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Villes des Musiques du Monde : 20 ans, bon pied, bonne ouïe

On n’est pas sérieux quand on a 20 ans. Et le festival Villes des Musiques du Monde qui vient d’atteindre ce bel âge ne compte pas le devenir. Retour sur ce bel exemple d’éducation populaire et d’outil culturel pour tous avec son fondateur André Falcucci et son actuel directeur Kamel Dafri.

Au tout début, pourquoi avoir choisi ce créneau des musiques du monde ?

 André Falcucci : « Eh bien tout d’abord parce que je ne connais pas de musiques qui ne soient pas du monde… Plus sérieusement, en 1997, on voulait recréer un festival porté par l’Office Municipal de la Jeunesse d’Aubervilliers (OMJA) qui puisse fédérer un certain nombre de projets en direction des habitants. A l’époque, il y avait pas mal de pressions pour qu’on fasse quelque chose autour des cultures urbaines, du rap. Finalement, on a fait un autre choix parce qu’on craignait qu’un festival de rap n’aggrave encore davantage la stigmatisation et la caricature dont étaient déjà victimes les jeunes des quartiers populaires.
Et puis, on a fait le constat qu’à Aubervilliers cohabitaient des cultures du monde entier. C’était parfois présenté comme un problème alors qu’il fallait à notre sens le valoriser. Bizarrement, quand on est au lycée international de Fontainebleau, ce n’est pas une catastrophe et quand on est à Aubervilliers, ça le devient. Mais non, pas du tout... »

C’est un festival qui dès le départ est fortement inspiré de l’éducation populaire, avec cette ambition d’ouvrir la musique à tous et de favoriser sa pratique...

 Kamel Dafri : « Oui bien sûr. En même temps, en naissant dans le creuset de l’OMJA, il ne pouvait en être autrement. Dès le début, on a eu ce souci de construction des publics. Autrement dit : comment faire venir et fidéliser des spectateurs qui n’ont pas forcément cette habitude d’aller au spectacle ? Et puis, on voulait aussi travailler sur un apprentissage musical collectif. Ça s’est formalisé davantage à partir de 2007 avec la création de La Cité des Marmots et des Fabriques orchestrales juniors et adultes. Dans un cas, il s’agit de sensibiliser des élèves de primaire à plusieurs cultures du monde à travers un répertoire de chants et de les mettre dans la situation d’un spectacle professionnel (cette année, les concert de clôture de La Cité des Marmots auront lieu les 9 et 10 novembre à L’Embarcadère d’Aubervilliers). Dans l’autre cas, on confie à des habitants des instruments sur une durée de trois ans et on les met en situation d’apprentissage intuitif. A l’image des fanfares de la Nouvelle Orléans, le but est d’assister à la création d’un collectif où existe à la fois un vrai niveau artistique et une cohésion sociale. »

 André Falcucci : « Et puis, une de nos idées de fond, c’est aussi d’aller chercher toutes les pratiques qui existent dans un territoire ou dans certaines communautés et de leur permettre d’apparaître sur la scène publique. Si on peut leur permettre de passer du communautaire ou de l’anonymat au grand public, on sera ravis... »

Cette année, votre programmation fait un peu revenir vos plus fidèles compagnons de route…

 André Falcucci : « Oui, on va retrouver un certain nombre d’artistes associés qui ont marqué notre festival : la chanteuse malienne Oumou Sangaré, les guitaristes Camel Zekri et Titi Robin, le chanteur Thomas Pitiot, bref tous ces gens qui ne font pas que des concerts, mais qui savent aussi donner de leur temps pour transmettre au public à travers des ateliers. »

 Kamel Dafri : « Il y a aussi des clins d’oeil aux thématiques des éditions passées : la Nouvelle Orléans, les bals, la Colombie avec un percussionniste comme Tato Marenco. Et puis, malgré cette touche rétro, il y a aussi de l’innovation, comme ce prix des Musiques d’ici que nous avons tenu à créer. Celui-ci récompensera quatre lauréats de toute la France, dont les créations puisent dans les diasporas du monde entier. L’idée étant toujours un peu la même : celle de dire aux producteurs « n’allez pas forcément chercher de l’autre côté de la Méditerranée ce qu’il y a de l’autre côté du périph »

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Vos meilleurs souvenirs sur le festival ?

 André Falcucci : « Il y en a tellement. Allez, je vais dire l’un de nos tout premiers concerts, à l’église Notre-Dame des Vertus d’Aubervilliers. C’était une association entre le choeur berbère d’Ile-de-France et de jeunes chanteuses corses qui faisaient des polyphonies vocales. A cette époque, les polyphonies, c’était considéré comme une affaire d’hommes en Corse, les femmes n’avaient pas trop le droit d’y toucher. On a bien bousculé notre monde et ça faisait du bien. Et puis, plus récemment, il y a aussi ce moment où la Compagnie Rassegna a fait chanter aux enfants de La Cité des Marmots « A la fiera di San Francè », une vieille chanson corse que je chantais moi-même à mes gamins. Forcément, c’était émouvant. »

 Kamel Dafri : « Alors moi, je me souviens du concert d’Oumou Sangaré en 2002 à Aubervilliers. A cette époque, ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas joué en France. On avait vendu à peine 20 % de la jauge avant le jour du spectacle, mais le soir-même il y a eu un véritable raz de marée. Au final, 400 à 500 personnes ont été obligées de rester dehors. Et à l’intérieur, les gens étaient en fusion. Certaines personnes faisaient des offrandes à la chanteuse, lui donnaient leur montre, leur téléphone portable. C’était dingue. Bien loin de ce qu’on peut voir de l’ambiance feutrée de l’Olympia. Non pas que je critique l’Olympia, c’était juste différent c’est tout... »

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Enfin, que peut-on vous souhaiter pour les 20 ans à venir ?

 André Falcucci : « De perdurer. Vous savez, de l’extérieur, un festival comme le nôtre peut sembler solide, mais en fait c’est une construction extrêmement fragile. Il suffit qu’un de nos partenaires nous abandonne pour que l’édifice s’effondre. La longévité de certains soutiens comme la ville d’Aubervilliers ou le Département de la Seine-Saint-Denis est vraiment appréciable. Mais le contexte lui n’incite pas à l’optimisme : ça fait un moment qu’on nous dit qu’il faut faire plus avec moins et de toute évidence, arrive un moment où cette logique a ses limites. »

 Kamel Dafri : « Ce qui ne nous empêche pas de garder nos ambitions intactes... Par exemple, à l’heure du Grand Paris, nous voulons essaimer plus loin que la Seine-Saint-Denis. Aujourd’hui, plusieurs projets existent avec d’autres villes, d’autres salles dans le Grand Paris, comme avec la MJC de Limours ou Le Tamanoir à Gennevilliers. L’idée, une fois de plus, c’est de rendre attentifs à un potentiel de musiciens qui existe déjà sur le territoire et à qui il s’agit de donner un porte-voix. »

Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photos : Christophe Laplace et Bruno Lévy

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