Zahia Ziouani, le classique n’a pas de frontières
23 ans après la création de son orchestre symphonique Divertimento, la cheffe d’orchestre, originaire de Pantin et qui a installé son ensemble à Stains, nous parle de sa conception métissée de la musique symphonique. Fin 2022, un film va retracer son parcours hors pair, fait d’excellence et de brassage.
Quand vous fondez Divertimento il y a 23 ans, c’est dans quel but ?
Il y en avait deux : d’abord, quand j’étais ado, je ne voyais pas de femme cheffe d’orchestre autour de moi donc j’ai souhaité créer mes propres opportunités. Et j’avais aussi envie de faire bouger les lignes, de changer certaines idées reçues dans ce milieu musical. Du coup, j’ai pris la décision de créer ma propre structure et de le faire à Stains, dans un territoire populaire.
De quelles idées reçues parlez-vous ?
Notamment de cette idée que la musique symphonique serait réservée à des élites parisiennes et qu’elle n’existerait pas en dehors des grandes salles de la capitale. Moi au contraire, j’ai toujours voulu faire de cette musique quelque chose de populaire.
Et comment vous y prenez-vous pour populariser la musique classique ?
De par mon parcours de Française, Séquanodionysienne, née de parents algériens, je crois au métissage, aux influences réciproques. Donc je veux aussi montrer que la musique symphonique n’est pas une bulle renfermée sur elle-même mais qu’on peut la faire résonner avec des sujets d’aujourd’hui. C’est le sens de ma collaboration récente avec la flûtiste de jazz Naïssam Jalal ou de programmes sur la Méditerranée autour de Xenakis et Luciano Berio.
En tant que femme, vous avez dû lutter plus qu’une autre pour vous faire une place ?
Je pense que oui. On ne m’a jamais dit clairement : « tu es une femme, je ne te programmerai pas », mais j’ai dû batailler. C’est un fait : 4 % seulement des chefs d’orchestre aujourd’hui sont des femmes. Les choses sont en train de bouger, mais ça se fait lentement. A Divertimento, on prêche d’ailleurs par l’exemple, en respectant le plus possible la parité dans nos équipes artistiques et techniques, en invitant des solistes femmes et pas que des hommes.
« Divertimento », un film sur votre parcours, va sortir fin 2022. C’est aussi pour inspirer les générations futures ?
Je n’ai pas cherché à faire de film, mais les producteurs et la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar ont été inspirés par mon parcours et celui de ma soeur Fettouma, violoncelliste soliste. Le tournage a eu lieu cet été à Pantin et Stains, la ville où j’ai grandi et celle où je me suis développée professionnellement. Le but de ce film, c’est de parler de façon ambitieuse de notre département et pas uniquement sous l’angle des réalités plus compliquées comme on nous les présente habituellement. Et effectivement, si ça peut motiver certains jeunes, tant mieux…
Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Mes parents n’étaient pas musiciens professionnels mais ils étaient très mélomanes. A la maison, on écoutait beaucoup de choses très différentes. Assez naturellement, ils nous ont inscrites, ma sœur et moi, au Conservatoire de Pantin. J’ai aussi grandi dans un contexte où la Seine-Saint-Denis était très engagée pour rendre la musique et le sport accessibles aux jeunes, et pour ça je suis vraiment reconnaissante au Département.
Votre idée, c’est aussi de favoriser la pratique, et pas seulement la diffusion de la musique classique…
Oui, on a commencé il y a longtemps avec des groupes d’enfants à Stains et Sevran à qui on prêtait des instruments de musique. Cette démarche a ensuite été généralisée par la Philharmonie, ce qui a donné Demos, qui initie chaque année des centaines de jeunes à la pratique musicale. De notre côté, on a notre académie qui permet à de jeunes musiciens en formation dans les conservatoires, à Clichy-sous-Bois et Stains, de jouer à nos côtés. Je rêve maintenant de l’étape suivante qui serait d’avoir un lieu vraiment dédié à la musique dans le département. Il y a la Philharmonie bien sûr, qui n’est pas loin, mais ce n’est pas un outil en propre. Pour moi, un lieu comme celui-ci aiderait à montrer que l’excellence peut être portée par un territoire comme la Seine-Saint-Denis.
« Breakdance symphonique », « le Carnaval des animaux version JO », votre agenda 2022 semble très axé sur les Jeux…
Oui, c’est vrai. A deux ans de l’événement, on s’inscrit pleinement dans l’Olympiade culturelle voulue par le Comité d’organisation. D’abord parce que je trouve que les parallèles entre musique et sport sont pertinents. Et ensuite parce qu’en tant qu’ensemble symphonique de Seine-Saint-Denis, on a notre mot à dire sur ces jeux. On s’investit sur ce territoire depuis plus de 20 ans, on n’a pas envie de regarder ces JO à la télé !
Recueilli par Christophe Lehousse
Photos : ©Patrick Fauque
https://www.orchestre-divertimento.com
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