Mots et Regards, les mots à la bouche
Créée en 2006, cette association basée à Saint-Denis s’efforce de faire la promotion de la lecture à travers des actions ludiques : festivals, manifestations sportives ou colonies de vacances. On a suivi ses membres dans une intervention au quartier Saint-Leu de Villetaneuse, où ils sont allés avec Hip Hop, leur âne à livres. Ce qu’on appelle une ânimation.
« Ouah, un âne, on peut le caresser ? » Quand il a vu l’animal au pied de sa tour, Anas, 7 ans, est descendu direct avec sa mère. « Il adore les animaux, je lui lis d’ailleurs souvent des histoires avec des lions, des ours, des chevaux... », raconte sa maman Mariam. Mais cet âne n’est pas n’importe quel âne : Hip-hop, c’est son nom, est un merveilleux ambassadeur de la culture. Sur son dos, il porte en effet des sacoches remplies de livres, qu’il s’agit pour l’association Mots et Regards de faire découvrir à des enfants qui n’ont pas toujours le réflexe de lire.
« Bien sûr que tu peux le caresser, mais il faut d’abord écouter une de ses histoires, sans quoi tu vas le vexer », glisse malicieusement Katie Bournine, l’une des fondatrices de l’association. Et aussitôt, voilà Anas assis aux côtés d’autres enfants devant Charlotte, conteuse qui leur lit « Loulou » de Grégoire Solotareff. Et ce n’est pas la pluie qui menace qui va faire peur à Mots et regards. On se serre sous les branches d’un arbre, les habitants apportent eux-mêmes du thé à la menthe, et en avant les histoires !
« Cette idée de l’âne à livres, je l’ai eue en regardant il y a quelques années un reportage à la Réunion sur un homme qui traversait le cirque de Mafate avec un âne pour portait des livres. Je me suis alors dit qu’ici aussi, c’était le bon moyen pour promouvoir le livre. D’une part, l’âne capte l’attention et d’autre part, c’est une bonne manière de sensibiliser les enfants à ce qu’est un animal et comment il faut le traiter », rembobine Katie Bournine, co-fondatrice de l’association en 2006.
Et en effet, force est de constater que Hip Hop happe les enfants. « J’ai vu l’âne par ma fenêtre, alors je suis descendue. Et je suis restée pour écouter les histoires, confie Mamou. Cette élève de 6e au collège Jean-Vilar explique déjà bien aimer lire, « surtout les histoires qui font peur ». Anis, 6 ans, a lui reconnu un livre qu’il a à l’école et demande à sa grand-mère de bien vouloir lui relire. « C’est bien comme initiative, ça permet de faire lire les enfants et ça met de la vie dans le quartier », estime Toufaha, qui habite là depuis 21 ans.
Mission réussie donc pour Mots et Regards et l’APES, organisme travaillant avec des bailleurs sociaux qui a fait appel à l’association pour cette initiative. « Les actions de Mots et Regards correspondent à ce qu’on recherche : de la création de lien social, des événements conviviaux et populaires. Pour les enfants qui n’ont par exemple pas la chance de partir en vacances, c’est top », explique Claudio Pulgar-Pinaud, qui a fait intervenir l’association dans cette cité de quelque 483 logements.
L’air de rien, Louise et Apolline, deux autres membres de Mots et Regards en profitent pour rappeler qu’une nouvelle médiathèque va ouvrir ses portes en mars à Villetaneuse, avec 20 000 ouvrages disponibles et un auditorium pour les spectacles. « N’hésitez pas à y aller, les prêts sont gratuits et l’endroit sera sûrement très agréable », encouragent-elles.
Le livre, objet de plaisir
De manière générale, Mots et Regards, née dans le courant de l’éducation populaire, fait feu de tout bois pour amener le livre dans des endroits où on ne le trouve pas forcément. Festivals, colonies de vacances, événements sportifs… tous les moyens sont bons pour amener vers la lecture et montrer qu’elle n’est pas forcément cette contrainte scolaire dont certains peuvent avoir le souvenir.
« Moi-même, j’ai grandi cité Allende à Saint-Denis, dans une famille de huit enfants qui n’avait pas le réflexe de lire. Et à l’école, on nous a toujours présenté le livre comme un objet d’évaluation, jamais de plaisir. Ce n’est qu’à 30 ans, quand j’ai commencé des études de lettres, que j’ai perçu combien les livres pouvaient enrichir une vie. Depuis je continue à essayer de faire naître cette petite flamme auprès des jeunes, mais peut-être un peu plus tôt que pour moi », témoigne Katie Bournine.
« L’idée, c’est vraiment de montrer que le livre peut être objet de plaisir et de partage. Pour cela, le mieux est de passer par des activités déjà connues ou de prendre des voies un peu détournées », abonde Charlotte Messéant, embauchée dans l’association depuis juin. Cette ancienne service civique, auteure d’un mémoire de Master sur le slam au Burkina Faso, anime par ailleurs des ateliers théâtre ou des lectures à voix haute dans le local de l’association, Le Toit du Mot, situé dans le centre de Saint-Denis.
Dans ce même endroit, l’association prépare déjà deux autres temps forts pour une nouvelle fête des mots : la Nuit de la lecture, le 22 janvier prochain, et le festival Des Mots à croquer, du 14 au 27 mars, où des conteurs sillonneront tous les quartiers de Saint-Denis pour y dire des poèmes.
Quelques dernières histoires, et les caprices de l’automne gagnent finalement la partie. Les mots de Charlotte se perdent désormais dans le vent et Hip-hop lui-même est rentré dans son van, vanné. Mais il a sûrement semé plein d’idées de lecture derrière lui. Allez au hasard, Mémoires d’un âne, de la comtesse de Ségur.
Christophe Lehousse
Photos : ©Bruno Lévy
– Ateliers hebdomadaires au Toit du Mot, 2 rue Courte à Saint-Denis
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