Luc Pinto Barreto : vivre livre
C’était avant. Avant le grand confinement et ses contraintes. Avant que les gestes barrières ne s’imposent à tou·te·s et nous privent de tout rapprochement.
En ce temps-là, Luc Pinto Barreto mettait la touche finale à son projet : monter une librairie en plein air à Saint-Denis, sur le parvis de la gare RER.
Depuis, confiné chez lui, entouré de sa compagne en télétravail, et de leur petit garçon de deux ans et demi, il rêve à cette sortie le 11 mai prochain. Les questions se bousculent, forcément… Des travaux devaient être engagés en avril sur l’espace public, à la sortie du RER en gare de Saint-Denis, seront-ils réalisés ? Va-t-il pouvoir y installer son container et ses livres avec toutes les mesures de protection nécessaires ?
Passionné par les livres, cet ex-technicien de maintenance dans des palaces, est entouré, chez lui, de bouquins. « Je lis principalement quand le petit fait la sieste et le soir, quand il dort. Pendant cette période, j’ai eu la chance d’avoir lu des ouvrages qui m’ont beaucoup plu », explique-t-il au téléphone. Il a ainsi dévoré L’Or et l’obscurité, d’Alberto Salcedo Ramos (10-18), La vie glorieuse et tragique de Kid Pambelé, le premier champion du monde de boxe colombien. Puis, il a attaqué Orwell. Ayant lu 1984, il s’est plongé dans la biographie en bande dessinée de cet écrivain. « Avant de découvrir cette BD de Christin et Verdier (Dargaud éditeur), j’avais aussi lu La Ferme des animaux publié en 1945. Cet ouvrage décrit une ferme dans laquelle les animaux se révoltent, prennent le pouvoir et chassent les hommes. Fantastique ! »
Première rencontre
C’est à la librairie Folies d’encre, à Saint-Denis, à quelques jours du confinement général que nous avons pu échanger une franche poignée de main et nous entretenir. Sourire franc et regard direct. Est-il né sous une bonne étoile ou bénéficie-t-il d’un alignement de planètes favorable, toujours est-il que Luc Pinto Barreto franchit les différentes étapes de sa vie, avec une aisance hors du commun. Ce jeune homme de 33 ans ne vit plus que pour les livres.
Technicien de maintenance dans les plus grands palaces parisiens, il passe de l’un à l’autre sans jamais cocher la case chômage. Le 6 juillet dernier, après avoir mûri longuement son projet, il investit le parvis de la gare à Saint-Denis pour proposer à la vente, des livres. « Grâce à la librairie Folies d’encre, j’ai pu passer mes commandes de livres et bénéficier des remises. » Avec sa fameuse banderole « Dealer de livres », le libraire en herbe installe son « échoppe » avec en poche une autorisation officielle d’occupation de l’espace public. En 35 après-midis, il diffuse plus de 400 ouvrages.
Son père né au Cap-Vert, alors colonie portugaise, quitte l’île en 1970 pour s’installer en France. Sa mère, née au Lamentin en Martinique, rejoint la métropole à la même époque et comme dans toute belle histoire se rencontrent et s’installent à Paris.
À 18 ans, à l’âge des questionnements, Luc tombe sur un recueil de discours de Malcom X et prend conscience de l’importance des livres : « Dans les bouquins, il y a forcément des choses qu’on ne trouve pas dans un film ou un documentaire, en raison des contraintes de temps ». A partir de là, il pénètre dans le domaine de la lecture et enchaîne les livres. Non par la littérature, mais par les essais et les sciences humaines.
Des palaces au RER
Technicien de maintenance dans l’hôtellerie vous oblige à devoir répondre à toute demande. « J’étais l’homme à tout faire ! Electricité, climatisation, plomberie, menuiserie… De l’Ibis Style de Bercy, un 3 étoiles classique où j’ai travaillé en alternance jusqu’au Shangri-La, palace parisien du Triangle d’or, avenue d’Iéna, finalement si le décor change, le travail demeure le même. « Une ampoule reste une ampoule ! »
Mais rongé par le virus des livres, il se lance dans le grand bain en 2016 et crée une chaîne YouTube où il chronique des livres et se présente comme « Dealer de livres ». Mais rapidement le manque de contacts réels lui fait abandonner cette aventure. Insatisfait mais ne trouvant pas d’issue, Luc Pinto Barreto décide alors de créer sa boîte. « J’aime les livres, j’aime en parler, j’aime les diffuser, alors je vais créer mon métier ». Après une formation, son projet ne prend toujours pas corps, et le voilà reparti au Pullmann à La Défense.
Ce n’est qu’en 2018 qu’il quitte son Paris natal pour s’installer en famille à Saint-Denis. C’est là que la rencontre fondatrice a lieu avec Sylvie Labas à la librairie Folies d’encre. Avec beaucoup de courage mais aussi un peu de naïveté, il franchit le seuil et se présente : « Je voudrais être libraire et créer une librairie sur le parvis, puis-je rencontrer le ou la responsable de la librairie ? ». En stage à la librairie, les événements s’accélèrent et finalement, le 6 juillet, grâce à l’aide de la librairie et du cirque Raj’ganawak, implanté en bas de chez lui, il s’installe. L’aventure durera jusqu’au 9 novembre.
Depuis un méchant virus a immobilisé le pays tout entier, mais son énergie demeure intacte porté qu’il est par un projet auquel il croit fort. Et parce que l’oisiveté n’est pas son fort, en signe de solidarité il est présent tous les lundis et vendredis à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis comme bénévole et s’occupe des affaires des patients à la consigne.
Crédit-photo : Nicolas Moulard
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