais, dirigés gratuitement par des journalistes professionnels. "Surtout, la prépa permet d’avoir des camarades de promotion, avec qui s’organiser pour ficher les journaux, s’entraîner, se soutenir", souligne Emeline, habitante du Pré-Saint-Gervais passée par les bancs, en 2011, de ce qui s’appelait encore "La Chance aux concours".
Une communauté
Plus qu’une prépa, La Chance constitue un réseau d’entraide, une communauté qui compte sur le collectif pour déjouer les déterminismes sociaux. "Là-bas, on te donne la confiance en toi indispensable pour passer les concours. On nous aide à combattre le syndrome de l’imposteur éprouvé par plein de gens de milieux populaires, on te fait comprendre que tu n’es pas plus bête qu’un autre. Même si tu n’as pas les codes, les armes, le réseau, La Chance peut t’offrir un appui, y compris moral et psychologique, une écoute en cas de coup de mou", témoigne Emeline. Les 400 journalistes adhérents de l’association se démènent pour trouver des stages aux élèves. "Un des profs m’a fait une lettre de recommandation pour rentrer dans la rédaction de Jeune Afrique, où il avait formé des cadres. J’y ai été très bien accueillie, payée, alors qu’à l’époque ce n’était pas l’usage pour les stages, et ensuite, ils m’ont embauchée en tant que secrétaire de rédaction", raconte Adama, originaire de Bondy.
Au moment de passer les concours, alors qu’il faut faire le tour de France pour passer les oraux et les écrits des 14 écoles reconnues par la profession, une aide financière est apportée par la prépa à ceux qui en ont besoin. Ceux qui n’obtiennent pas les places visées ne sont pas pour autant lâchés dans la nature. "J’étais sur liste d’attente pour plusieurs écoles, à une ou deux places près. Voyant qu’elles ne se dégageaient pas, un professeur de La Chance m’a poussée à choisir l’alternance, peu en vogue à l’époque. Le CFJ m’a proposé d’entrer au Figaro Madame Web : un féminin de droite, c’était tout sauf moi ! Le même prof m’a dit d’arrêter de tergiverser, et j’ai fini par prendre le poste. Je ne me suis jamais autant éclatée professionnellement que là-bas !", concède Emeline. Adama décroche de son côté une place au Centre universitaire d’enseignement du journalisme, à Strasbourg. "Tu ne dis pas pour autant au-revoir à la prépa. J’ai fait passer des oraux aux nouveaux postulants, je me renseignais pour connaître les attentes de l’école pour les concours suivants, je venais les expliquer à la promo en cours. J’ai prêté mon appartement à ceux qui sont venus passer les concours. Les années suivantes, j’ai marrainé plusieurs élèves en leur faisant des retours sur leurs exercices, en leur donnant des conseils", détaille la jeune femme. Aujourd’hui, Emeline travaille pour la Gazette des Communes, et Adama, pour Télérama.
"Les médias doivent être un miroir de la société, toute la société"
"75 % de ceux qui sont passés par les bancs de "La Chance" sont aujourd’hui journalistes", se réjouit Marc Epstein, son président. De 7 étudiantes en 2007, La Chance en compte aujourd’hui 80, et a ouvert des antennes dans six villes de France. "Cette année, 48 élèves ont intégré l’une des 14 écoles, soit presque un dixième des 490 élèves en première année d’école de journalisme", constate le président. Grâce à la constance des bénévoles, de plus en plus nombreux, et à une aide de "La France s’engage", l’association a connu ces dernières années un fort développement. Et on trouve des élèves de La Chance dans de nombreuses rédactions.
"Mais notre plus belle victoire, c’est d’avoir contribué à faire que le problème de la faible diversité dans les médias devienne une évidence que plus personne ne conteste. Quand j’ai adhéré à la Chance au concours, en 2007, j’étais rédacteur en chef adjoint de L’Express, et j’étais frappé par l’extraordinaire homogénéité du recrutement, qu’il s’agisse d’origine sociale ou de parcours. Il était temps d’ouvrir les portes", se souvient Marc Epstein. " Nous, journalistes, prétendons tendre une sorte de miroir à la société, raconter la France aux Français. Si nous ne reflétons pas davantage la diversité de la société, nous ferons mal notre métier, car nous en ignorerons des pans entiers", poursuit le journaliste.
"Patrons des médias, ouvrez les portes ! "
Malgré l’aide très appréciée de l’association, le chemin vers l’égalité est encore long. "Malheureusement, le réseau, même dense et riche, tissé par la Chance, ne sera jamais aussi fort que celui dont disposent les personnes bien nées", gronde Emeline. Adama soulève un autre problème : "A la sortie de l’école, tu es logée à la même enseigne que les autres. La Chance, c’est super, mais il faudrait que le recrutement des grandes rédactions suive". Pourtant, elle refuse d’utiliser la carte de "La Chance" lorsqu’il s’agit de candidater. "Je ne veux pas qu’on m’embauche parce que je viens d’un milieu populaire ou parce que je suis noire, mais pour mes compétences. Et je ne veux pas non plus être embauchée seulement pour couvrir les sujets "banlieue". La Chance était un tremplin... pas question que cela devienne une prison", estime la journaliste, qui reconnaît ne pas disposer de solution à cette contradiction.
Marc Epstein est sur la même longueur d’ondes : "Jusque-là, nous étions dans l’action, plus que dans le plaidoyer. Mais je suis extrêmement exaspéré par la lenteur à laquelle les choses évoluent, on en reste aux grands discours, surtout dans la presse écrite. Nous allons, dans les prochains mois, mettre l’accent sur le plaidoyer. Nous avons d’ores et déjà publié une tribune en juillet intitulée " Patrons des médias, ouvrez les portes", dans Ouest France, le journal le plus lu de l’Hexagone. Et nous ne comptons pas nous contenter de cela."
Photos : ©Patrick Danino
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