Aubervilliers Théâtre

Portraits à l’encre de Chine à Aubervilliers

Dans « Les Chinois à Aubervilliers », pièce jouée jusqu’au 31 janvier au théâtre de La Commune, l’auteur et metteur en scène Franck Dimech nous emmène dans une plongée impressionniste au sein de cette communauté, au-delà des clichés habituels. REPORTAGE

Une Chinoise qui danse sur de la variété, un autre pratiquant la méditation, une jeune flûtiste, une cérémonie du thé, le travail de la céramique... C’est sur ces cinq tableaux figés que s’ouvre « Les Chinois à Aubervilliers ». Au début, le seul personnage non chinois de la pièce – incarné par l’excellent et facétieux Olivier Horeau - s’y intéresse de loin, monologuant sans fin sur sa propre histoire familiale et assénant du Proust à tout bout de champ. Mais petit à petit, ce « Gaulois » un peu trop fier de lui va évoluer et faire l’effort de goûter aux multiples aspects de la culture chinoise, ou plutôt des cultures chinoises, tant ce pays est immense.
A bien y regarder, ce personnage, sorte de fil rouge de la pièce, incarne bien la démarche de Franck Dimech pour cette pièce d’actualité, genre dont le théâtre de La Commune s’est fait une spécialité. « Je voulais regarder les Chinois avec ma propre ignorance et puis, très vite, sortir des clichés grâce aux rencontres faites sur le terrain. Au final, le but était d’écrire ensemble un grand poème scénique », raconte le metteur en scène, qui n’a cessé de tisser des liens avec la communauté chinoise d’Aubervilliers depuis décembre 2016.

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Parmi ces rencontres, il y a notamment celle du psycho-sociologue Chen Ting dont les travaux sur les différents migrants chinois – et notamment sur la prostitution à Belleville - auront permis de donner une véritable épaisseur à la pièce. Successivement, les différents personnages chinois dévoilent en effet leur parcours, parfois riant, mais souvent très sombre. On entend ainsi avec effroi le témoignage d’outre-tombe de « la Défenestrée de Wenzhou », réécrit par Franck Dimech à partir d’un sinistre fait divers survenu en 2013 à Belleville : l’histoire d’une jeune Chinoise, tenaillée par la peur, poursuivie par des policiers parce que sans-papiers et morte en tombant d’un toit.
A Aubervilliers aussi, la communauté chinoise avait été passablement secouée, avec les agressions à répétition de commerçants, dont une avait débouché sur un meurtre en août 2016.
A l’inverse, la figure incarnée par Chen Ting – le sociologue joue aussi dans la pièce - raconte elle une forme d’immigration heureuse, celle d’un jeune homosexuel se vivant comme une femme, épris de culture française et qui conquiert progressivement sa liberté au mépris du regard des autres. En revanche, pas de témoignages de jeunes Français d’origine chinoise. « On a bien essayé, mais ils n’ont pas donné suite, se souvient Dimech. Je pense que c’est lié au fait que ce n’est jamais évident pour les secondes générations, quelles qu’elles soient. »

Dans cette pièce très impressionniste, esquissée avec grâce, on découvre aussi par petites touches les vagues successives de l’immigration chinoise en France, et notamment celle des Wenzhou, du nom d’une ville du littoral chinois. « Depuis 1990-2000, les Chinois de Wenzhou ont beaucoup investi Aubervilliers, détaille Franck Dimech. Pendant un temps, cela a même été la plus importante communauté de Chinois Wenzhou en Europe. »

Huang Xiao Mei, une des deux comédiennes amatrices de la pièce, fait partie de cette vague-là, elle qui a croisé la route de Franck Dimech totalement par hasard. « Tous les matins, je voyais un groupe de danseuses chinoises qui exécutaient des mouvements dans le parc derrière le théâtre. Nous sommes donc allés les voir. Au début, le contact était un peu hésitant et puis nous avons réussi à leur faire visiter le théâtre et à les convaincre de jouer leur propre rôle dans la pièce », raconte le metteur en scène.

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Chou Jung-Shih, elle, est au contraire comédienne professionnelle. D’origine taïwanaise, cette actrice arrivée en France en 2006 interprète notamment sur scène le rôle glaçant de Jasmine, jeune femme fuyant un mari violent en Chine et tombée en France dans un réseau de prostitution. Elle aussi se réjouit de ce focus porté sur la communauté chinoise : « Bien sûr, on n’arrive pas à tout dire, mais ce n’était pas non plus le but. On est au théâtre, pas dans un cours d’université. On a pris, je crois, un bon chemin en explorant certains angles inattendus de l’immigration chinoise », explique la jeune femme, formée à l’académie de théâtre de Taipei et qui a déjà travaillé avec d’autres metteurs en scène français comme François-Michel Pesenti.
En revanche, Chou n’est pas sûre que la pièce fasse aussi venir au théâtre la communauté chinoise elle-même : « Elle n’a pas trop l’habitude d’aller au théâtre, en tout cas pour la vieille génération. En revanche, on a eu pas mal d’étudiants de théâtre chinois ou d’origine chinoise. Ils étaient ravis. » A l’image du personnage d’Olivier Horeau, on ressort de cette pièce transformé, avec l’envie d’en savoir plus.

Christophe Lehousse
Photos :@Willy Vainqueur

Théâtre de La Commune, Aubervilliers. Jusqu’au 31 janvier
mardi, mercredi, jeudi à 19h30
vendredi à 20h30
samedi à 18h et dimanche à 16h
Plein tarif 24 euros ; habitants du département 12 euros

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