Picasso-Eluard… Une amitié sublime
L’exposition « Pablo Picasso, Paul Eluard, une amitié sublime » met en lumière les relations privilégiées du poète, né à Saint-Denis, avec le peintre. Des prêts exceptionnels s’ajoutent aux riches fonds Picasso et Eluard du musée pour relater cette amitié hors normes de ces deux artistes de génie.
Loin des expositions pharaoniques qui déplacent des foules et obtiennent une bonne place au hit-parade des événements culturels, certaines villes de banlieue qui possèdent de véritables trésors, nous font l’offrande de belles et pertinentes expositions. C’est le cas à Saint-Denis, avec le bien nommé Musée d’art et d’histoire Paul Eluard. Celui-ci a le privilège d’abriter le fonds le plus important du poète en France. Paul Eluard (1895-1952), grand poète, natif du lieu et figure communiste reconnue. On ne compte plus les médiathèques, équipements culturels, collèges, lycées, rues, groupes scolaires qui portent son nom. Depuis 2019, le Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis a lui fait le choix d’être rebaptisé Paul Eluard où l’auteur de "Liberté" fait l’objet d’une exposition avec son complice, compère et camarade, Pablo Picasso, jusqu’au mois de juillet.
D’abord le lieu. Le Musée d’art et d’histoire est installé dans un ancien couvent de carmélites du XVIIe siècle et sa chapelle néoclassique créée par l’architecte du roi Richard Mique (1728-1794). C’est dans ce lieu unique, bercé par l’histoire artistique, intellectuelle et politique séquano-dionysienne, depuis l’époque médiévale, en passant par le quotidien des religieuses et les moments forts de la Commune de Paris, que l’on va découvrir ces deux grandes figures du monde de l’art, Picasso et Eluard.
Une amitié indéfectible
La première exposition Picasso à s’être tenue en Espagne après 1900 eut lieu à Barcelone et obtint un grand succès. Le peintre vivait alors à Paris et avait envoyé Paul Eluard qui donna une conférence à l’occasion de cet événement. Cette amitié, renforcée jour après jour, a « donné naissance à des fruits féconds en peinture et en poésie ». Pablo Picasso a peint à de nombreuses reprises Eluard et sa femme, Nush, tandis que Paul Eluard dédiait de nombreux poèmes à Picasso. Surréaliste, Paul Eluard commence à se détacher d’André Breton et de son groupe, alors que la tourmente commence à prendre corps en Europe. Guerre d’Espagne, Occupation, Libération et adhésion au Parti communiste français, Picasso et Eluard forment un véritable duo, tant ils semblent partager des visions et des comportements communs. Le poète et le peintre se rejoignent sur le terrain de l’art et de la création mais aussi sur le plan affectif et politique. Paul Eluard affirmait qu’il "était heureux de vivre au XXe siècle, ne fût-ce que parce qu’il avait pu y rencontrer Picasso ». Lorsque le poète lui envoie un exemplaire des "Yeux fertiles", il l’accompagne de ces mots : « A Pablo Picasso, ce livre témoin de quelques mois de notre vie, témoin de la passion admirative que j’ai pour lui. »
Les inventaires dressés par Paul Eluard, sa correspondance, les catalogues de vente et les différentes photos prises chez Eluard, laissent entrevoir que celui-ci possédait de nombreuses œuvres de Picasso, dessins, gouaches, peintures, aquarelles, estampes. On estime qu’à un moment ou l’autre, le poète a pu acquérir ou recevoir de la part de son ami jusqu’à soixante-cinq œuvres.
Les enfants de Saint-Denis crient "Dora Maar !"
Le visiteur est accueilli dans la première salle par un poème de Paul Eluard, Pablo Picasso – lu par le comédien Guillaume Gallienne – dont le manuscrit est exposé dans une vitrine. Sa voix vous enveloppe tandis que vous vous attachez à découvrir les vitrines. Le ton est donné. A son écriture, appliquée et bien lisible, Eluard met à chaque fois un point final avec sa signature si singulière, le L final croisant le fer avec le E réduit à une barre oblique. De part et d’autre de la porte qui ouvre sur la salle suivante, à gauche, le Buste de femme en blouse jaune, collage sur papier (1943) et à droite, Madame Eluard, autrement dit Nush, huile sur toile (1941) qui est d’habitude exposé au Centre Pompidou. Au mur, de nombreuses photos prises par Brassaï au domicile du poète, rue de la Chapelle, véritable galerie d’art. D’entrée de jeu, nous sommes témoins de ce dialogue entre deux hommes qui se sont connus et reconnus et qui ne se lâcheront que lorsque Paul Eluard abdiquera malgré lui, frappé par la maladie.
Des enfants de Saint-Denis, crayon et feuille à la main, observent les documents, se hissent pour lire les cartels, et passent d’une salle à l’autre en criant « Dora Maar ! Dora Maar ! » D’autres allongés au pied de Madame Eluard s’activent à écrire. Une véritable leçon d’art vivant donnée par et pour les enfants de Saint-Denis. On est loin des chuchotements pincés des grands musées parisiens. Picasso et Eluard auraient apprécié.
D’un été à la Garoupe aux seize portraits d’Eluard
« Au cours de l’été de 1936, raconte Roland Penrose, alors que la guerre civile espagnole venait d’éclater, Picasso, Eluard et quelques-uns de leurs amis les plus intimes découvrirent à Mougins un hôtel modeste au nom approprié : le Vaste Horizon, où ils firent une retraite agréable durant trois étés consécutifs. L’hôtel, retiré et de dimensions modestes, offrait les conditions idéales de repos mais aussi d’activité intense et ininterrompue. » Cette deuxième salle nous présente cette période, avec des photos prises par Dora Maar de Nush et Paul Eluard. On y voit également les photos prises par Man Ray. Le groupe d’amis tente d’oublier la guerre d’Espagne et souhaite s’isoler de ce monde hostile. On les voit à la plage, en train de pique-niquer et faire des randonnées dans la région. C’est aussi l’occasion pour Picasso de travailler tous les jours d’arrache-pied. Il réalise des portraits de Nush, mais aussi de Dora Maar et de Cécile, la fille d’Eluard et de Gala. Dans une vitrine, on découvre le carnet de dessins de Picasso « Le Facteur cheval et son palais idéal » à Hauterives , dans la Drôme (août 1937). Les deux amis l’ont visité ensemble. Comment ne pas s’arrêter devant cette suite de seize portraits dessinés de Paul Eluard, accrochés les uns à côté des autres ? Et puis un buste en bronze du poète, la tête légèrement inclinée sur le côté, visage impassible, les lèvres serrées. Au mur, un agrandissement numérique d’une photo prise chez le poète, avec au second plan, deux portraits dessinés par Picasso, et que – belle trouvaille scénographique – on retrouve en vrai, accrochées sur cette image reproduite.
La guerre d’Espagne, Liberté et la colombe de la paix
Il vous faut grimper au deuxième étage et emprunter la passerelle, pour accéder à la dernière salle d’exposition. Là, dans ce grand espace, la guerre d’Espagne occupe une grande place. On peut y admirer les œuvres de Picasso réalisées à la pointe sèche et aquatinte sur papier (Rêve et mensonge de Franco, 1937), une vitrine consacrée à Guernica, avec un texte-commentaire de Paul Eluard, manuscrit rédigé au crayon du film d’Alain Resnais et Robert Hessens sur Guernica. Des portraits de Dora Maar, La femme qui pleure et enfin le manuscrit du poème « Liberté, j’écris ton nom ». Vingt et un quatrains écrits en 1942 et publiés clandestinement, alors que la France est occupée par les nazis. Paru d’abord à Alger en juin 1942, dans la revue Fontaine créée par Max-Pol Fouchet, il est vite approprié par les gens et publié dans plusieurs maisons d’éditions puis chez Minuit. Prenant la forme d’un tract, il est traduit en dix langues, et est même parachuté par la RAF sur l’Europe occupée. Outre l’original du texte, on peut découvrir une édition imprimée en braille. Cette salle est aussi l’occasion de revoir les fameuses colombes de la paix du peintre espagnol, mais aussi des photos nous rappelant les obsèques imposantes qui furent faites à l’occasion de sa disparition prématurée. En un mot comme en cent : une exposition qui célèbre non seulement deux créateurs de génie mais aussi ce beau lien entre deux âmes qu’est l’amitié.
Claude Bardavid
Photos :
– Pablo Picasso et Paul Eluard photographiés par Dora Maar, 1937, dépôt départemental d’acquisitions patrimoniales de Seine-Saint-Denis au Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis. Cliché : Irène Andréani © ADAGP, Paris 2023 © Succession Picasso 2023
– Paul Eluard par Pablo Picasso, crayon sur papier, 1941, Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis. Cliché : Irène Andréani © Succession Picasso 2023
– Paul Eluard photographié par Brassaï, 1945, Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis. Cliché : Irène Andréani © Estate Brassaï – RMN-Grand Palais
– Le manuscrit « Liberté » de Paul Eluard, 1941, Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis – Cliché : Irène Andréa
Jusqu’au 10 juillet 2023
Musée d’art et d’histoire Paul Eluard
22 bis, rue Gabriel Péri
93 200 Saint-Denis
Horaires
Lundi, mercredi, vendredi : 10h-17h30
Jeudi : 10h-20h
Samedi et dimanche : 14h-18h30
Fermé le mardi et les jours fériés.
Tarifs
Plein tarif : 5€
Tarif réduit : 3€ (+ 60 ans, étudiants…)
Gratuit : – 16 ans, demandeurs d’emploi, étudiants de Paris 8
Exposition réalisée en partenariat avec le Musée Picasso de Barcelone et le Musée national Picasso-Paris, avec le concours de la Drac Ile-de-France et de la Région Ile-de-France et la collaboration de la Succession Eluard et de la Succession Picasso.
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