Timothée Adolphe, encore debout
A 31 ans, ce sprinter non-voyant, champion du monde du 400m et vice-champion du monde du 100m, se lance à la conquête de son Graal ultime : une médaille paralympique. Pour celui qui court depuis octobre sous le maillot de Saint-Denis Emotion, ce ne fut pourtant pas un long chemin de roses : après trois années de coups du sort, le « Guépard blanc » s’apprête à rugir encore.
« Mon rêve n’est pas mort, décrocher l’or/ Tenace, déter, à la vie à la mort/ Malgré nos échecs, nos désillusions/ Encore debout, plein d’abnégation » Cet hymne à la résilience est signé Timothée Adolphe. A ses heures perdues, ce sprinter à l’accélération foudroyante et au flow facile troque en effet les pointes pour le micro. Sur « A vos marques », un album de sept titres sorti mi-juin, l’athlète non-voyant rappe son quotidien d’athlète, mais aussi d’homme, donnant à sa quête d’or un sens métaphorique.
L’or paralympique, Timothée l’a dans le viseur, à portée de foulée. Le 28 août prochain, à Tokyo, celui qui s’est encore rassuré en devenant en mai champion d’Europe du 400m (record de France en 50"76) attaquera les séries du tour de piste, et quelques jours plus tard, le vice-champion d’Europe du 100m s’alignera aussi sur la ligne droite. « On est dans les temps de passage, maintenant il ne faut pas se tromper : les Jeux, c’est les Jeux, le niveau va encore monter d’un cran », dit celui qui est habitué à aller chercher au plus profond de lui-même.
Car il n’y a pas toujours eu des matins calmes comme ce mardi 22 juin, où le sprinter non-voyant répète tranquillement ses gammes à l’INSEP avec son coach de toujours, Arthémon Hatungimana.
« Quand je pense au chemin parcouru, je suis fier. On a eu 3 années très noires : 2016, 2017, 2018, où on dominait sur la piste, mais où on repartait à chaque fois sans la médaille. C’a été une période très compliquée à gérer, personnellement et au sein de l’équipe. Heureusement que le titre de champion du monde sur 400m et de vice-champion du monde sur 100m en 2019 sont venus mettre un terme à cette série catastrophe », se remémore Timothée, son fidèle Jappeloup, son chien d’aveugle, allongé tranquillement à côté de lui.
De 2016 à 2018, Adolphe a en effet plus tenu du chat noir que du « Guépard blanc », son surnom. Disqualification à Rio 2016 pour un pied mis sur la ligne de son couloir, chute à quelques mètres de la ligne aux championnats du monde de Londres 2017, et re-disqualification sur 200m dans ces mêmes championnats alors qu’il y avait raflé l’or... Et la goutte qui fait déborder la vasque paralympique : disqualification aux championnats d’Europe de Berlin 2018 pour n’avoir pas porté de dossard alors qu’il remporte son 400m avec 25m d’avance… « Je pense que je m’en suis sorti parce que je suis têtu et aussi parce que je me suis recentré sur d’autres activités en parallèle de l’athlé », dit celui qui, en plus de ses albums rap, a aussi créé sa ligne de vêtements et est devenu papa en 2019.
Dans la famille désillusions, ajoutez aussi sa sortie du Paris Université Club, son club de toujours, qui ne l’aurait pas conservé « parce qu’à 31 ans, ils ne croyaient plus trop en moi ». Sauf qu’il en faut plus pour abattre Timothée , qui a su rebondir en endossant en octobre dernier le maillot bleu de Saint-Denis Emotion, un nom qui va bien à cet athlète entier et attachant. « Le projet qu’ils m’ont proposé et le fait de me rapprocher du Stade de France, où le club est basé, 4 ans avant Paris 2024, ça m’a plu », commente celui qui n’a jamais fait mystère de vouloir prolonger sa carrière jusqu’à ces Jeux à domicile.
Aladji Ba comme étincelle
Le tartan, ce gamin de Guyancourt y est venu à 11 ans, en voyant une course d’Aladji Ba, médaillé de bronze paralympique sur 400m, en démonstration aux championnats du monde de Séville. Car oui, à cette époque, Timothée voit encore, malgré un glaucome congénital et un œil droit déjà touché par un décollement de la rétine. « Mais à partir de mes 15-16 ans, ma vue s’est aussi dégradée de l’œil gauche. A 19 ans, je me suis pris un coup après une performance sur scène, j’ai là aussi eu un décollement de la rétine et là c’était game over », raconte l’intéressé avec l’humour qui le caractérise.
Son parcours pour marcher dans les traces d’Aladji Ba sera pourtant là encore semé d’embûches. Comme à Angers, où le jeune homme, alors en seconde, veut rejoindre la section handisport d’un club d’athlé : « Ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de temps à perdre avec un aveugle ». Il faudra attendre 2011 et sa rencontre avec Arthémon Hatungimana, coach au PUC, pour que la carrière du Guépard blanc soit enfin lancée. « Je me souviens, je partais pour les championnats du monde handisport en Nouvelle-Zélande, quand Timothée est arrivé. Je lui ai dit de revenir à mon retour et Timothée n’a pas loupé le rendez-vous... », raconte son mentor, lui-même vice champion du monde sur 800m de Göteborg.
"Des années de retard"
Cet homme au sourire malicieux, aussi discret que Timothée peut être bavard, est au centre de la « petite entreprise » mise sur pied par le sprinter non-voyant : les guides-compétition Bruno Naprix (sur 100m) et Jeffrey Lami (sur 400m) ainsi que trois autres guides-entraînement la complètent. Avec tous les cinq, Timothée a un lien bien particulier, qui dépasse la simple relation de travail. « En compétition, on recherche une osmose. On doit être sur le même temps, même foulée, même mouvement de bras, un peu comme les nageuses synchronisées quand elles sont sous l’eau. Du coup, c’est plus facile de parvenir à ça quand on est aussi amis en dehors de la piste ... »
Homme à la parole libre, Timothée Adolphe n’hésite pas non plus à faire usage de son franc-parler au moment de qualifier l’accès à la pratique sportive pour les personnes handicapées en France. « C’est encore compliqué de trouver des clubs… Il y a plein de gens de bonne volonté, mais tout ça manque de structuration. Il y a aussi un gros manque au niveau de la formation des entraîneurs : à mon sens, le volet handicap dans la formation d’un éducateur devrait être plus important, de manière à ce qu’il puisse être en capacité d’accueillir tout le monde... », souligne celui qui trouve par ailleurs la France « à des années de retard par rapport à des pays comme la Grand-Bretagne ». « Il faut qu’on arrive à être sur de l’inclusion sociale plus importante, que les lois sur l’accessibilité ne soient pas là juste pour faire joli… On n’arrête pas de dire qu’on est une puissance mondiale, mais qu’on le prouve à un moment ! C’est à l’État de se donner les moyens de ses ambitions » Encore debout.
Christophe Lehousse
Photos : ©Eric Garault
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