Meryem Baghdadi, une scientifique de pointe passionnante et engagée

Meryem Baghdadi, une scientifique de pointe passionnante et engagée
Egalité femmes-hommes

Chercheuse à l’institut Curie, Meryem Baghdadi vient de remporter à 34 ans la bourse de la fondation L’Oréal-Unesco d’une valeur de 20 000 euros pour continuer ses recherches sur le cancer de l’intestin. Celle qui a grandi à Noisy-le-Grand encourage les jeunes filles à faire carrière dans la science. Interview.

Vous venez d’être récompensée comme 34 femmes de science par le prix de la fondation L’Oréal-Unesco. Qu’est-ce que cela signifie dans votre jeune carrière ?

Pour moi, c’est tout d’abord une fierté. C’est une reconnaissance de ma carrière. Et c’est une opportunité fabuleuse de rencontrer des femmes qui partagent mes valeurs, mon combat et ont été confrontées aux mêmes obstacles que moi. On peut parfois se sentir un petit peu seule d’être une femme dans la science. Pouvoir faire partie de ce réseau incroyable nous renforce.

Vous parlez de réseau. Allez-vous être amenée à vous revoir ?

Nous avons passé une semaine de formation ensemble sur le leadership, le développement personnel. Nous sommes parties nous isoler en banlieue pour apprendre à nous connaître. Nous sommes assez proches maintenant. Nous restons en contact. Nous nous soutenons toutes. Nous voulons vraiment nous entraider dans le futur.

Les chercheurs n’ont pas ce type de formation. Pourtant, pour crever le plafond de verre c’est crucial…

En effet, nous sommes très techniques mais nous ne développons pas ce qui est « soft skills » : tout ce qui est négociation, leadership, prise de paroles. Cela nous fait défaut. Toutes ces formations auxquelles nous n’avons pas accès d’habitude font partie du package de ce prix. Ce sont ces soft skills qui vont nous permettre d’accéder à des postes à haute responsabilité.

Vous êtes désormais docteure et chercheuse permanente au sein de l’institut Curie. Cela signifie que vous allez dédier votre vie à la recherche ?

Oui c’est exactement cela. J’ai fait ma thèse à l’institut Pasteur en 2017, puis je suis partie à Toronto au Canada trois ans pour continuer mes recherches toujours sur les cellules souches. Je suis rentrée en France dans l’idée de continuer mes recherches sur l’intestin, et plus spécifiquement sur le cancer colorectal et la médecine régénérative.

Qu’est-ce que la médecine régénérative ?

On parle de médecine régénérative car les cellules souches régénèrent l’organe en partie ou totalement. Elles sont présentes dans le muscle, l’intestin, un petit peu dans le cerveau et elles sont vraiment fantastiques. Par exemple, quand on fait du sport de manière intense, si on a des courbatures le lendemain, c’est parce qu’on a cassé des fibres musculaires. La cellule souche va venir et les réparer. Quatre jours après, vous constatez que ça va mieux.

Vos recherches portent sur l’intestin…

L’intestin est l’organe qui se régénère le plus vite dans le corps, c’est incroyable. Il se renouvelle quasiment entièrement grâce à des cellules souches. Elles ne sont pas en contact avec le bol alimentaire. Elles sont cachées tout au fond des cryptes, situées au niveau des glandes intestinales. C’est en proliférant qu’elles régénèrent le tissu -l’épithélium intestinal- et cela tous les trois/quatre jours. Le souci c’est que ces cellules souche ne comprennent plus ce qui se passe lorsqu’elles reçoivent des toxines. Elles se transforment alors en cellules cancéreuses capable de donner un cancer colorectal.

Quelles toxines peuvent perturber notre microbiote et nos cellules souches intestinales ?

Ces toxines peuvent être des perturbateurs endocriniens, des antibiotiques utilisées dans l’agroalimentaire, des pesticides.

Le cancer colorectal est le deuxième cancer le plus meurtrier en France. Puisque c’est votre domaine de recherche, savez-vous à quelle échéance on va pouvoir le guérir ?

On aimerait comprendre quels genres de signaux peuvent transformer la cellule souche en cancer mais prévoir à quelle échéance on va pouvoir le guérir est très difficile. Je travaille sur la souris qui a de grandes similarités avec l’homme mais avant de pouvoir tester des choses chez l’humain, il y a beaucoup d’étapes. Entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, il peut s’écouler dix ans.

Des chercheurs ont réussi à recréer des intestins humains, n’est-ce pas ?

Oui aujourd’hui on arrive à partir de ces souches à recréer un mini-intestin dans une plaque de Pétri en laboratoire. Cela nous permet de travailler in vitro sans avoir besoin de sacrifier des souris. Cela permet de pouvoir tester des composants pharmacologiques sur les cellules souches.

Travaillez-vous pour cela avec d’autres instituts de recherche ?

Oui c’est un travail très collaboratif. On travaille avec un institut de recherche en Californie, University Californy San Francisco (UCSF) avec un laboratoire de recherche aux Pays-Bas à Utrecht. Aujourd’hui la science c’est très collaboratif. Et en Europe on nous encourage à collaborer le plus possible avec plusieurs laboratoires. Cela nous permet de faire du transfert de technologie et de savoirs. C’est un aspect de mon métier que j’adore. On interagit avec des gens du monde entier. On échange des idées, on échange des protocoles, on échange de la technique de pointe et vraiment ça permet une science d’excellence. Il n’y a pas de science d’excellence sans collaboration.

On réfléchit mieux à plusieurs cerveaux qu’à un seul…

D’où le besoin d’avoir plus de femmes et plus de diversité. On apporte aussi une façon de penser qui est différente.

Votre directrice de recherche est d’ailleurs une femme qui a beaucoup publié.

Daniela est vraiment top top. C’est la première fois que je travaille avec une femme en tant que superviseuse. Elle me soutient implicitement. Elle comprend des choses sans avoir besoin d’en parler. Elle comprend qu’à 34 ans, il y a un besoin de maternité. Aujourd’hui beaucoup de femmes, et pas seulement dans la science, ont peur de dire à leur chef·fe qu’elles sont enceintes. Je me sens soutenue dans mes projets professionnels et personnels. Ça change tout à cette étape de ma vie.

Avez-vous été tentée de rester au Canada ?

J’ai eu des propositions à Toronto. Mais je voulais rentrée en France car déjà je suis française, j’aime bien vivre en France et j’ai ma famille ici. Je ne voulais pas contribuer à la fuite des cerveaux, même si je comprends ceux qui partent.

Venez-vous d’une famille plutôt scientifique ou littéraire ?

Ma mère est atsem, agent territorial dans des écoles maternelles. Je viens d’un milieu ouvrier. Je me suis tracé ma voie toute seule mais avec l’aide d’un entourage, du corps enseignant du collège Jacques-Prévert puis du lycée Flora-Tristan de Noisy-le-Grand.

Vos professeurs vous ont-ils encouragée à embrasser une carrière scientifique ?

Ce corps enseignant ne nous a jamais mis de frein. Au moment où j’ai voulu passer en S, je n’étais pas très forte en maths. Ils m’ont laissée passer en me disant que j’étais forte en chimie, en biologie et qu’il faudrait que je travaille plus les maths. Ils me disaient que ça allait le faire, que j’allais y arriver. Et le fait qu’on ne m’ait pas mis de frein m’a permis de me lancer dans une carrière scientifique.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années collège ?

Tous mes amis sont des amies d’enfance. On s’est connues au collège en cinquième B. On ne s’est jamais quittées. Une a fait Science Po et est strategy manager chez Alstom, une a fait une école d’ingé en agro. Elle est aujourd’hui responsable de la production de champagne en Californie pour Moët & Chandon, une autre est agrégée en physique chimie. On a vraiment eu des équipes enseignantes qui nous ont poussées vers des matières scientifiques et ça fait toute la différence. Elles ont poussé les jeunes filles à faire ce qu’elles avaient envie de faire. Même si c’était Science Po, même si c’était prépa. Et ça n’a pas eu d’impact que sur moi car même mes amies en ont bénéficié. Je ne suis pas une exception.

De quoi êtes-vous la plus fière aujourd’hui ?

C’est d’être où j’en suis dans ma carrière. C’est d’avoir fait tout ce que j’avais envie de faire. Je voulais aller à l’étranger je suis allée à l’étranger. J’ai voulu faire de la science, j’ai fait de la science. Je pense qu’aujourd’hui à travers plein de stéréotypes, et plein d’injonctions les jeunes femmes ne font pas ce qu’elles aimeraient faire. Il y a une chose entre « ne pas y arriver » et « ne pas tenter ». Le message que j’aimerai véhiculer c’est « allez-y, tentez ». Si vous ratez, ce n’est pas grave. Vous n’aurez pas de regret. J’ai eu de la chance, j’ai aussi travaillé très dur et ça a réussi. Je sais que beaucoup de jeunes filles n’osent pas aller vers des matières scientifiques car elles ont peur des préjugés « ce sont des matières de garçon » « si tu n’es pas bonne en maths ça ne sert à rien ». Mais les jeunes filles doivent s’affranchir des préjugés, elles se doivent se lancer, comme je l’ai fait.

Les femmes sont-elles plus nombreuses en sciences qu’hier ?

Aujourd’hui les femmes bénéficient de la discrimination positive afin de rétablir un semblant d’égalité. Il ne faut pas avoir peur de le dire. Mais on est encore très loin de cette égalité. On peut aussi appeler ça de la « dédiscrimination » envers les femmes depuis 3 000 ans. J’aimerais que ce prix-là et que le portrait que vous allez faire, contribuent à démystifier et changer cette image du scientifique un petit peu fou avec des cheveux en bataille, des lunettes. Je veux que les jeunes filles comprennent que ça c’est fini. Elles ont leur place dans la science. On va changer les représentations.

Dans votre équipe à l’institut Curie les gens viennent du monde entier… la science est-elle multilingue ? multiéthnique ?

Absolument. La beauté de la science est qu’elle est internationale. J’ai eu un chef de thèse iranien, un chef de post-doc coréen, ma superviseuse actuelle est serbe. C’est un milieu international et de plus en plus divers. J’ai des collègues espagnols, italiens. On se nourrit les uns les autres. Cette diversité est aussi culturelle. On apprend sur le plan professionnel mais aussi humain. Humainement on s’élève, car on ne peut pas rester bloquer sur sa façon de faire, sa façon de penser. Il n’y a pas d’excellence scientifique sans diversité, sans diversité de genre.

Dans votre classe de 5ème B y avait-il aussi de la diversité ?

Moi je n’ai connu que ça toute ma vie, même quand j’ai vécu à Toronto… les parents de mes amies sont venus du Vietnam, de Chine… Moi j’ai des origines marocaines. Quand on nous voit aux mariages on dirait une pub de Benetton, quand on prend les photos de groupe. Et ça, au final, c’est une force de pouvoir toutes venir d’un endroit différent. J’encourage les politiques publiques. Il nous faut de la diversité sociale, il nous faut de la diversité ethnique. En restant chacun·e de son côté, avec ses privilèges, on n’arrivera pas à unifier la France et à atteindre une excellence, qu’elle soit scientifique ou dans d’autres domaines.

©Jean-Charles Caslot – Fondation L’Oréal

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