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Sarah Ourahmoune : « Les vieux stéréotypes commencent à se briser »

La vice-championne olympique de boxe 2016, formée au Boxing Beats d’Aubervilliers, vient de publier « Mes combats de femme » dans lequel elle revient sur sa carrière et ses engagements au quotidien. Même si elle s’est désormais éloignée des rings, ses combats restent nombreux, notamment pour que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 profitent au plus grand nombre.

Votre livre « Mes combats de femme » se termine sur un souvenir : de retour de Rio, votre médaille d’argent autour du cou, une petite fille vous confie qu’elle aimerait vous ressembler. C’est aussi pour ça que vous l’avez écrit, pour la transmission ?

« Oui. Je me suis rendu compte qu’en revenant avec une médaille, ma voix allait certainement porter, que j’avais un rôle à jouer. Et puis, comme j’arrêtais ma carrière à ce moment-là, ça donnait encore plus de sens à cet engagement. Plus que de me reconnaître dans cette petite fille, j’y ai plutôt vu ma propre fille (elle a entre-temps deux filles, ndlr). Je me suis dit : c’est bien, elles n’ont pas le même regard que moi à leur âge. Pour elles, faire de la boxe, du judo, c’est l’évidence ou presque. Tous les vieux stéréotypes commencent un peu à se briser parce qu’on met en avant d’autres modèles, même s’il y a encore un peu de boulot… »

Même si vous-même n’avez jamais vraiment hésité à suivre votre chemin, en dépit des a priori…

« Oui, mais aussi parce que j’ai eu la chance d’avoir une mère qui m’a laissée très libre de mes choix et qui tenait à donner la même éducation à ses filles qu’à ses fils, ce dont je lui suis très reconnaissante. Elle-même (partie de l’Oranais à 21 ans, ndlr) a toujours voulu faire ses choix de vie à elle sans rentrer dans ce que la société voulait lui imposer. Et quand un moment, à mes débuts en boxe anglaise, elle s’est opposée à ce que j’en fasse, c’était par peur qu’il arrive quelque chose à l’un de ses enfants, pas par différence de traitement entre une fille et un garçon. Elle a d’ailleurs dit la même chose à mon frère… »

Dans votre livre, vous parlez à de nombreuses reprises de la boxe comme d’un « sérum de vérité ». Il est impossible de tricher sur un ring, écrivez-vous. Vous avez fait de la boxe pour savoir qui vous étiez ?

« Je dirais que cette dimension est venue après. J’ai découvert cette discipline un peu par hasard (à 14 ans), alors que je cherchais au départ un club où je pourrais continuer le taekwondo. Je me suis mise à la boxe parce que je me suis découvert un potentiel et que je me sentais bien dans cette salle du Boxing Beats, avec Saïd (Bennajem, son entraîneur durant de longues années). C’est seulement après que j’ai compris que cette discipline allait aussi m’aider à me construire, à acquérir de la confiance dans mon quotidien. »

Une facette atypique dans votre parcours de sportive de haut niveau, c’est aussi que vous n’avez pas hésité à l’interrompre (de 2003 à 2007) pour vous former au métier d’éducatrice spécialisée. C’est assez rare à ce niveau…

« Je l’ai fait pour deux raisons. D’une part, il y avait l’aspect sportif : au début de ma carrière, j’ai toujours considéré la boxe comme une passion et pas comme un métier. Et même si j’avais voulu en faire un métier, ce n’aurait pas été possible à l’époque : quand j’ai commencé, les combats de boxe féminine n’étaient pas encore autorisés (seulement à partir de 1999) et la boxe féminine n’est devenue olympique qu’en 2012… Et puis, j’avais aussi envie d’exister autrement que comme boxeuse, de découvrir d’autres choses. Avec du recul, je pense que cette attitude m’a aussi permis d’être mieux dans mon sport. J’étais sereine parce que je savais que si le plan A ne marchait pas, j’avais un plan B, voire C. Aujourd’hui encore, j’aime bien naviguer d’un univers à l’autre. »

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Le plus beau souvenir de votre carrière est évidemment votre titre de vice-championne olympique à Rio. Et votre souvenir le plus sombre ?

« C’est la non-qualification pour les Jeux de Londres, quatre ans auparavant. Dans ce combat, je suis complètement figée, je me laisse paralyser par plein d’idées noires plutôt que de rester dans le moment présent. Aujourd’hui, je suis persuadée que cette défaite m’a permis de me remettre en question, voire d’aller chercher cette médaille d’argent à Rio. Mais sur le moment, c’était vraiment très dur. Mais c’est sûr que c’est un moment fondateur et l’histoire n’en est que plus belle : les deux dernières années de ma vie de boxeuse ont été très intenses et j’ai fait des choses dont je ne me pensais pas capable. »

Est-ce que la grande force de votre carrière et même de tous vos combats, ça n’a pas toujours été la capacité d’adaptation ?

« Oui, on peut le dire comme ça. Ça, et l’honnêteté vis-à-vis de moi-même. Après mon échec dans la course aux qualifs de Londres, quand je décide de me remettre ça pour Rio après avoir eu ma fille, je savais que j’en passerais par des échecs, par énormément de fatigue. Je savais que ce serait compliqué, mais je voulais être honnête envers moi. »

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Aujourd’hui, de quoi est fait votre quotidien ?

« Je reste très investie dans mon entreprise Boxer Inside, qui propose des cours de boxe en entreprise ainsi que des séminaires sur les passerelles entre sport de haut niveau et stratégies d’entreprise. Mais à côté de ça, j’ai aussi ressenti le besoin de m’engager auprès du Comité national olympique sur un sujet mixité. La priorité est d’augmenter la place des femmes sur des postes à responsabilité quand on sait qu’à l’heure actuelle seule une fédération olympique en France sur les 116 compte à sa tête une femme (Isabelle Spennato-Lamour, en escrime, ndlr)… Enfin, je suis aussi ambassadrice des Jeux 2024 sur la partie héritage, c’est-à-dire sur la meilleure manière de faire profiter les habitants de cet événement planétaire... »

Justement, pensez-vous qu’une partie des retombées des Jeux profiteront aux habitants, aux entreprises locales et pas seulement aux gros partenaires ?

« On y travaille en tout cas. C’est pour ça que je me suis engagée, pour qu’on propose des Jeux vraiment inclusifs pour les habitants. Avec le contre-exemple de l’Euro 2016 à l’esprit, qui de ce point de vue n’a pas été une réussite... J’y crois vraiment, même s’il faut se dire que ce n’est jamais gagné. »

En quoi consistent vos actions sur le plan du soutien aux entreprises locales, aussi bien PME qu’entreprises sociales et solidaires ?

« Nous venons par exemple de lancer « start US up », un programme impulsé par l’ambassade des Etats-Unis en France destiné à accompagner des projets d’entreprises dans différents domaines : développement durable, insertion, sport, projets autour de l’emploi, alimentation solidaire… 16 propositions ont été retenues, dont une bonne dizaine sont issus des quartiers « politique de la ville ». Le but de ce programme est de donner à ces jeunes créateurs d’entreprises les moyens de répondre aux appels d’offres liés aux Jeux. Et aussi de leur transmettre de la confiance et de l’expérience à travers des interventions d’experts français ou américains ou des ateliers de développement personnel. A la toute fin de ce parcours, ils feront une présentation de leur projet à un panel d’investisseurs. Mon seul regret est qu’il n’y ait que 5 femmes parmi ces 16 porteurs de projet... »

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Et un retour plus près des rings, en tant qu’entraîneure, ça ne vous titille pas ?

« Non, je préfère vraiment creuser ce secteur insertion, développement personnel. Le principal frein au métier d’entraîneure, c’est que j’ai deux enfants que je veux voir grandir. Et être entraîneure, ça veut dire s’engager tous les soirs, tous les week-ends pour ses athlètes. Non, si je devais à nouveau me rapprocher de la compétition, ce serait plus sur un poste de dirigeante, peut-être au sein de la fédération… Même si ça reste encore un peu vague dans ma tête... »

Par exemple pour perfectionner la préparation olympique des boxeuses ? Dans le livre, on voit qu’à votre époque, c’était un peu le système D, voire qu’il y avait un poil de mépris. Il y a notamment ce moment assez ahurissant où vous récupérez le titre de championne du monde 2008 après disqualification d’une Chinoise pour dopage et où personne au sein de la fédération ne vous en informe...

« Oui, à mon époque, ça a parfois été compliqué, mais surtout jusqu’à ce que la boxe féminine devienne olympique (en 2012). Là, on a noté un vrai changement, avec des prises en charge lors des stages. Mais il y a encore des choses à faire évoluer pour que les sportives se sentent moins laissées pour compte. »

Dans votre livre, vous évoquez aussi les facettes sombres de la boxe, ses petits arrangements dont vous avez parfois été victime, justement lors des Championnats du monde 2008 ou plus tard sur ceux de 2016. La boxe olympique a même un temps été en péril pour les Jeux de Tokyo 2020. Etes-vous inquiète de voir disparaître l’épreuve ?

« Non quand même pas, car entre temps le CIO a assuré qu’il souhaitait maintenir la boxe à Tokyo. Mais c’est vrai qu’on navigue à vue. Pour l’instant, on ne sait toujours pas trop dans quelles conditions vont être organisés les tournois de qualification et pour un athlète, c’est extrêmement déstabilisant… Oui, la boxe à l’international reste un sport gangrené par les mauvais jugements et parfois corrompu. C’est triste… »

Qui pourrait marcher dans vos traces à Tokyo ? Suivez-vous l’actualité de la boxe féminine du 93, par exemple le parcours d’une Fatia Benmessahel (Noble Art Rosny), bronze aux derniers championnats d’Europe U22 ?

« Oui, je la connais. Elle et d’autres ont leur chance pour Paris 2024. Le fait d’avoir les Jeux en France, ça va impulser une vraie dynamique au sein des fédérations, donner envie d’encore mieux préparer les athlètes. Là, c’est un peu le chantier avec la création de l’Agence nationale du Sport et la mobilisation des CTS (conseillers techniques sportifs). Mais pour Paris 2024, je pense que le timing sera le bon… Il faut qu’elles saisissent leur chance à fond. »

Enfin, un fait étonnant, qui prouve votre éclectisme. Vous affirmez dans votre livre que si vous n’aviez pas été boxeuse, vous auriez souhaité devenir peintre.

« Oui, c’est vrai que j’aurais aimé ça. J’avais commencé par la peinture, mais quand j’ai découvert la boxe, j’ai décidé de bifurquer. J’ai aimé ce côté créatif, le fait d’avoir un temps pour soi. Mais bon, il y a quand même un lien avec la boxe : dans les deux cas, il faut avoir le sens de l’observation ! »

Mes combats de femme, édition Robert Laffont, 20 euros

Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photos : ©Sylvain Hitau, Nicolas Moulard, Presse Sports

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