Tarik Laghdiri, la parole déconfinée
Ce jeune homme de 35 ans, qui a grandi dans le quartier des Etangs à Aulnay-sous-Bois, a tenu pendant le confinement un journal de bord dans Le Parisien. Il revient sur cette expérience, ainsi que sur une autre facette de sa vie : celle de scénariste-réalisateur, déjà primé pour un court-métrage.
Tenir ce journal de bord vous a aidé à mieux supporter le confinement ?
D’une certaine manière, oui. Ca m’a surtout donné un rôle : je sentais que tout ce que je voyais allait alimenter potentiellement ma chronique hebdomadaire. Du coup, on ne vit pas la semaine de la même manière. Ce qui m’importait, c’était de donner à voir mon quartier à l’heure du confinement, parler de problèmes bien concrets, me faire le porte-voix de gens qui n’ont peut-être pas toujours voix au chapitre ou pas les outils pour s’exprimer.
Avec le recul, quels enseignements faut-il tirer de cette période de crise ?
Pour moi, il y en a beaucoup. D’abord, le fait d’être enfermé a mis chacun devant sa propre personne, ça a favorisé l’introspection. S’ajoute à ça que le confinement nous a amenés, nous habitants des quartiers populaires, à réfléchir à nos conditions de vie. Le fait de vivre un confinement dur, vécu pour certains dans des logements très petits, nous a fait je crois prendre conscience de nos situations sociales. En fait, on s’est rendu compte qu’on était confinés avant même le confinement, à travers nos logements, mais aussi nos emplois : infirmiers, caissiers, éboueurs, qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur...
Espérez-vous un changement de ce point de vue ?
Je ne sais pas. On a pu entendre beaucoup de promesses de la part du gouvernement. Mais c’était sous le coup de l’émotion. Reste à voir ce que ça donne dans la réalité. Ma sœur par exemple est infirmière à l’hôpital Bichat qui a accueilli lui aussi beaucoup de malades du Covid. Et déjà on s’aperçoit que la prime évoquée au moment de l’épidémie n’est pas automatique, qu’il y a des conditions d’octroi… A cela s’ajoute parfois aussi le sentiment d’un deux poids deux mesures : alors que le gouvernement parle de milliards pour le soutien à de grandes entreprises après la crise, il mégote sur une augmentation de 300 euros pour le personnel hospitalier ou autre… ça crée de l’incompréhension chez les gens.
La Seine-Saint-Denis a été un des départements français les plus touchés par l’épidémie. C’est lié à quoi selon vous ?
Je pense qu’il y a un lien entre ces conditions de vie dont on vient de parler et la surmortalité. Les logements exigus pour des familles souvent nombreuses, des métiers durs, pas remplaçables par du télé-travail et aussi des retards dans l’accès aux soins, voilà ce qui a favorisé la mortalité dans la département. Sur le dernier point, il faut comprendre que les personnes dont la problématique principale est la subsistance n’ont pas comme priorité de multiplier les rendez-vous médicaux. Du coup, ce sont des personnes plus fragiles.
Vous avez notamment été affecté par la mort, assez tôt dans l’épidémie, d’Alain Siekappen Kemayou, le responsable de la sécurité du centre commercial O’Parinor. Est-ce qu’il représente à vos yeux tous ces travailleurs de terrain qui, dans les premiers temps, n’ont peut-être pas été assez protégés, du fait des messages sanitaires contradictoires et du manque de masques à cette date ?
C’est vrai, mais toute cette réflexion sur les gens en première ligne, sans doute insuffisamment protégés dans les premiers temps, on ne l’a comprise que plus tard. Sur le moment, cette mort nous a surtout choqués parce que c’était une figure appréciée du quartier, qu’on croisait quand on était jeunes dans nos sorties au centre commercial. Cette mort, combinée à celle d’une voisine âgée, a aussi pour moi été le signal que le virus n’était plus une abstraction. Là, ça devenait concret, c’était dans le quartier.
Mais dans votre chronique, vous indiquez aussi que la surmortalité observée en Seine-Saint-Denis ne saurait résumer le département. Que faut-il dire pour compléter le tableau ?
Par exemple, évoquer l’élan de solidarité assez impressionnant qu’il y a eu dans de nombreuses villes du département. Ici à Aulnay-Nord, les chaînes de solidarité se sont organisées très vite. Moi qui ai deux parents âgés et notamment un père atteint d’Alzheimer, des gens que je ne connaissais pas m’appelaient pour m’offrir leur aide. Cette spontanéité m’a ému, sans m’étonner vraiment. Car je sais depuis longtemps que si on n’est pas riches économiquement, on compense par le partage, l’entraide.
La vie heureusement reprend son cours. Vous faites partie du comité de pré-sélection du festival Hallnaywood, qui a été maintenu et se déroulera bien les 4 et 5 septembre prochains.
Oui, c’est un beau festival : en 2019, j’ai eu la chance d’être primé pour « Tombé du camion », un court-métrage co-réalisé avec un ami, Oumarou Doucara. En fait, Hallnaywood, c’est une manifestation culturelle que j’aime beaucoup pour sa capacité à mélanger dans sa programmation films professionnels et amateurs. Et aussi parce qu’elle favorise les rencontres, qui sont à mes yeux l’outil le plus puissant pour lever les barrières sociales ou l’auto-censure.
C’est le cas pour vous ? Comment vous êtes-vous mis à faire des films ?
J’écris depuis longtemps, ça fait partie de mon mode de vie. Mais oui, j’ai croisé le chemin du cinéma grâce à une rencontre. En 2015, je suis tombé un jour sur deux personnes qui cherchaient un bar-tabac dans le quartier des 3000 pour y tourner une scène. C’était dans le cadre de « Dans mon hall », un dispositif mis en place par la productrice Laurence Lascary qui entend rapprocher le cinéma des habitants des quartiers populaires, en les invitant à développer leur propre scénario. De fil en aiguille, j’en suis arrivé à écrire un premier court, puis est venu « Tombé du camion », un projet porté par le Centre Social Albatros.
Votre avis de scénariste du coup : dans le cinéma français actuel, que pensez-vous de la représentation à l’écran des quartiers populaires ?
Difficile de répondre à cette question car cela dépend des films. Je peux juste dire ce à quoi j’attache de l’importance personnellement : à mon sens, il faut éviter un regard surplombant. Quand je parle de mon quartier, que ce soit dans les films que j’ai pu faire ou dans le journal de bord du Parisien, je m’efforce toujours d’avoir de parler « de l’intérieur vers l’extérieur », du quotidien des gens qui m’entourent. En 35 ans, mon identité s’est aussi construite avec ce quartier et d’une certaine manière, ce quartier fait partie de moi. C’est aussi pour cela je pense que des gens, même s’ils ne sont pas d’ici, se sont reconnus dans ma chronique : parce qu’elle leur semblait sincère.
Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photo : ©Sylvain Hitau
– N.B : Après le confinement, Tarik Laghdiri s’est lancé dans la création d’un podcast radio « Les Déconfinés », où lui et certains de ses amis, prennent librement la parole sur des thématiques d’actualité ou des sujets culturels. Un 2e épisode de cette émission vient de sortir sur cette thématique : "Etre femme en banlieue"
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