Les glaces Martinez, de génération en génération
Ce PATRIMOINE gastronomique de Seine-Saint-Denis ne raconte pas seulement l’histoire d’une famille montreuilloise qui fabrique des glaces depuis près d’un siècle mais aussi l’origine de ces crèmes glacées importées dans les bagages des travailleurs immigrés de los Valles Pasiegos, une région montagneuse de Cantabrie au nord de l’Espagne.
À Montreuil, sur la place Jean-Jaurès, à Robespierre, parfois au parc Montreau ou au Pré-Saint-Gervais, des camionnettes aux allures vintage attirent gourmands et palais fins. Sous les portes de bois des congélateurs, des crèmes glacées artisanales dont les recettes se transmettent de génération en génération depuis près d’un siècle.
13h, un lundi de juillet. C’est José Martinez, 47 ans, le fils cadet, qui ouvre le camion face à la mairie de Montreuil. Les premiers clients se pressent : beaucoup d’habitués qui échangent sourires et plaisanteries avec cette figure locale. Le large choix de parfums ne trouble pas les clients qui se ruent sur les pots et les cornets. Sur le côté, un poster de photos retrace la saga familiale avec, au centre du tableau, un cliché de Concepción, dite Concha, la mama. « À 84 ans, c’est le moteur de la famille et des glaces Martinez ! », s’exclame José. Si elle s’est retirée de la vente ambulante depuis quelques années, Concha continue d’aider comme elle peut en préparant les repas et en s’activant à la maison. Au-dessus de l’atelier, dans le quartier Villiers-Barbusse, c’est une octogénaire pimpante et souriante qui nous ouvre son album de famille pour le commenter avec sa belle-fille Noemi.
L’histoire montreuilloise commence avec le grand-père de José, Oligario dit Toto, le futur beau-père de Concha. À 16 ans, il émigre de Selaya, petit bourg cantabrique (aujourd’hui très touristique) en passant clandestinement à pied par les Pyrénées. Il rejoint son frère aîné installé en région parisienne pour travailler à la construction du métro parisien, puis dans la biscuiterie Gomez – La Basquaise, à Montreuil.
Secret de fabrication
Le week-end, ils troquent leur bleu de travail pour vendre des crèmes glacées dont ils ont ramené le secret de fabrication du pueblo natal. Dans cette région, des œufs sont ajoutés à la crème pour la conserver et en faire une sorte de beurre, la manteca. Avec des glaçons, elle devient une crème glacée. Ne reste plus qu’à ajouter du sucre et le parfum, comme des noisettes grillées pilées, des fraises en été ou du chocolat bouilli, pour la transformer en mets délicieux. « Beaucoup de vendeurs de glaces de l’époque venaient de cette région d’Espagne », comme Luis Ortiz, qui connut Oligario avant d’aller fonder les glaces Miko à Saint-Dizier. À partir de 1925, la fabrication de crème glacée devient l’activité principale d’Oligario, qui se fait désormais appeler Olivier.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Olivier participe avec sa femme Suzanne à un réseau de résistance. Concha intègre la famille en 1960. Autre exemple emblématique de l’immigration espagnole d’après-guerre, elle arrive en 1958 à Paris et est embauchée dans les beaux quartiers pour s’occuper des enfants d’un amiral. Lors de son temps libre, elle fréquente la communauté espagnole et rencontre Jean Martinez, originaire du même coin de Cantabrie.
7 jours sur 7
En se mariant avec lui, elle épouse la passion glacière. « À l’époque, c’était beaucoup plus difficile que maintenant. Il fallait faire bouillir la crème dans de grosses marmites de 20 litres et nos machines n’étaient pas aussi perfectionnées que celles d’aujourd’hui. Il fallait remuer et sortir la crème avec un gros palet en bois. Ensuite je partais vendre les glaces de 10 heures du matin à 10 heures du soir, 7 jours sur 7, à Ozoir-la-Ferrière, à la Foire du Trône, à Nation ou ailleurs. L’hiver, on vendait des marrons ou des crêpes. Pendant des années, je n’ai pris que 10 jours de vacances à Noël. On travaillait tout le temps. C’était comme ça avant... Mais je ne regrette pas et je suis en forme ! »
Elle sourit devant les photos d’archives, avec Noemi. Sa belle-fille vient aussi de Selaya. Installée à Montreuil depuis 1996, elle s’y plaît, comme sa belle-mère quand elle est venue y vivre il y a près de 60 ans ! Et même si les Martinez ne manquent jamais de retourner au pays pour les vacances, « Montreuil, c’est chez nous ! », résume Concha. Fière de ses deux enfants et quatre petits-enfants, la relève est plus qu’assurée...
Pour les parfums de ses glaces, la famille Martinez joue aujourd’hui la carte locale au gré de ses rencontres montreuilloises bien sûr ! Dans ses créations, elle intègre par exemple du miel local, du jus de bissap, et a même créé un sorbet coco façon antillaise. Pour leur sorbet pêche, les Martinez utilisent les fruits des célèbres murs à pêches restaurés par le Jardin-école à Montreuil.
En savoir plus sur le Jardin-école : srhm.fr
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