Marcel Azzola : un grand qui ne se la jouait pas
Disparu à l’age de 91 ans le 21 janvier, l’accordéoniste originaire de Pantin Marcel Azzola a accompagné les plus grands de la chanson : Jacques Brel, Barbara ou Edith Piaf. Portait d’un artiste rare, réalisé pour le magazine de la Seine-Saint-Denis en 2001.
Une rencontre avec Marcel Azzola est une aubaine. C’est surtout le plaisir de rencontrer une personne rare qui a su mettre la gouaille, la gentillesse et la modestie à l’unisson de son talent. Marcel, avec ou sans accordéon, c’est la classe !
C’est l’histoire d’un gamin de Pantin, fils d’un immigré italien qui rêvait pour ses enfants d’un autre avenir que celui des chantiers. Le petit Marcel commença ses premières gammes sur un violon. Puis, son père découvrit l’accordéon et son succès dans les bals. “ Avec ça, le petit arrivera à gagner sa vie. ” Et Marcel se mit au piano à bretelles. Le gamin était doué, au point de devenir dès onze ans, un virtuose. Dès lors, il “ commença le métier ”, passant son temps entre virées à vélo et concerts dans les brasseries. “ A cette époque, on y jouait des morceaux du grand répertoire. Une école plutôt difficile, mais une sacrée expérience de la scène.” Il est vrai que jouer la Toccata et fugue de Bach à l’accordéon dans une brasserie n’avait rien d’évident. A cette époque, le jeune Marcel avait un copain guitariste qui commençait à jouer du jazz dans les caves de Saint-Germain. De quoi taper le bœuf et passer au swing, tout en continuant à jouer dans les bals, pour faire le métier. Faire le métier, voilà à l’en croire ce qui a mené Azzola à jouer avec tant de personnes différentes. “ Il fallait nourrir ma petite famille. A un moment, je faisais de tout. Je passais d’un enregistrement de Brel à une musique de film avec Legrand, pour ensuite jouer le soir dans un bal. J’en ai même fait un peu trop, ça faisait requin.”
A aucun moment, il ne se met en avant. D’après Marcel, seules les nécessités du “ métier ” l’ont conduit à jouer avec Brel, Barbara, Yehudi Menhuin, Brassens, Montant, Grappelli, Wiener, Kosma, Ferré, Michel Legrand, Toots Tillemans… La liste est trop longue, impossible d’être exhaustif. Et pourtant combien de musiciens peuvent-ils se vanter d’un tel “ palmarès ” ? Sans compter son travail d’enseignant. C’est sous sa direction que les premiers accordéonistes ont reçu un diplôme d’Etat. “ Pour que l’accordéon soit reconnu. Que les jeunes ne se gâchent pas le talent à être pris pour des juke-box dans les bals. ”
Pourtant, Marcel Azzola doute toujours. Amoureux de la musique et des musiciens, il estime avoir encore à travailler pour être à la hauteur. “ Y en a un qui m’a fait un coup, c’est Toots Tillemans. J’adore Toots, il sait que je l’aime, mais je ne suis pas encore prêt pour jouer avec lui. Je vous jure que c’est vrai, j’ai trop mélangé de choses. Pour faire du jazz avec les jazzmen il faut faire que ça. Faut se foutre la tronche dedans. Ça me fait penser, en 58, Jean Lutèce, un gars qui avait été joué à l’Opéra, m’avait écrit un concerto très difficile pour accordéon de concert. Quatre concerts étaient prévus, dirigés par Georges Prêtre avec l’orchestre du Conservatoire : Tokyo, Londres, Paris et New York. Mais il fallait que j’abandonne le métier de baladin, de bastringue pendant une année pour répéter. Je dis une année… en bossant, hein ? Parce que pour se transformer en concertiste devant quatre-vingts musicos avec une pièce hyper difficile, il faut être prêt. Eh ben, j’ai craqué. J’ai encore la bafouille de Prêtre, c’était tout prêt, tout chaud… Je ne pouvais pas, je venais de me marier, j’avais pas les moyens de passer une année à pas gagner un radis, quoi. ”
A 72 ans, lorsqu’il s’agit des jeunes, de jouer avec eux, le regard de Marcel s’allume. En 1999, Marcel Azzola a fait une série de concerts à Noisy-le-Sec, Stains, avec l’orchestre Dyonisos, rassemblant de jeunes amateurs de Seine-Saint-Denis. “ Des morceaux de Wiener, dont un, Jeunesse, que l’on avait écrit ensemble. Y’a pas à dire, Dyonisos, ça joue bien, ouhlala… Moi j’ai eu le trac, hein. Ben oui ! Je pratique pas assez ! C’est quand même un sacré truc qu’ils font là Fantapié et Dejussieu (N.D.LR. les chefs d’orchestre). Mozart, Bach, Beethoven, les contemporains… Ils ont un de ces répertoires ! Je suis sûr qu’il y a mille choses à apprendre avec eux, ils sont toujours au plus près de l’esprit de chaque compositeur. C’est du travail très sérieux.
Et puis Noisy, c’est mon secteur. J’avais un cousin qui habitait près des carrières. Qu’est-ce que j’ai pu en faire à vélo dans le coin… ”
Du côté de chez Marcel
“ Chauffe Marcel ! ” Alors ça, impossible de m’en défaire ; même en Inde on m’a dit “ c’est vous Monsieur Chauffe Marcel ? ” Mais l’histoire est assez drôle. On était en studio, et il manquait une chanson pour terminer le disque. Alors Brel s’est mis dans un coin pour terminer de griffonner des paroles et jeter quelques accords. Lorsque j’ai lu, je lui ai dit “ Mais il n’y a rien, là ! – Je sais, mais tu te débrouilles, tu me fais une belle broderie là-dessus et tu remplis.” Bon, la base était simple, ça n’avait rien de difficile. On a commencé une première prise, mais elle était trop courte. Alors à la deuxième, Jacques a rajouté quelques paroles, et pour me demander de remplir, il a lancé le fameux “ Chauffe Marcel ! ”. Après, j’ai vu qu’en haut de la partition, il avait écrit : “ Azzola Vesoul ” Je lui dis de ne garder que Vesoul. C’était gentil de sa part, mais ça aurait été trop long comme titre, pas assez vendeur à la radio… ”
“ La tournée avec Montand en URSS, c’était quelque chose. Beaucoup de travail, tous les soirs. Et puis Yves, c’était quelqu’un d’exigeant, un vrai pro. Ça ne se voyait pas, mais d’un geste dans le dos, il nous donnait des indications, comme Piaf d’ailleurs. Elle avait dû lui apprendre. En tout cas, crois-moi qu’il fallait suivre… Mais le véritable plaisir, c’était de voyager avec Simone Signoret. Quelle classe elle avait cette femme… Et la petite Catherine (Allégret), toujours sur mes genoux, j’étais son chouchou. C’était chouette… ”
“ Travailler avec Kosma, c’était grand. Le père Kosma, c’est vraiment de la musique, c’est drôlement foutu. Et comme Prévert tout seul, c’est déjà de la musique, ça fait un truc terrible. Toutes les chansons ne sont pas connues du public, elles sont un peu difficiles parfois, mais qu’est-ce que c’est beau. ”
“ Ceux qui m’impressionnent, les vraiment grands, ce sont ceux qui veulent toujours apprendre. Un jour, j’ai fait un truc avec Grappelli et Yehudi Menhuin. On jouait du jazz. Tu te rends compte, jouer avec Yehudi Menhuin, l’un des plus grands violons du siècle. On avait répété, et bien juste avant le concert ce gars-là qui connaît tout le répertoire du violon, il demandait encore des conseils à Grappelli, sur sa façon de tenir l’archet, comment donner cette couleur jazz à son jeu. Il doutait, et il travaillait. C’est parce qu’il doutait, toujours, tout le temps, qu’il travaillait et qu’il y arrivait. Il faut se remettre en question, tant qu’on est vivant. ”
“ A Bar-sur-Aube, quand j’étais tout jeune, il y avait deux boites. Moi, je jouais le grand répertoire, notamment la Toccata. Dans l’autre, ça swinguait. Un des musiciens de l’autre boîte est venu me voir : “ Faut absolument que tu joues ça à mon cousin, je t’emmène. ” Alors tôt le matin, on grimpe au dernier étage d’un immeuble de Saint-Ouen. On frappe, pas de réponse. Mon gars ouvre la porte, et au fond du meublé, tout simple, y a un type qui se rase, qui fait comme si on n’était pas là. Alors, mon pote de la veille me tend une chaise et dit “ Joue ton truc ! ” Me voilà en train de faire la Toccata, chez un type que je ne connais pas, et qui continue à se raser. Je me demandais ce que je foutais là… Finalement, je termine et le type, rasoir à la main me dit : “ C’est chouette, ton truc, vraiment. ” Plus tard, celui qui m’avait emmené m’a dit : “ Tu sais, mon cousin, c’est rare qu’il parle, surtout pour dire un compliment. ” Son cousin, c’était Django Reinhardt… ”
Photo : Jean-Luc Cormier, le Bar Floréal
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