Résidences artistiques - Le feuilleton

Résidences artistiques : Virée en adolescence à Romainville (volet n°2)

Les résidences In Situ fêtent leurs dix ans ! Ce dispositif initié par le Département, qui consiste à accueillir pendant toute l’année un artiste dans un collège, méritait bien un petit feuilleton. Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires elles-mêmes de Seine-Saint-Denis, rendent compte de ces résidences dans 10 établissements. Découvrez aujourd’hui le travail du collectif musical La Souterraine au collège Gustave-Courbet de Romainville.

Virée en adolescence

Le collège Gustave-Courbet de Romainville a été dessiné par l’architecte Paul Chemetov. C’est une plaque dans le hall de l’établissement qui le dit. A Chemetov, on doit notamment l’aménagement du tramway T1 ou l’ambassade de France à Delhi. Pour le collège, il a visiblement été moins inspiré. De l’extérieur, on dirait un ensemble de gros cubes tombés du ciel. A l’intérieur, les coursives donnent plus l’impression d’évoluer dans un centre pénitentiaire que dans une école...

Cela ne semble pas beaucoup chiffonner les élèves que je regarde s’égailler lors de l’intercours depuis le dernier étage. Fourmilière scolaire dont je m’amuse à esquisser la sociologie. Il n’est pas difficile de repérer les sixièmes dans l’ensemble. Plus petits bien sûr ; les filles osent encore arborer du rose dans les vêtements ; et puis il y a cette fébrilité qu’ils ont emportée de la cour de primaire, qui tranche avec la nonchalance étudiée des plus âgées. De mon poste d’observation, je vois une élève qui arbore sur son T-Shirt le slogan « Dare to be different ». Oser être différent... Sacrée ambition ! S’il y a bien un âge où l’on rêve de se fondre dans le groupe, c’est bien le collège, non ?

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Des riffs de guitare s’échappent de la salle 217. La pièce a été plongée dans l’obscurité, les murs recouverts de dessins à la Pollock, projections de peinture rouge et jaune. Les élèves de 4ème H pénètrent dans la salle alors que La Féline, Maud Octallinn et Ricky from Hollywood, les trois artistes du collectif La Souterraine, ont entamé le concert qui fait office d’acte inaugural à leur résidence. Les profs se sont massés dans le fond, les élèves s’installent tranquillement, dans les yeux de l’amusement et de l’étonnement se mêlent.

« Ca va ?, demande Maud. Ben nous, on est super intimidés... Je vais vous chanter un de mes morceaux. »

Dans la salle silencieuse, sa voix de soprano s’élève sur fond de musique venue d’Hawaï...
« Je suis une andouille. Andouillette/ Je mets les pieds dans le plat/ Et me noie dans un bouillon »

Carré à la Louise Brooks, haut à sequins et pantalon taille basse noire, La Féline s’installe à son tour derrière le micro pour « Adieu l’Enfance » : « Dès votre âge, je sentais que le temps passait vite », chuchote-t-elle.
« J’ai retrouvé tes carnets/Les cassettes que tu gardais/Je sais même plus qui t’étais/Ta couleur préférée/J’suis perdue dans la forêt/De tes grandes espérances/Je te vois t’éloigner/Adieu l’enfance »

Ricky Hollywood embraye, lunettes noires sur le nez : « Je les mets parce qu’aux USA, je suis une star. Mais ça, vous le savez, je pense... », rigole-t-il. Et d’expliquer sa chanson « Parti dans le passé » : « En fait, je raconte que je suis parti dans le passé pour acheter des synthétiseurs parce que je pensais que c’était moins cher. Mais le problème, c’est que je n’avais que des euros en poche ». Avec sa boîte à rythme, il dépeint la France des années 80, où « on traverse en rollers les dalles de béton/ Arabes et Français/ dans la ville nouvelle/ Juifs et Musulmans/ se donnent des nouvelles »...

Maud reprend ensuite la main : « Nous n’irons pas danser, nous les ratés... »

Les têtes bougent en rythme, au sol, des baskets battent la mesure. Je me demande comment les textes résonnent aux oreilles de ces ados. Parfum des années 80-90 ; moment de bascule entre l’enfance et l’adolescence ; sentiment vertigineux de cette période de la vie quand on se sent emprunté, tout encombré de soi...

« As-tu fait l’amour / As-tu fait l’amour hier
Feras-tu L’amour/ feras-tu l’amour demain ?
Si tu fais l’amour ce soir/ Si tu fais l’amour/ Alors fais-le bien ! »

Ricky Hollywood a repris le micro avec « L’amour peut-être ». Le mouvements de tête se font plus frénétiques, ça rigole gentiment dans les rangs, ça se tortille tandis que certains profs affichent un sourire circonspect. Les mots des parents vont-ils fleurir dans les carnets, demandant quelques explications quant à cette nouvelle façon d’enseigner l’éducation sexuelle en musique ?

« Si tu fais l’amour ce soir/ Pense à ton père, pense à ta mère/ Qui se sont donnés du mal pour toi ! »

Quelques « Haaaaaan » faussement horrifiés et franchement amusés s’échappent. C’est désormais le temps des questions avec les artistes.
« C’est quoi un synthétiseur ? »
« C’est du R’n B, la musique que vous faites ? »
« Vous avez déjà fait des clips ? »
« Comment vous avez commencé la musique ? »
« Pourquoi vous avez voulu être chanteur ? »

« Au collège, raconte Ricky Hollywood, je ne trouvais pas trop ma place. Soit j’étais transparent, soit on me tapait. C’est là que j’ai décidé d’être musicien. Ca me donnait une valeur, ça me permettait d’exister. J’ai commencé par le rap, puis, un jour, mon père m’a ramené une batterie. J’ai commencé à sampler puis, une fois à la fac, en cité U, je me suis mis à programmer sur mon ordinateur... »

La Féline explique, pour sa part, que sa famille fréquentait le conservatoire sans que cela lui fasse trop envie. « Alors, j’ai commencé à m’enregistrer sur des cassettes. »

En guise de conclusion, Maud donne un aperçu du programme de l’année : « On va mettre le bazar dans le collège... et aussi parler de musique ! »

La sonnerie retentit. C’est l’heure de la récréation, pourtant, pas de raclement de chaises, pas de zip de fermeture éclair qui se ferme précipitamment. Les manteaux s’enfilent dans la lenteur, comme si chacun rechignait à redescendre de ce moment suspendu...

Un groupe de garçons reste autour des instruments. Ismaïl pianote sur le clavier. Mothié, Amritpreet, Anwar et Rodrigue, se partagent la boîte à rythmes. Tout doucement, l’air de rien, un bœuf se met en place. La Féline se glisse à la basse, Maud derrière un clavier, Ricky Hollywood s’empare du tambourin. Rodrigue et Mothié entament une battle au micro. On tente aussi le beat box. Cela pourrait donner quelque chose de décousu, une impro foutraque. Mais entourés par les membres de La Souterraine, les garçons glissent de rythmes arabisants à un tempo plus bollywoodien avec une aisance étonnante. Seul un son dissonant vient entacher la partition : la sonnerie stridente annonçant la fin de la récréation. Les élèves quittent la salle 217 à regrets.

Je repars moi aussi. Au moment de traverser la cour du collège, s’échappe de la salle de musique une autre mélodie. Un prof fait répéter à ses élèves une chanson de Queen : « We will/ We will rock you ! ». Je remercie la Providence de me faire cadeau de ce moment. Une phrase comme un présage de la couleur que va prendre cette résidence de La Souterraine au collège Gustave-Courbet.

La semaine prochaine : Les débuts de la résidence de la compagnie de cirque Kiai au collège Jean-Vilar de La Courneuve

Découvrez ici le portrait de Joséphine Lebard et Bahar Makooi, journalistes auteures du feuilleton sur ces résidences artistiques et originaires toutes deux de Seine-Saint-Denis.

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