Veiller en Seine-Saint-Denis
Le cycle des Veilleurs, c’est une œuvre d’art sous forme de performance qui va durer une année et où 730 personnes sont attendues. Si vous avez plus de 16 ans, réservez votre place le jour qui vous convient sur www.lecycledesveilleurs.fr. Le projet est piloté par la Maison populaire de Montreuil et orchestré par Joanne Leighton, chorégraphe et performeuse. Interview.
Le cycle des Veilleurs a commencé le 2 octobre. De quoi s’agit-il ?
– Les Veilleurs est une performance, une chorégraphie ouverte à un très grand nombre où je demande à chaque personne de s’installer dans un abri en hauteur pour veiller, au lever ou au coucher du soleil pendant une heure. Je demande de se tenir debout, de tenir une présence, d’imprimer le corps dans la ville.
Où va-t-on Veiller ?
– L’abri se trouve sur le toit de la maison du parc départemental Jean-Moulin-Les Guilands à la lisière de Montreuil et Bagnolet. C’est un site magnifique pour le projet. Le veilleur sera dans un abri, comme dans un cocon, en sécurité, face à une fenêtre qui est toute ouverte à l’immensité de la ville. }
Qu’est-ce que ça change d’être dans un parc pour regarder la ville ?
– Le parc est à l’usage des citoyens, il leur appartient. On y a accès à toute heure. Il y a quelque chose de l’ordre de la proximité. C’est un endroit de verdure pour se reposer, se ressourcer. Le parc contient cette idée de prendre le temps, de se donner ce temps. C’est la première fois qu’on monte le projet dans un parc et il a tout son sens.
Quelle est la particularité de ce projet en Seine-Saint-Denis ?
– Ce cycle des veilleurs est monté dans le cadre de l’Olympiade culturelle. On aimerait que ce projet qui commence en Seine-Saint-Denis continue jusqu’aux Jeux Olympiques 2024. Ce sera la première fois que nous voulons prolonger le projet pendant trois ans. La première Veille a eu lieu le 2 octobre. Je suis vraiment très contente que ce soit avec Sarah Ourahmoune.
Comment les Veilleurs nous préparent-ils aux JOP ?
– Ce projet est là pour souligner ce moment important que vont être les Jeux Olympiques. Un événement qui va habiter notre ville, notre paysage avec le village olympique qui sera situé en Seine-Saint-Denis. C’est l’occasion avec ce projet artistique et performatif de se retrouver aussi avec les sportifs, avec les personnes qui sont invisibles sur la chaîne et œuvrent pour que les sportifs montent sur le podium. C’est très chouette que ce projet commence là en Seine-Saint-Denis. Un projet local qui rayonne à l’international.
« Les Veilleurs » est une performance qui a d’ailleurs beaucoup voyagé....
– En effet, elle a commencé en 2011 à Belfort. On poursuit ce projet depuis dix ans. A Rennes, Laval, Haguenau, Évreux, Fribourg en Allemagne, Dordrecht aux Pays-Bas et Graz en Autriche. Elle joue actuellement à Munich en Allemagne et Hale en Angleterre. Avec toujours les mêmes modalités : 730 personnes et toujours sur une année.
La chaîne ne s’est jamais interrompue ?
– Non. Même pendant les confinements qui ont vu nombre de spectacles s’annuler, Les Veilleurs n’a pas été interrompue.
2020 fut une année d’émotions pour Les Veilleurs
– Le projet est ouvert aux personnes pour qu’elles partagent leur ressenti. Les textes témoignaient de cette crise sanitaire, de la perte d’un proche. C’est fort à lire. On traverse quelque chose d’extrêmement austère et difficile dans nos vies. C’est très inhumain. Cette mise à distance de nos familles, de nos amis. D’où l’importance de se retrouver et de créer des projets artistiques qui ne mettent personne en danger. Pour moi, c’est très important, c’est presque politique. Ce projet est une grande aventure humaine.
Que cherchez-vous à faire avec cette œuvre ?
– Pour moi, cette pièce est aussi un grand rituel. Deux fois chaque jour, il y a la rencontre avec l’accompagnateur. C’est très humain. L’accompagnateur ou accompagnatrice va accueillir le veilleur, l’installer, chronométrer l’heure qui passe. « Les Veilleurs » c’est l’ouverture à l’autre. Ce sont les moments de rassemblement qui m’intéressent. Comment on peut créer le vécu ensemble autour d’un projet artistique ? On participe individuellement pour œuvrer ensemble, danser ensemble.
Vous êtes chorégraphe. Lorsque vous demandez aux veilleurs de se tenir debout et immobile, est-ce toujours de la danse ?
– Je ne parlerai pas, moi, d’immobilité car il n’y a jamais d’immobilité en fait. Si on est là, on est là. Il y a John Cage, le compositeur américain, qui va nous dire qu’il n’y a pas de silence, qu’il y a toujours des bruits. J’en suis là avec la danse. Le corps est vivant. Le cœur bat, les pensées vont venir et partir. Se tenir debout pendant une heure ce n’est pas passif, c’est actif.
J’ai voulu créer une œuvre qui permettrait à toute personne de prendre sa place à l’échelle de la ville. Les Veilleurs, c’est commémorer -comme le ferait une statue dans la ville- le fait que chaque citoyen-ne, chaque personne est vraiment très importante, unique. Et qu’on est connecté. On forme cette communauté. Une participation individuelle pour une veille collective. Cette idée de répétition et de rassemblement sont les bases de mon travail chorégraphique.
A chaque lever du soleil, à chaque coucher, un nouveau Veilleur arrive. Vont-ils tous à un moment se rencontrer ?
– Bien sûr. A la fin, il y aura une grande fête de clôture où on va fêter le passage des 365 jours et célébrer la chaîne qu’on a individuellement créée ensemble. Fêter notre challenge qui est de ne pas avoir un jour sans veilleur.
Et vous, comment allez-vous rester en contact avec l’ensemble des Veilleurs ?
– Pour préparer chaque veille, on invite les participants à un atelier qui se déroule tous les quinze jours, dans la maison du parc. Et chaque trimestre, pour les veilleurs on organise des rencontres, des soirées de rendez-vous où mes danseurs sont là. On y lit les textes des veilleurs et regarde les photos qui se sont accumulées tout au long de l’année. C’est important pour moi de créer des moments de réflexion sur la présence des veilleurs et d’en parler ensemble.
Allez-vous aussi entrer dans votre œuvre ?
– Oui, je suis déjà inscrite. J’aime l’idée de participer comme toute personne, de jouer le jeu. Mais si c’est complet, je laisserai ma place.
La performance est rythmée par le lever et le coucher du soleil. Quelle est la place du soleil dans votre projet ?
– Le soleil est notre horloge. C’est lui qui va nous chronométrer. Avec le lever et le coucher du soleil, on revient à quelque chose d’essentiel en fait. La lumière. L’activité dans la ville. C’est fondamental. Mais nous ne le voyons pas toujours dans nos vies si modernes, dans nos maisons, dans nos routines. Ce projet va chercher à donner du temps, à ralentir, à prendre le temps pour soi et pour les autres.
Comment est né votre projet ? Quelle fut votre première idée ?
– J’ai toujours été fascinée par le fait d’aller sur une position en hauteur dans une ville ou un paysage naturel. Grimper, on le fait tous dans l’humanité. C’est là où on prend un petit peu de recul, de hauteur, on regarde. Le germe, c’est ce moment de silence où on sait qu’on est arrivé. On est sur le sommet de la montagne, le toit du bâtiment, en hauteur. On arrête. Et c’est ce moment de silence. Comme Beckett le dit, c’est le moment où le chef d’orchestre va lever sa baguette avant que l’orchestre ne joue. Qu’est-ce qui se passe pendant ce temps-là ? J’ai le désir d’installer une poésie dans la ville, de disséminer l’art dans la ville pour changer notre vécu, notre paysage.
Quelles sont d’ailleurs les motivations des Veilleurs ?
– Les raisons pour lesquelles le veilleur va participer sont personnelles. C’est vraiment propre à chacun. Chacun choisit sa date et son heure : un moment précis. Il y a ceux qui souhaitent fêter un anniversaire, le mariage, la naissance d’un enfant, la perte de quelqu’un. Cela peut être quelqu’un qui vient d’arriver en ville et qui veut s’inscrire dans un projet artistique intimement connecté à la ville. Un papa qui veille le matin et son fils le soir. Cela peut-être un couple : la femme le matin et son mari le soir. Cette performance est aussi là pour soulever l’histoire personnelle de la ville, du territoire. C’est aussi un endroit de paroles pour les citoyens et citoyennes. En cela, il est très démocratique, très accessible.
En quoi cette performance silencieuse est un endroit de paroles pour les citoyen-nes ?
– Le projet comprend une collecte des traces : des photos, des textes. On va demander au veilleur d’écrire quelques lignes après la veille pour partager avec nous son expérience, son ressenti, d’avoir veillé sur la ville, sur le territoire. Et on va demander à l’accompagnateur de prendre un portrait du veilleur et une photo du paysage pour voir le passage des saisons. Ces traces, photos, pensées vont s’accumuler sur le site web dédié au projet les veilleurs : www.wldn.fr
Réserver sa place : www.lecycledesveilleurs.fr
Crédits photo : Sylvain Hitau
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