Naïssam Jalal : « Remettre un peu de lumière dans notre quotidien »
La flûtiste franco-syrienne Naïssam Jalal, à l’univers musical si personnel, vient de tourner un clip de 9 minutes dans notre département où elle habite. L’occasion pour elle de montrer ce territoire où elle a choisi de vivre, dans sa réalité.
« J’ai voulu explorer de nouveaux territoires au niveau du sens comme de la matière sonore, et continuer inlassablement à mélanger les esthétiques, les traditions pour laisser fleurir Un Autre Monde (le titre de son dernier album). » Naïssam Jalal, musicienne de jazz connue et reconnue de tous, en France comme ailleurs, a posé ses valises, il y a quelques années, à Saint-Denis. Née en France de parents syriens, elle vit douloureusement la situation qui est faite à ce pays du Proche-Orient, complètement détruit et déchiré par une guerre interminable depuis dix ans. Entre deux tournées, – récemment en Finlande et dans les pays baltes - elle revient à la maison, poser sa flûte et se reposer le temps de retrouver ses amis séquano-dionysiens, avant de repartir sur les routes pour de nouveaux concerts, ou mener à bien l’un de ses nombreux projets. Infatigable.
Un clip de 9 minutes
« Ce court-métrage que j’ai réalisé avec mon ami photographe Seka est le fruit de plusieurs mois de travail, raconte-t-elle. Il fallait créer des images pour porter notre parole. En partageant avec mes musiciens sur la manière dont j’avais envie d’interpréter ce morceau, en leur parlant de la colère mais aussi de la nécessité de montrer à quel point nous étions beaux et méritions de l’amour, mais aussi à quel point nous étions dans une certaine souffrance, j’ai commencé à écrire le texte qui démarre le clip. » Dans ce morceau « D’ailleurs nous sommes d’ici », on voit ses amis les plus proches, issus du département et du monde entier, jouer leur rôle à La Courneuve, Montreuil, Bagnolet, Villetaneuse. Quatre amis, quatre personnages, quatre représentants des habitants de la Seine-Saint-Denis, filmés dans leur vie quotidienne. Giriane, française d’origine cambodgienne, Lala, d’origine antillaise et africaine, Youssef d’origine algérienne et Samuel… « Je voulais juste montrer la réalité telle qu’elle est et inviter mes amis à partager leur réalité avec les autres qui souvent l’ignorent. » Dans ce clip, chose rare, les clichés habituels inhérents à la banlieue bétonnée sont balayés et superbement ignorés. A leur place, on découvre des gens heureux, souriants, vivant ensemble, mais on découvre aussi des arbres en fleurs au pied des cités, toutes sortes d’arbres. « Jamais on ne montre les cités sous cet angle-là !, s’insurge la musicienne. Graines de là-bas, nous sommes tes arbres qui poussent… Nous sommes même des arbres en fleurs qui embellissent ce territoire. »
Inclassable musicienne
La jeune femme refuse les enfermements et se bat pour abattre les cloisons dressées pour séparer les univers et diviser les hommes et les femmes. Elle affirme : « Je suis complètement française et arabe, entièrement syrienne et européenne. Je suis absolument femme, militante, compositrice, flûtiste, chanteuse. Pas plus artiste de jazz que de musique arabe. » Elle joue avec les plus grands musiciens, s’intéresse autant au hip hop qu’à la musique mandingue, plonge dans les musiques arabes et se laisse capter par les mélodies hindoustani. Son langage inspiré qui n’appartient qu’à elle est reconnu par l’Académie Charles Cros qui lui décerne un prix en 2017. Trois ans plus tard, elle explore les possibles du hip hop instrumental avec le rappeur palestinien Osloob et reçoit le Prix des Musiques d’Ici ; enfin elle est primée aux Victoires du jazz.
Ancrée dans le territoire
En résidence au Blanc-Mesnil, au « 2 pièces-cuisine », elle travaille avec des dizaines de classes et des centaines d’enfants. Elle retrouve le même plaisir avec Banlieues bleues à travers le territoire séquano-dionysien. « L’année dernière, en pleine pandémie, nous n’avions pas le droit de jouer dans les salles, mais nous avons pu intervenir dans les écoles, en particulier à Bagnolet. » Compositrice associée de l’Estran, salle de spectacle de Guidel dans le Morbihan, elle relève le défi et écrit pour un orchestre symphonique en souhaitant que la direction en soit confiée à Zahia Ziouani. « Comme moi, elle est une femme, une fille d’émigrés qui vit en région parisienne et qui conduit des actions culturelles en direction des jeunes de Seine-Saint-Denis. » Le 18 mars prochain, Naïssam Jalal avec son quintet Rhythms of Resistance et l’orchestre symphonique Divertimento dirigé par la cheffe Zahia Ziouani se produiront à Sevran puis le 20 du même mois à Tremblay-en-France, avant de repartir à travers la France et l’Europe pour toute une série de concerts. Pour le bonheur de tous et plus particulièrement de celles et ceux qui la découvriront.
Claude Bardavid
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