Serge Malik, la note bleue de Saint-Ouen

Serge Malik, la note bleue de Saint-Ouen
Musique

Cet Audonien pur jus, guitariste de studio, a joué avec Charles Aznavour, Michel Berger ou encore Nougaro. Il se souvient du Saint-Ouen de son enfance, de son ami Didier Lockwood avec qui il a créé le festival Jazz musette des Puces et de son grand-père, le fondateur du marché Malik du même nom. Portrait.

Rencontrer Serge Malik, c’est un peu comme plonger dans les Tontons Flingueurs. Mêmes personnages hauts en couleur, mêmes dialogues savoureux… et bien sûr la musique… Un peu comme Lino Ventura, on voit bien Serge Malik Hapulat de son nom complet, un mètre 80 et sens de la formule, nous dire : « On devrait jamais quitter Saint-Ouen… »

Assis à la terrasse du café Paul Bert, ce colosse aux doigts d’or nous fait faire mentalement le tour du propriétaire. Ici, il est en terrain connu et s’y retrouverait même à l’aveugle. A deux pas, le Picolo, « mon QG de quand j’étais môme ». C’est dans ce bar, acheté par le grand-père Malik, une figure du quartier, que Serge a grandi et littéralement fait ses gammes.

« A l’époque, au bout de la rue Vallès, y avait rien. Le périph’ n’est arrivé qu’en 1972-1973, par là. C’était encore ce qu’on appelait la zone. Et la zone, c’était le domaine des manouches. C’est avec eux que j’ai appris à jouer de la guitare. »

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Le Picolo, en 1935. Malik le grand-père est tout à gauche

« Tu seras musicien »

Django n’est plus là, mort en 1953, quand Serge, lui, est né en 1955, mais ça ne fait rien. D’autres bonnes âmes sont là pour faire son éducation musicale : « A 13 ans, j’ai eu droit à ma première vraie guitare, une Fender Mustang, offerte par mon père. Il m’a dit : tu vas au magasin d’instruments et tu demandes conseil à Jo. Celui-ci m’a accompagné et au bout d’un moment où il m’avait écouté jouer, il me demande ce que je veux faire dans la vie. Je lui dis que je veux devenir prof de gym. Il me répond : « tu seras musicien ». C’était Jo Privat, le plus grand accordéoniste de jazz des gens du voyage. »

On l’aura compris : Serge Malik, c’est donc la guitare à l’ancienne, le tout-à-l’oreille là où d’autres sont passés par le sacro-saint triptyque solfège-cours-rythmique. « Je ne me suis intéressé aux mathématiques de la musique que plus tard, vers 15 ans, quand j’ai commencé à me dire que je voulais éventuellement en faire un métier. »

Premières dates d’enregistrement en studio, et puis très vite, Serge tombe dans la marmite : il devient ce qu’on appelle un requin de studio. Mais un requin pas méchant alors ! Dans sa carrière, il totalise plus de mille séances d’enregistrement, avec Nougaro, Michel Berger, Nicole Croisille ou encore Aznavour.

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Avec Aznavour, en enregistrement

Avec ce dernier, lui revient d’ailleurs une bonne anecdote : « Un jour de concert au Palais des Congrès, Charles nous dit en nous vouvoyant comme il en avait l’habitude : « Ce soir nous allons avoir une invitée surprise, mais pas besoin de répéter, vous connaissez le titre. Aldo Frank, son chef d’orchestre, insiste un peu mais rien à faire… Un peu plus tard, Liza Minelli arrivait et paf c’était parti : « New York New York ». On a quand même un peu transpiré… »

Bref, la vie de Serge Malik, c’est une vie de musique. Qui continue encore, même 5 ans après qu’il a rendu son tablier. Avec Manu Galvin (guitariste de Renaud, Le Forestier), Basile Leroux (Véronique Sanson, Eddy Mitchell, Johnny) et Bernard Paganotti (Cabrel, Magma), ils continuent à faire des dates de loin en loin. « On doit être le seul groupe dont le contrat de session stipule : trois côtes de bœuf, deux coqs au vin. »

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Avec Nougaro, en enregistrement

Mais Serge Malik, ce n’est pas que la vie de requin de studio. Avec le violoniste Didier Lockwood, son grand copain, ils avaient réussi à mettre sur pied le festival Jazz Musette aux Puces à Saint-Ouen, qui en 15 éditions, aura attiré la crème de la guitare swing et de la variété : de Bireli Lagrène à Thomas Dutronc, de Sanseverino à Véronique Sanson, ils étaient venus, ils étaient tous là.

« La scène principale, c’était là, juste en face, sur la plateforme de débarquement de marchandises de la rue Paul Bert », montre Serge Malik, dont la voix perd en jovialité au moment d’évoquer la mort de son vieux compagnon de route, il y a 4 ans. « Didier, c’était un vrai ami. Sa mort m’a beaucoup peiné. On s’était connu par l’intermédiaire d’autres musiciens, dont Christian Vander, le batteur de Magma. Un des premiers concerts qu’on avait faits ensemble, c’était pour soutenir le piquet de grève de l’usine Chaix de Saint-Ouen, en 1970 ».

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Avec le violoniste Didier Lockwood, son grand ami

Après la mort du violoniste, le festival désormais rebaptisé Festival Didier Lockwood aura encore tenu un an, essentiellement en hommage au violoniste avant de s’éteindre lui aussi. « On aimerait le relancer, moi et la ville aussi je crois, mais il nous faut encore trouver la cheville ouvrière comme nous l’étions avec Didier », confie Serge Malik.

« Personne, y touche le stock »

Le tour de piste dans les Puces continue : nous voici revenus devant le Picolo. Cette fois, il faut regarder en face : le marché Malik y étale ses lettres rouge et noir. Le fait que ce marché de quelques 70 échoppes porte le même nom est tout sauf une coïncidence. « C’est le nom de mon grand-père, qui était albanais. Après avoir vécu à Auberchicourt dans le Nord, il est arrivé à Saint-Ouen en 1935, où il a commencé par acheter le Picolo. En face, il y avait un terrain vague sur lequel des biffins vendaient toutes sortes de choses. Mon grand-père voyait pas ça d’un très bon œil, alors il est allé voir le propriétaire du terrain, un certain M.Bourdin, et lui a proposé de louer son jardin pour une somme assez rondelette. J’ignore d’où il sortait l’argent, on va dire que mon grand-père n’était pas un enfant de chœur, mais c’était un homme d’honneur. Total : M.Bourdin a topé et mon grand-père a monté quelque cent boutiques en face de chez lui. » Une photo d’époque qu’on dirait tirée des Brigades du Tigre ou d’un film sur le « Gang des Tractions avant » nous aide à imaginer la scène : porte cigarettes et feutres mous, moustaches bien coupées et parole d’honneur.

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Le Picolo en 1942. Malik le grand-père est au centre.

Serge Malik reprend, après avoir commandé une petite prune : « Arrivé en 1940, mon grand-père a dit à deux de ses frères, mon oncle Servet et mon oncle Tsatsé : « personne y touche le stock, personne y lève les rideaux » Il leur a filé un calibre à tous les deux et ils ont surveillé le stock tous les jours. A la Libération, mon grand-père a fait rendre les clés aux familles des boutiquiers du marché, des Juifs pour la plupart. Et pour le remercier, ils ont demandé à ce que le marché s’appelle désormais marché Malik. »

C’est beau comme un solo de Tchavolo, comme une impro de Django. En entendant de telles histoires, on se surprend à se demander pourquoi certains veulent faire le tour du monde à la rame ou traverser des jungles hostiles, égarés dans la vallée infernale. On devrait jamais quitter Saint-Ouen…

Photos : fonds Serge Malik

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