Place Nette, une place pour chacun
Créée en 2016, cette association basée à Bondy débarrasse particuliers et entreprises de leurs vieux objets pour les revendre à un prix modique. Une activité qui lui permet d’employer des personnes en grande précarité tout en se mobilisant pour donner un toit à d’autres. Zoom sur cette structure très humaine, à l’occasion du mois de l’économie sociale et solidaire.
Comme tous les matins, on s’active au siège de Place Nette, rue Gallieni à Bondy. Boubacar, Alioune, Edward et Zoumana chargent machines à laver, frigos, micro-ondes et un tas d’autres objets triés auparavant par Myriam dans le camion garé dans la cour intérieure de l’entrepôt. Direction la boutique de l’association, située dans le 19e arrondissement.
Après un petit en-cas, Zoumana, l’un des deux chauffeurs de Place Nette, s’installe au volant de l’utilitaire. Les routes sont engorgées. Ce matin, le campement de migrants de la porte de La Chapelle vient d’être évacué, un lieu que Zoumana connaît bien. Dans les bouchons, il raconte : « Je suis originaire de Côte d’Ivoire. J’ai beaucoup galéré avant de croiser le chemin de Place Nette. Sans papiers en France, c’est pas facile : on a peur, on bosse parfois pour rien, on tourne en rond. Là, ça va mieux : j’ai eu mes papiers grâce à ce travail de chauffeur. L’étape suivante, c’est d’avoir mon logement à moi. », raconte ce costaud de 30 ans, au sourire serein.
Reconstruire la confiance
Si Zoumana a retrouvé son sourire, il le doit en partie à un homme : Jacques Loch. Compagnon de route de l’abbé Pierre dans les communautés Emmaüs pendant des années, cet homme de 58 ans a éprouvé le besoin en 2016 de voler de ses propres ailes, en fondant Place Nette. « J’ai continué le combat qu’on menait à Emmaüs, sous une autre forme. J’ai souhaité créer une asso pour accueillir les nouvelles pauvretés qui arrivent. Ici, les gars et les filles sont tous issus de la galère et de la rue. On essaie de reconstruire leur fierté et leur confiance, petit à petit », explique-t-il sobrement. Né à Saint-Denis, ce militant social de toujours a roulé sa bosse un peu partout en France - Morlaix, Manosque, Bar-le-Duc - et à l’étranger, contribuant à créer de nombreuses communautés Emmaüs (Brésil, Roumanie). Sans jamais que son engagement et sa révolte ne retombent. « En France, on a des idéaux très forts, sur le logement par exemple, mais on n’a pas les moyens de cette politique… Dans la rue, en moyenne aujourd’hui en France, on meurt à 49 ans, c’est 30 ans de moins que l’espérance de vie classique des hommes », dénonce celui qui a aussi contribué à créer le collectif des « Morts de la Rue ».
Jacques Loch, fondateur de Place Nette
Alors, il y a trois ans et demi, « Monsieur Jacques » a eu l’idée de créer ce qu’il voit comme un « outil complémentaire » à d’autres associations : enlèvement d’encombrants chez les particuliers et les entreprises moyennant une indemnité modeste, tri des objets ainsi récupérés et revente au sein de la boutique du 19e ou via une plateforme internet que la structure a aussi ouverte il y a six mois à Noisy-le-Sec.
Meubles, mais aussi habits, petite vaisselle, vieux vinyles ou livres : l’association, labellisée « Economie Sociale et Solidaire » depuis un an, sait faire flèche de tout bois. « Chez nous, on n’aime pas jeter : même ce qui est dégradé, on lui trouve une deuxième vie, en le donnant ou en s’efforçant de le recycler », pointe-t-on chez Place Nette, qui s’efforce par exemple de déposer les meubles en fin de vie dans une benne à Montreuil ou qui redonne les livres en mauvais état à l’entreprise solidaire Ammareal.
Cette activité permet à l’association, sans aucune subvention publique, de financer quatre CDI, tout en s’appuyant aussi sur un réseau d’associations partenaires et de bénévoles pour venir en aide à la dizaine d’autres membres que Place Nette préfère appeler « compagnons ». « Marius, arrivé il y a 2 ans de Bucarest, vient par exemple de trouver un logement social via Habitat Solidaire. Et il se forme actuellement au métier de comptable, tout en prenant des cours de français. Pour lui, le pari est en passe d’être gagné », souligne Laure Duqué, attachée de presse de la structure. Pour d’autres, arrivés plus récemment et encore plus malmenés par la vie, la route sera peut-être un peu plus longue, mais l’association ne laisse personne au bord du chemin. « Si ça s’appelle Place Nette, c’est aussi parce que ça renvoie à la place qu’une société moderne doit donner selon moi à chacun. », insiste Jacques Loch.
On retrouve Zoumana en train de délivrer son chargement devant la boutique Place Nette du 19e. Autre étape : Esther, Eric, Prosper, d’autres "compagnons" de Place Nette prennent en charge l’installation dans les rayonnages, sous l’œil bienveillant de Sandrine. D’ici, les objets repartiront en camion pour des livraisons à des particuliers ou seront achetés sur place. Par exemple par Evelyne, qui vient d’acquérir un beau collier africain pour 2 euros. « Le plus souvent, je viens ici pour acheter des choses pour les enfants que je garde dans le quartier. Et puis, je me dis qu’ainsi, j’achète aussi solidaire. », confie cette cliente régulière. A Place Nette, acheter reprend décidément du sens.
Christophe Lehousse
Photos : ©Sylvain Hitau
Certains prénoms ont été changés
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