Rêves de Jeux pour la Seine-Saint-Denis
Du 13 au 16 mai, Paris et la Seine-Saint-Denis accueillaient la commission d’experts du CIO chargée d’évaluer sur place leur projet pour les Jeux 2024. L’occasion de rappeler les enjeux de cette candidature pour le département, à travers une interview du président Stéphane Troussel et de Sarah Ourahmoune, boxeuse made in Seine-Saint-Denis et vice-championne olympique aux derniers Jeux de Rio.
Récemment nommée déléguée du gouvernement, Sarah n’a eu qu’à gravir deux étages pour rejoindre Stéphane Troussel. Après sa belle médaille d’argent à Rio, la jeune femme a en effet troqué les gants pour les responsabilités citoyennes et associatives, acceptant une mission d’un an dans les locaux de la préfecture de Bobigny sur le thème « Sport, citoyenneté et mixité ». Ses succès brésiliens n’y ont rien changé : la jeune femme d’Aubervilliers est toujours aussi accessible. Un sourire, un café, et c’est parti pour une heure de discussion enjouée et sportive, portée par beaucoup d’espoirs et un zeste d’impatience en attendant le verdict le 13 septembre prochain.
Le Mag : La Seine-Saint-Denis a brillé en boxe aux derniers Jeux avec votre médaille olympique et celle de Souleymane Cissokho, du Top Rank Bagnolet. Derrière vous, il y a aussi d’autres grandes figures comme Jean-Marc Mormeck, qui a grandi à Bobigny ou John Dovi, l’entraîneur national des garçons, originaire d’Aulnay-sous-Bois. Comment expliquez-vous cette excellence dans ce sport pour notre département ?
Sarah Ourahmoune : Il y a selon moi plusieurs facteurs qui expliquent ça : d’abord le talent de ces sportifs et puis les entraîneurs qui vont avec. Pour la petite histoire, John Dovi a commencé la boxe avec Marcel Denis, mon beau-père, qui était justement mon entraîneur à Rio. Jean-Louis Mandengue a lui aussi fait les Jeux (à Atlanta en 1996), tout comme Saïd Bennajem (en 1992). Il y a donc plusieurs clubs en Seine-Saint-Denis qui ont une culture d’excellence : Aulnay, le Top Rank Bagnolet avec les frères Oubaali, et tant d’autres...
Stéphane Troussel : Mais selon vous, c’est un pur hasard, ou il y a des caractéristiques de la Seine-Saint-Denis qui font que ça a bien pris chez nous ?
S.O : Il se trouve que plusieurs entraîneurs très bons coïncident sur le territoire. Après, la boxe a aussi toujours été un sport populaire, un moyen pour les gens de milieu modeste de se démarquer, et la Seine-Saint-Denis est un territoire populaire...
S.T : Et être une jeune femme dans ce milieu au départ très masculin, est-ce que ça a été difficile ?
S.O : Je dirais qu’il a fallu du temps. Quand je pousse la porte du Boxing Beats à Aubervilliers, en 96-97, je suis la seule femme. La boxe féminine en compétition n’était alors pas autorisée en France, au contraire de pays comme la Suède où elle existe depuis 1939. Il y avait forcément quelques remarques assez machistes. Ce qui m’a fait rester, c’est l’ambiance et aussi l’envie d’apprendre. Et puis, je me suis fait ma place au fil des combats. Quand en 1999, j’ai commencé à partir à l’étranger pour des compétitions internationales, j’ai senti qu’on me respectait pour ce que je produisais sur un ring.
Le Mag : Mais encore aujourd’hui, certaines femmes qui auraient envie de commencer la boxe n’osent pas forcément. C’est entre autres pour ça que vous avez créé votre association Dynamic Boxe…
S.O : Les mentalités ont quand même bien changé. Aujourd’hui, pratiquement tous les clubs ont une section féminine et la fédération accompagne également bien cette évolution. Si j’ai créé mon association, c’est parce que je me suis rendu compte que les femmes qui voulaient faire de la boxe rencontraient deux freins. D’abord, les mamans n’avaient pas forcément la possibilité de faire garder leurs enfants et puis, il y avait celles effectivement qui n’osaient pas. Mon association fonctionne un peu comme un sas de transition : certaines commencent par là et finissent par rejoindre un club une fois qu’elles se sentent en confiance. A ce propos, quel est votre regard sur cette dimension du sport comme outil de développement personnel, M.le président ?
S.T : On a un paradoxe : nous sommes le département le plus jeune de France métropolitaine, et en même temps on a un déficit de licenciés par rapport à d’autres départements. Cela peut être lié à un retard en matière d’équipements, que nous essayons de combler, ou à un maillage de clubs qui n’est pas encore assez dense. On essaie d’y remédier en incitant les différents acteurs du sport en Seine-Saint-Denis à structurer un projet de territoire, c’est-à-dire à avoir des approches complémentaires entre les différentes utilisations du sport.
On met aussi l’accent sur certaines dimensions comme le savoir nager. Ainsi, à supposer que nous ayons les Jeux, je ne voudrais pas qu’en 2024, la moitié des enfants de Seine-Saint-Denis ne sachent toujours pas nager, comme c’est le cas actuellement. Nous allons donc proposer en lien avec le Mouvement sportif et l’Etat un grand plan « Savoir nager », qui pourra notamment être mis en oeuvre à travers différentes animations accessibles à tous, festives et populaires dans le département.
Vous voyez que finalement nos missions sont assez proches. Vous, vous vous attachez à lutter contre les préjugés sur le plan de l’égalité hommes-femmes en boxe. Nous le faisons par rapport à l’image que peut avoir la Seine-Saint-Denis…
S.O : Oui, c’est vrai qu’on peut faire un parallèle. De la même manière qu’on peut faire un parallèle entre l’image de la boxe et celle de la Seine-Saint-Denis qui ont toutes les deux commencé à s’améliorer.
Le Mag : D’ailleurs, envisagez-vous des actions communes avec le Département dans le cadre de votre mission de déléguée du gouvernement ?
S.O : C’est à l’étude. Pour l’instant, j’ai noué des contacts avec l’APELS (Agence pour l’Education par le sport) et l’APART, une association de Tremblay spécialisée dans l’insertion par le sport. L’idée est de proposer des débouchés professionnels à des jeunes sportifs qui sont en recherche d’emploi. Une trentaine de jeunes de Tremblay ont ainsi signé des contrats de professionnalisation au Crédit Lyonnais. Je vais travailler avec eux en essayant de leur faire profiter de mon carnet d’adresses dans le monde de l’entreprise.
S.T : Vous êtes arrivée à l’âge de 10 ans en Seine-Saint-Denis. L’avez-vous vue évoluer depuis ?
S.O : Je suis arrivée en 1992 dans le département. J’ai d’abord vécu à Aubervilliers, Villepinte, Aulnay et maintenant, je vis en Seine-et-Marne. Moi, je venais de Sèvres, dans les Hauts-de-Seine donc au départ le contraste a été assez saisissant. Au tout début, j’avais une image assez violente de mon quartier à Aubervilliers, le Landy, c’est d’ailleurs peut-être pour ça que j’ai commencé la boxe. Mais petit à petit, je me suis attachée à mon quartier et c’est vrai aussi que beaucoup de choses ont changé.
S.T : Oui, les années 90 ont été marquées par les suites de la désindustrialisation qui a induit beaucoup de chômage. Il manquait alors un projet de développement alternatif. Ce second souffle, c’est la construction du Stade de France en 1994 qui l’a donné… Ça s’accélère ensuite dans les années 2000, des villes comme Pantin, Saint-Ouen, Aubervilliers poursuivent alors leur transformation. Et finalement, c’est pourquoi nous sommes si impliqués dans la candidature aux Jeux : le fait de rassembler des millions de téléspectateurs, de spectateurs, des milliers de sportifs, d’artistes aussi, c’est l’occasion de changer le regard sur la Seine-Saint-Denis.
Et puis, il y a bien sûr les mutations urbaines : tous ces logements, équipements qui seront construits sont une chance pour notre département. Avec cette précision importante : ces aménagements concerneront un périmètre plus large que celui du Stade de France puisqu’il y aura aussi toutes les modifications urbaines autour du parc départemental Georges-Valbon. Ce pôle de La Courneuve-Dugny-Le Bourget se développera indépendamment de la candidature des Jeux avec l’arrivée d’une gare du Grand Paris Express, la réhabilitation du Musée de l’air et de l’espace, l’extension de l’aéroport… Pour nous, la question de l’héritage est donc essentielle. Voilà pourquoi nous ne voulons pas non plus d’un gigantisme comme on a pu le voir à Rio...
S.O : Est-ce qu’il existe déjà des plans du village ?
S.T : Oui, on a des visuels, et c’est plutôt de qualité. Nous travaillons avec des architectes, les maires, les élus locaux, il y a des réunions de concertation parfois serrées avec le comité de candidature. Celui-ci a ses exigences pour les sportifs avec des critères particuliers. L’été dernier, je me suis rendu à Rio, c’était la première fois que j’allais aux Jeux. Nous ne voulons pas faire Rio, ces grandes tours du village olympique, nous n’en voulons pas.
S.O : Pendant les Jeux, c’est vrai que c’était bien, mais j’ai trouvé l’espace trop à part, très sécurisé, très propre… un peu aseptisé.
S.T : Il paraît que Pékin et Londres étaient sur le même modèle. Nous, nous voulons des immeubles un peu moins haut, à la typologie qui permet des évolutions pour l’après-JO, que ce ne soient pas forcément que des logements, mais aussi des espaces d’activité économique. Même chose pour le village des médias, où nous voulons une offre de logements assez attractive et qui s’inscrive dans un certain développement durable. Avec le parc départemental Georges-Valbon, il n’est pas question de faire du gigantisme.
S.O : Et que comptez-vous faire pour bien associer les habitants du département aux Jeux si nous les obtenons ?
S.T : Il y a deux étapes. D’ici au 13 septembre, jour de l’annonce de la ville hôte, il faut montrer l’enthousiasme autour de cette candidature, lever les inquiétudes s’il y en a encore. Mais je pense que globalement en Seine-Saint-Denis, il y a plutôt une adhésion à l’idée d’accueillir les Jeux. Après le 13 septembre, il va falloir démultiplier tous les outils possibles. C’est-à-dire permettre aux entreprises du territoire de se regrouper, adapter les règles de la commande publique pour leur permettre de répondre aux appels d’offres… Et par ailleurs, préparer des centaines, des milliers de jeunes et de moins jeunes pour qu’ils accèdent aux emplois créés. Dans ce domaine nous avons un peu d’expérience : lorsqu’en 2014, nous avons construit douze collèges, nous avons par exemple beaucoup sollicité les entreprises pour qu’elles intègrent des jeunes en insertion.
Le fait qu’il y ait des investissements publics massifs, 1,5 milliard de la part de l’État et des collectivités, dont 67,4 millions de la part du Département, c’est quand même suffisamment important pour que les entreprises qui vont construire répondent à certaines exigences. Il va falloir héberger, transporter, nourrir, divertir des milliers de personnes, cela va créer de l’emploi.
Le Mag : Vous Sarah, vous êtes très impliquée pour le soutien à cette candidature ?
S.O : Oui, de l’ordre de deux à trois sollicitations par semaine, dans des entreprises partenaires, des écoles, des associations…
Le Mag : Si Paris obtient les Jeux, est-ce qu’il ne sera pas difficile d’affirmer l’image de la Seine-Saint-Denis, de ne pas se faire noyer dans cette grosse machine ?
S.T : Il faut être lucide sur ce point. Certes, ce seront les Jeux de Paris, mais nous avons plutôt bien réussi à tirer notre épingle du jeu. Certes il y a Paris, mais le village des athlètes, le village des médias, la piscine olympique, la piscine de water-polo, le tir, le badminton, le volley-ball, le potentiel du COJO à Aubervilliers, les 5 % de ce qui est à construire, c’est chez nous.
Et par ailleurs, dans une candidature, il y a toujours besoin de raconter une histoire. La Seine-Saint-Denis permet à Paris d’écrire cette histoire. Lors de la dernière candidature pour les Jeux de 2012, quand Londres se montrait jeune, diverse, cosmopolite, Paris montrait ses monuments sur des photos noir et blanc auxquelles ne manquaient que la baguette et le béret. Aujourd’hui, pour le film de cette candidature, on voit Paris et ses monuments certes, mais aussi Sarah, le Stade de France et la Cité du cinéma. On parle d’un Paris plus grand que Paris, on montre ce territoire jeune a reconquérir, qui va permettre à Paris de devenir une grande métropole européenne et mondiale. Et ça, tout le monde a compris que c’est en Seine-Saint-Denis que ça se passe.
Le Mag : Les Jeux, ce sont aussi les Jeux paralympiques. Est-ce que cette perspective serait aussi un accélérateur pour favoriser l’accessibilité ?
S.T : Bien sûr, tout le monde est attentif à la réussite des Jeux paralympiques et la mobilisation à ce niveau ne faiblit pas. Et l’aspiration à une société plus juste et plus fraternelle ne fait qu’augmenter. De notre côté nous répondons aux engagements liés aux aspects techniques de la candidature, mais il y a aussi nos propres engagements. Nous avons par exemple un projet de Pôle sport handicap au parc de la Motte à Bobigny qui doit à terme proposer des ressources, de la formation mais aussi bien sûr de la pratique dans le domaine du handisport. Ce pôle, on va essayer de le penser en complémentarité avec ce qui peut se faire sur le cluster olympique du Bourget.
Et puis, il y a une autre dimension sur laquelle la maire de Paris met beaucoup l’accent, c’est la question du développement durable et de l’environnement. Ce qui n’est pas qu’un effet de mode. La proximité du parc départemental classé Natura 2000, les équipements construits le long de la Seine : il y a là une véritable marque de fabrique d’une ville plus respectueuse de l’environnement, plus douce, où les transports collectifs sont développés.
Le Mag : Donc on peut dire que ce projet JOP accélère le changement dans de nombreux domaines...
S.T : Cela va nous permettre de prendre une dimension supplémentaire. Certes nous poursuivons ces objectifs dans nos politiques publiques. Mais un projet de cette ampleur permet de rassembler tout le monde, et nous fait prendre des décisions qu’on n’aurait pas prises. Sans les Jeux, je ne sais pas si nous aurions été capables de nous investir aussi vite, aussi fort, de mettre 12,5 millions d’euros dans la réfection de la piscine de Marville alors que ça fait des années que cette piscine est dans un sale état et que ni Paris ni nous-même ne parvenons à une solution. Et là avec les Jeux, on y arrive !
Propos recueillis par Georges Makowski et Christophe Lehousse
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