"Mix" à Tremblay, entrez dans la danse !
Depuis septembre 2016, le chorégraphe Herman Diephuis, en résidence au théâtre Louis-Aragon de Tremblay, arpente la Seine-Saint-Denis avec son spectacle de danse « Prémix ». Et le 25 février, cette petite forme donnera lieu à "Mix", qui dénonce préjugés et discriminations.
Après quelques instants passés à observer, Jade s’est lancée. La jeune femme, en seconde au lycée Jean-Rostand de Villepinte, exécute les mêmes pas que le danseur professionnel Marvin Clech. C’est du krump, une danse contestataire de l’Amérique des années 90, ça swingue et ça groove, bref ça envoie bien.
« Prémix », le spectacle proposé ce soir-là aux lycéens par le chorégraphe Herman Diephuis et le théâtre Louis-Aragon de Tremblay, est passé depuis longtemps, mais ça ne fait rien, les élèves en redemandent. « C’est super d’avoir une compagnie qui se déplace comme ça dans notre lycée, avec laquelle on peut échanger », témoigne Jade, encore hors d’haleine.
Un peu plus tôt, les langues avaient pourtant été plus longues à se délier, juste après la performance des deux danseurs de « Prémix ». Sans doute l’effet de la violence du racisme mis en scène au cours de ce spectacle d’une demi-heure, un duo-duel entre le danseur hip-hop Marvin Clech et la chanteuse Dalila Khatir.
« Pour vous, c’est une pièce qui parle de quoi ? », lance Herman Diephuis à la cantonade pour engager les débats. « De discrimination », ose timidement un élève après un silence épais. La litanie d’injures racistes, proférée à un moment du spectacle par le personnage de Dalida Khatir, a manifestement laissé les jeunes sous le choc.
« Vous n’avez jamais entendu ce genre de choses ? » Herman Diephuis joue les faux candides. « Si, mais là sur scène, elles font encore plus agressives », lâche un lycéen. « Et pourtant, elles ont le même effet dans la vie », lui fait remarquer le chorégraphe hollandais.
« Mais Monsieur, ça fait trop bizarre, quand Marvin danse alors qu’il n’y pas de musique... », se lance un autre, visiblement désireux d’évoquer la question de la forme à côté de celle du fond. « Oui, mais c’est volontaire, lui répond l’auteur. Au début du spectacle, je voulais priver les danseurs de la possibilité de se raccrocher à de la musique. Ça leur donne une certaine fragilité qui les rend plus touchants. » L’élève qui reçoit l’explication hausse un sourcil, dubitatif.
Tous sont en revanche d’accord pour qualifier le spectacle de « battle », sur le mode du hip-hop. « Et quand on se reverra, cette fois-ci au théâtre Louis-Aragon, le spectacle aura encore évolué : il comportera un troisième personnage et la battle n’aura plus tellement lieu entre deux personnages mais entre les personnages et le public », révèle Herman Diephuis.
Avec « Prémix », puis « Mix » - le spectacle dans sa forme définitive - le chorégraphe de 55 ans, ancien de l’école de Maurice Béjart en Belgique, est en effet engagé dans une série d’ateliers créatifs avec plusieurs structures du département.
A côté de ce lycée et d’un autre établissement à Sevran, lui et ses danseurs sont ainsi également intervenus à la maison d’arrêt de Villepinte et dans un centre pour handicapés en Seine-et-Marne. « Ça me semble essentiel de se confronter à des gens qui n’ont pas les codes de la danse contemporaine. Parce que si on a des beaux discours sur l’importance de la culture dans la société, alors la moindre des choses est d’y aller. Il faut absolument éviter l’entre-soi », estime celui qui fut auparavant l’ancien adjoint de la directrice du Centre National de la Danse de Pantin Mathilde Monnier.
Et à l’inverse, quel effet sur les publics concernés ? Ce genre d’actions les amènera-t-il par exemple à aller davantage au théâtre ? « C’est dur à dire, là on est vraiment sur des questions d’habitudes et par définition, c’est dur à changer, estime Juliette Giudicelli, professeure de français et encadrante avec sa collègue Adèle Liagre de l’enseignement d’exploration « arts du spectacle » au lycée Jean-Rostand. Une option qui a déjà permis à ses secondes d’aller voir deux spectacles de nouveau cirque. Et l’enseignante de poursuivre : « Alors que le théâtre est souvent tout près de chez eux, rares sont ceux à vouloir y aller par eux-mêmes. Mais sur le long terme, ça a probablement des répercussions : à force, ils prennent des repères dans un lieu, ils perçoivent que certains spectacles sont en prise avec leurs préoccupations ».
A la fin de la démonstration de krump, Clara et Özlem, deux élèves de secondes, sont en tout cas allées demander conseil à Marvin Clech sur des bons plans en Seine-Saint-Denis pour se perfectionner en hip-hop. Un bon début.
Crédits photo : Franck Rondot
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