Documentaire Patrimoine Aulnay-sous-Bois

Un documentaire remet à flots le Galion

Dans un documentaire émouvant, Fawzi, un habitant d’Aulnay, a choisi de convoquer le souvenir du Galion, cette emblématique barre d’immeuble de la cité des 3000, construite en 1970 et démolie en 2020 dans le cadre de la rénovation urbaine. La première diffusion aura lieu le 13 mai au théâtre Jacques-Prévert.

« Le Galion, c’était presque la mairie des 3000. » John Dovi, actuel entraîneur de l’équipe de France masculine de boxe et ancien habitant de la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois, a le sens de la formule au moment de résumer ce qu’était le Galion. Cette mythique barre d’immeuble, construite dans les années 70 et récemment détruite dans le cadre de la rénovation urbaine, est le personnage principal du documentaire réalisé par Fawzi et son association « 6e Sens Prod » (voir encadré).
« Documenter ce qu’était la vie au Galion et montrer aussi les personnalités marquantes qui en sont issues, quand on a l’habitude de résumer les 3000 à une cité à problèmes », tel était le but de cet habitant du quartier des Etangs, qui a lui aussi grandi dans l’ombre parfois électrifiante parfois apaisante du Galion.
« Toute personne qui a grandi aux 3000 et même à Aulnay en général connaît forcément le Galion et a développé avec lui une relation particulière. Moi par exemple, depuis mon immeuble des Etangs, j’ouvrais la fenêtre et je voyais le Galion. J’y allais pour voir des copains, il y avait des espaces d’insertion, le marché, des cafés, la salle de danse... », énumère Fawzi.
Dans son documentaire émouvant défilent donc personnalités - John Dovi, la députée européenne Salima Yenbou ou la danseuse de break Aurele « Sistreen » Mbami - mais aussi anonymes pour y dresser le portrait d’une barre d’immeuble qui aura structuré pendant 50 ans la vie de ce quartier. Petit à petit, à coups de témoignages, on voit se redessiner la silhouette du Galion : soit une barre d’immeubles, « horizontale quand tout était vertical dans le quartier », conçue par l’architecte Pierre-Paul Risterucci. Ses 180 logements, dont certains étaient des duplex de grand standing, vont accueillir notamment des cadres des entreprises environnantes, mais aussi des commerces de proximité, pour désenclaver la cité de la Rose des Vents, non desservie par l’A3.

JPEG - 68.3 kio

John Dovi, entraîneur de l’équipe de France de boxe et ancien habitant des 3000

« C’était un emblème pour nous, un lieu de retrouvailles, le centre d’Aulnay », se souvient avec émotion Fatiha Dib, arrivée en 1969 et donc l’une des premières habitantes des 3000. Car parler du Galion, c’est forcément aussi parler des 3000, ce quartier de 22 000 habitants, « une ville dans la ville », édifié pour y loger des milliers de travailleurs, qui seraient ensuite employés à PSA Citroën ou à Kodak.
« Il y avait tout au Galion : de la sécurité sociale à la Poste en passant par le marché. Je me souviens, il y avait même une boîte de nuit », se remémore John Dovi dans le documentaire. Cet exercice à la Pérec charrie aussi forcément son lot de regrets et de nostalgie. « Les 3000 avant, c’était une grande famille, tous les voisins se connaissaient, et plein de nationalités se côtoyaient. Aujourd’hui, il y a davantage de tensions, je ne retrouve plus mes 3000 quand j’y reviens », déplore Fatiha Dib. Et celle qui est désormais ATSEM dans une école maternelle à Sevran de mettre cette dégradation sur le compte de la montée de l’individualisme dans la société et de l’oubli des quartiers populaires.
Car le Galion n’a évidemment pas navigué sur un long fleuve tranquille. Son destin évoque celui du l’abandon progressif des quartiers populaires dans les politiques publiques étatiques. Avec la désindustrialisation progressive survient la fermeture progressive des commerces du Galion, les années 80 étant aussi marquées par l’arrivée de la drogue.

JPEG - 48.2 kio

Fatiha Dib, ancienne habitante des 3000

« Mais le Galion, c’est beaucoup plus de bonnes choses que de mauvaises », veut retenir Fatiha, raccord en cela avec la ligne du documentaire de Fawzi qui s’attache à montrer le positif de ces quartiers, souvent boudé par les medias parce que pas assez sensationnel. Et de convoquer les exemples du team hip-hop du Galion, « connu jusqu’à Los Angeles ou en Finlande », comme le rappelle Aurele "Sistreen". Cette membre du crew « New Era », qui témoigne aussi dans le documentaire, aura usé ses semelles dans les coursives du Galion, à l’image d’un Pascal Blaise Ondzie, lui aussi made in 3000.
Devant tant de nostalgie surgit aussi fatalement la question de sa démolition, parachevée en 2020, et les hésitations qu’elle aura provoquées chez certains habitants : Salima Yenbou par exemple est pour « si ça peut représenter une ouverture pour le quartier », quand Fatiha Dib était contre.
« En tout cas, j’aime ce documentaire parce qu’on y retrouve vraiment ce qui faisait le Galion. Il y a tellement de souvenirs qui remontent », complimente Fatiha Dib qui ne laissera pour rien au monde passer le 13 mai, date à laquelle le film sera projeté au théâtre Jacques-Prévert. Ce jour-là, tout un quartier, et même les plus jeunes qui n’ont pas connu ses grandes heures, revivront l’odyssée du Galion.

Christophe Lehousse

- « Le Galion », au théâtre Jacques Prévert, le 13 mai à 18h30

JPEG - 94.7 kio

Le nouveau centre commercial du Galion, dans les années 1970.
©Jean-Marie del Moral - Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

« 6e Sens Prod », Aulnay sur pellicule

« Si j’ai monté cette association, c’est parce que j’en ai terriblement manqué moi-même quand j’étais jeune. » 23 ans que Fawzi cultive son goût pour l’audiovisuel et la mémoire des quartiers. Quand il fonde « 6e Sens Prod » en 1999, cet habitant du quartier des Etangs songe avant tout à produire ses propres films documentaires. Mais petit à petit naît la volonté de faire de l’éducation à l’image auprès des jeunes. « Parce que c’est important qu’ils apprennent à prendre la parole eux-mêmes avec un moyen d’expression qui s’est considérablement démocratisé au cours des 20 dernières années » Un peu sur le modèle des Engraineurs de Pantin, les jeunes adhérents de « 6e Sens Prod » s’initient donc à l’audiovisuel en allant tourner un maximum de manière bénévole pour des associations. Le portrait d’un dessinateur du cru ou une série sur la nuit, réalisée en 2021 pour la Maison de l’environnement d’Aulnay... « Ma plus grande fierté, c’est quand les structures qui nous ont commandé un sujet nous rappellent, et ça arrive assez souvent », commente Fawzi. Après le documentaire sur le Galion, l’association devrait avoir le vent en poupe...

Dans l'actualité