Résidence artistique Aménagement urbain

A la recherche des lieux perdus

Mercredi 26 juin, le travail mené par la comédienne et autrice Catherine Froment sur les lieux abandonnés et les personnes isolées dans le cadre de sa résidence d’écrivain dans le lieu culturel Mains d’œuvres à Saint-Ouen a donné lieu à une conférence-débat à la Maison de quartier de La Plaine à Saint-Denis.

Des voies de chemins de fer recouvertes d’herbes folles, des usines, des ateliers, des pôles d’industrie, des manufactures dont il ne reste plus que la carcasse et qui, parfois, abritent des canapés éventrés, des tables de guingois et les laissés pour compte de la société. Depuis février et dans le cadre d’une résidence d’écrivain à l’espace culturel Mains d’œuvres à Saint-Ouen, l’autrice, performeuse et comédienne Catherine Froment explore les lieux abandonnés et sonde les personnes isolées du quartier de La Plaine à Saint-Denis, ce territoire baroque où les bâtiments industriels tombés en désuétude côtoient des immeubles flambants neufs. Un projet qui devrait accoucher l’année prochaine d’un recueil avec textes et photos et qui a fait l’objet, le 26 juin à la Maison de quartier de La Plaine, d’une table ronde en présence de l’artiste et d’invités spécialistes du sujet.

« Ce qui m’intéresse, c’est ce que les gens ne veulent pas voir, ce que la société nous cache. Les lieux que je découvre sont aussi délaissés que les personnes qui les squattent, a commenté Catherine Froment. A La Plaine, il y a ces grands bâtiments vides et anciens qui font partie du patrimoine mais aussi des micro-endroits, des interstices où viennent se glisser des sans-abris. Ce sont surtout ces espaces et ces corps invisibles que nous croisons tous les jours sans y prêter attention que je veux mettre en lumière. Aller chercher la parole en difficulté, la parole empêchée dans des zones urbaines et denses où on ose peu s’aventurer. » Et d’ajouter : « Pour un artiste, un tel travail relève du devoir. Car qui sinon pour rendre compte de cette dure réalité ? »

« Les artistes sont là pour donner de la valeur humaine et sociétale à des endroits qui en sont dénués sur le plan économique »

Sur ce thème, Jean-Jacques Clément, membre de l’association Mémoire Vivante de La Plaine, n’est pas avare en anecdotes. « Dans les années 1970, quand La Plaine a été touchée de plein fouet par la crise industrielle, les usines ont fermé les unes après les autres et des milliers de m2 de locaux industriels se sont transformés en friche, c’est comme cela que ce quartier est devenu un parc géant de bâtiments abandonnés, a-t-il expliqué. Le chemin de fer industriel n’a cessé son exploitation qu’au début des années 1990. Un passé pas si lointain même si aujourd’hui, les voies ferrées en sont les derniers vestiges. » A ce mouvement de désindustrialisation a heureusement fait suite un nouvel élan, comme la construction du Stade de France, qui a contribué à transformer une bonne partie du territoire de La Plaine. Et une deuxième mutation est en cours, avec l’édification prochaine du centre aquatique sur la ZAC de la Plaine Saulnier, en vue des Jeux olympiques de 2024.

Mais c’est aux friches et autres noman’s land que s’intéressait la conférence du jour. « Dans les zones urbaines, les espaces publics sont de plus en plus normés en matière de sécurité, de propreté… Dans les lieux abandonnés, les règles n’ont plus cours. Les artistes sont là pour donner de la valeur humaine et sociétale à des endroits qui en sont dénués sur le plan économique, a analysé Christine Bellavoine, sociologue et responsable du secteur des études locales de la ville de Saint-Denis. Timothy Hannem, illustrateur de bandes dessinées, photographe et féru d’ « urbex », une activité qui consiste à visiter des lieux construits et abandonnés par l’homme, se plaît à « immortaliser ces endroits autrefois privés, parfois impénétrables et devenus publics depuis qu’ils sont inoccupés. Mes photos deviennent des images d’archives, elles permettent de garder une trace de ces édifices avant qu’ils ne soient un jour rasés. » C’est tout un travail de mémoire qui s’opère.

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