Ma Seine-Saint-Denis par Yacine Belhousse

Ma Seine-Saint-Denis par Yacine Belhousse
Humour

Yacine Belhousse, artiste complexe aux multiples talents (auteur, comédien, producteur, réalisateur) s’est fait connaître par le Jamel comedy club sur Canal+. Basé sur son expérience, lui qui a joué dans plus de 18 pays en français ou en anglais, son documentaire sur le stand up « Voulez-vous rire avec moi ce soir » cumule les vues sur Netflix. A l’aube de se produire sur scène avec son nouveau spectacle 2022, il nous parle de la Seine-Saint-Denis et de son amour pour le 93.

La Seine-Saint-Denis de Yacine Belhousse en trois lieux

Parc Georges-Valbon à La Courneuve

C’est un endroit que j’aime énormément. A Paris autour de moi, quasiment personne ne le connaît alors qu’il est incroyable. J’y vais encore de temps en temps pour me balader mais dans l’enfance et l’adolescence il a été un lieu très important pour moi.

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Le Studio Théâtre de Stains

C’est un lieu magnifique ! Par le nombre de pièces et pour tout ce qu’ils et elles font ! En 2000, mes amis et moi avons été accueillis pour qu’on puisse monter notre spectacle alors qu’on ne faisait partie d’aucune structure. On est allé les voir et non seulement on nous a encouragés dans notre création mais le Studio théâtre a trouvé une place dans leur programmation de fin année avec les scolaires pour qu’on présente notre pièce, une parodie du Big brother anglais (à l’époque Loft story n’était pas encore sorti en France). Avec les copains on se retrouvait au Quick des 6 routes à La Courneuve où on passait des heures à écrire notre pièce. Je prêtais mon forfait Millénium au vigile pour qu’il nous laisse squatter 4 heures d’affilée ! Les gens du Studio théâtre se sont adaptés à notre envie sans rester dans leur cadre. C’est rare ! C’est un moment fondateur pour moi car j’ai compris qu’il était possible de s’emparer de l’outil théâtral pour s’exprimer…

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Le lycée Le Corbusier à Aubervilliers

C’est là où je prends mon premier cours de théâtre avec une comédienne professionnelle et où s’opère un vrai déclic. J’étais dans mon adolescence et ça m’a beaucoup marqué. Quand j’entends tout le discours sur la banlieue, mes années lycée me reviennent beaucoup en tête et mon point de vue sur cette question est très influencé par cette période. Aussi, plus tard, étudiant à la fac à Saint-Denis, les émeutes consécutives à la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005 ont été pour moi à l’origine d’un changement de pensée et d’une façon de voir le monde.

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Entretien avec Yacine Belhousse

Dans votre documentaire sur Netflix vous faites une déclaration d’amour au stand up et un voyage à travers le monde pour le célébrer. Qui sont les artistes qui ont le plus influencé votre travail, les « icônes fondatrices » ?

Yacine Belhousse  : En plus de Jerry Seinfeld (artiste de stand up New-yorkais), Eddie Izzard ! C’est Kader Aoun quand j’étais au Jamel comedy club qui m’avait comparé à lui et m’avait conseillé de regarder ses spectacles. Et effectivement il est vite devenu une inspiration, un modèle. Et bien qu’Anglais, pour moi c’est une personne typique de Seine-Saint-Denis ! (Rires). Dans l’état d’esprit. Parce que c’est quelqu’un qui a toujours lutté pour pouvoir exister. C’est une personne qui a voulu être qui elle était vraiment et partisane de la complexité. En Seine-Saint-Denis on est obligé d’être partisan de la complexité car on vit sur une terre très complexe. Les choses ne sont pas binaires. Eddie est quelqu’un qui dans sa transidentité a dû chercher énormément à travailler l’acceptation de l’autre, tout en existant.

Dans les années 80 en Angleterre il s’est fait agresser de nombreuses fois mais il n’a pas lâché l’affaire. Il a préféré se montrer d’une manière en se respectant soi-même pour respecter les autres, et donner de l’amour. Les personnes de Seine-Saint-Denis sont toujours obligées de lutter contre une image qui est projetée sur elles et qui vient de l’extérieur alors que la réalité est beaucoup plus complexe, une fois encore. Et puis pour moi Eddie représente l’intelligence anglaise de l’humour. Les Anglais·e·s sont extrêmement drôles et pourtant ils/elles ne se vannent pas. C’est un humour de situation, à froid. Cela ne s’explique pas, cela se vit…

Dans une interview que vous aviez donné dans l’émission Clique, vous avez dit que les habitant·e·s de Stains sont les plus drôles de France. C’est vrai ?

Yacine Belhousse  : Évidemment c’est une opinion… Je n’ai pas fait d’étude scientifique sur le sujet mais pour moi les gens de Stains sont les plus drôles de France. C’est par mon vécu, les moments que j’ai passé là-bas. Je n’ai jamais autant ri de ma vie qu’à Stains… C’est dans cette ville que je me suis épanoui culturellement et puis c’était ma vie de jeune adulte, une période où généralement on s’amuse beaucoup !

Faire rire est une des choses les plus difficiles. D’où vient ce don ?

Yacine Belhousse  : On est drôle dans ma famille avec une manière surprenante et inattendue d’appréhender la vie. Je pense aussi qu’en Seine-Saint-Denis par exemple, quand il y a une forme de pression liées aux difficultés, elle se transforme chez moi en capacité de faire rire les autres. Car je suis en effet très drôle dans les situations où il y a besoin de rompre une tension, pour apaiser l’ambiance. De mon point de vue, être drôle ne réside pas dans sa capacité de dire des vannes mais dans la capacité d’exprimer une perception différente du monde, d’être en décalage vis à vis de ce que disent les gens en général. Être drôle c’est aussi se poser des questions que d’autres ne se poseraient pas.

Quels sont vos projets actuellement ?

Yacine Belhousse  : Le film L’Histoire raconté par des chaussettes avec Dedo (lui aussi originaire de Seine-Saint-Denis). Je rejoins aussi l’équipe de Clique avec Mouloud Achour pour une nouvelle émission, et puis le 26 décembre je prépare une belle date à Paris autour de mon spectacle 2022.

Vous qui avez beaucoup voyagé, comment décririez-vous la Seine-Saint-Denis à un étranger ?

Yacine Belhousse  : C’est assez facile. Il suffit de trouver l’endroit où les populations sont plus mélangées que ce soit au niveau social ou par les origines. Et il y en a dans tous les pays. Et comparer aussi avec des quartiers en voie d’amélioration où il y des nouvelles constructions (on construit beaucoup en Seine-Saint-Denis, c’est une terre d’accueil, il y a énormément de grues, en permanence). Pour moi la Seine-Saint-Denis est un lieu d’intense croisement, de grande force culturelle et intellectuelle. Les stratégies de survie qu’on doit mettre en place pour pouvoir cohabiter nous rendent beaucoup plus aptes à trouver des solutions très rapidement. Or pour moi cette capacité d’adaptation est une grande forme d’intelligence et quelque chose de très beau. Du coup quand je discute avec des Anglais·e·s, ils/elles vont me parler de East London ou Birmingham… Or j’ai été à Birmingham et effectivement il y a un côté béton. Mais il reste des choses que les gens ne voient pas, à East London comme ailleurs. Culturellement les briques comme celles du vieux Stains ou celles d’Aubervilliers dans le parc Stalingrad avec la maison du gardien, racontent l’aspect ouvrier qui est mis de côté au profit du reste et que moi j’aimerais pointer du doigt.

Où avez-vous grandi ?

Yacine Belhousse  : Je suis né à Bondy mais à l’époque mes parents vivaient à Bobigny. Ensuite on a déménagé à Aubervilliers, à La Courneuve… J’ai eu une enfance assez nomade mais j’ai fait toute ma scolarité à Aubervilliers et mes études à Saint-Denis. D’ailleurs j’habite encore à Aubervilliers que j’adore. Tout sur la ligne 1 du tramway, c’est la meilleure ! (Rires).

Vous avez habité en cité ou en zone pavillonnaire ?

Yacine Belhousse  : J’ai fait les deux. J’ai grandi dans une cité à Bobigny, ensuite à la cité Hemet à Aubervilliers puis mes parents ont déménagé dans un pavillon à La Courneuve entouré de grands ensembles.

… du coup vous avez testé plusieurs formes d’habitats de Seine-Saint-Denis…

Yacine Belhousse  : Appartements et pavillon et cette vie en pavillon était trop bien ! Ce sont mes parents qui ont vécu dans plein d’habitats différents. Il et elle ont commencé dans des logements où il n’y avait pas d’eau courante quand arrivé·e·s d’Algérie en 1958 à l’âge de 10 et 12 ans. D’ailleurs ma mère me fait rire quand elle me raconte leur histoire : « je ne comprends pas pourquoi on parle d’immigré·e·s car moi j’ai bougé de la France à la France ! » me dit-elle. (Rires)

Vous parlez d’amour pour votre département mais sur scène vous faites peu référence à la Seine-Saint-Denis, n’est-ce pas ?

Yacine Belhousse  : Je n’axe pas mon propos sur le côté banlieue. C’est moi la banlieue mais je n’ai pas besoin de le dire pour éviter justement le côté mise en branding « made in banlieue ». Si vous avez grandi en Seine-Saint-Denis, vous êtes la Seine-Saint-Denis, vous êtes nourri·e de toute cette culture. Encore une fois, ce qui me fascine ce sont les stratégies que mettent en place les gens pour s’en sortir. Cela ressort du génie et c’est pour cela que je repère vite les personnes qui viennent du 93…

Sur scène vous portez un t-shirt avec l’ancien logo du Conseil général de la Seine-Saint-Denis. Est-ce un clin d’œil aux habitant·e·s de ce territoire ?

Yacine Belhousse  : C’est pour mon plaisir personnel. Ce t-shirt c’est moi qui l’ai fait floquer.

Pendant la crise Covid, je cherchais des choses qui avaient du sens car j’étais très démoralisé de ne plus pouvoir travailler. Depuis 15 ans, je sortais tous les soir pour mon travail et d’un coup, tout s’est cassé. J’aime mon département, j’aime ses habitant·e·s, qui ont une manière très particulière de voir la vie et ça me faisait du bien d’aller chercher des choses qui me représentaient… comme un blason, d’autant que ce logo n’existe plus ! Aujourd’hui ne reste que les lettres, le cube a disparu. Autre exemple, j’ai la nostalgie des anciennes poubelles…

Quand je vais au Stade André-Karman à Aubervilliers, il en reste quelques-unes seulement. Ce mobilier urbain a un côté rassurant pour moi, qui me rappelle mon enfance. Mais de cette époque tout n’a pas disparu. La solidarité par exemple. Mes parents sont fans des centres de santé de La Courneuve et de comment les soignant·e·s s’en occupent. Pendant le confinement, la police municipale venait les voir, eux et les autres ancien·ne·s, pour prendre des nouvelles et faire leurs courses. Pendant qu’on imagine la Seine-Saint-Denis pleine de périls et de danger, voilà la réalité de mes parents. Je veux juste dire ma gratitude envers mon département mais en le revendiquant d’une façon différente, différente de celle que l’on attend généralement.

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L’ancien logo du Département porté lors de l’émission Autour de Yacine Belhousse avec une des séquences à revoir ou découvrir ici https://youtu.be/pCS1i7d8Utc

Propos recueillis par Sandrine Bordet

Crédits photos

  • Photo portrait : Martin Lagardère.
  • Parc Georges-Valbon à La Courneuve et Studio Théâtre de Stains : Jean-Louis Bellurget.
  • Lycée Le Corbusier à Aubervilliers : Nicolas Moulard.

Yacine Belhousse en cinq dates

  • 1981 : Naissance à l’hôpital Jean-Verdier à Bondy
  • 2000 : Première pièce en tant qu’auteur au Studio théâtre de Stains
  • 2006 : Jamel comedy club sur Canal+ : commence à vivre de son métier
  • 2014 : 26 représentations en anglais au Festival d’Edimbourg en Écosse, plus gros festival d’art vivant au monde
  • 2020 : Son documentaire « Voulez-vous rire avec moi ce soir » sort sur Netflix.

Yacine Belhousse en cinq œuvres

Nouveau spectacle 2022 à voir à l’Européen à Paris le 26 décembre 2022

L’histoire racontée par des chaussettes

Le trône des frogz

Inside Jamel comedy club

Spectacle 2021

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