Résidences artistiques - Le feuilleton Montreuil

Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°8)

Aujourd’hui, visite au collège Lenain-de-Tillemont à Montreuil.

Les résidences In Situ fêtent leurs dix ans !

Le dispositif In Situ initié par le Département en 2007 méritait bien un petit feuilleton ! Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires elles-mêmes de Seine-Saint-Denis, rendent compte de ces résidences artistiques dans 10 établissements.

EPISODE 8
Chercher le « Nord »

J’aurais pu appeler ce texte « La fois où le collège était fermé », car Capucine Vever et moi, nous nous sommes donné rendez-vous un mercredi après-midi. Bien loin les années d’école, nous avions oublié que le mercredi après le déjeuner, c’est quartier libre. L’établissement se vide et le gardien du collège Lenain-de-Tillemont à Montreuil nous raccompagne poliment derrière la grille. Nous nous installons, une centaine de mètres plus loin, aux côtés d’autres habitants du quartier, sur des tables en plein-air prévues à cet effet au centre d’une place aménagée.

La plaquette d’In Situ présente Capucine comme une plasticienne, mais Capucine Vever est bien plus que ça. Capucine c’est un peu ma Galilée, mon Darwin, mon Avicenne ou ce genre de bonhomme à barbe blanche qui fait tourner la tête de ses contemporains et vous met sens dessus dessous de façon irrémédiable. La trentaine passée, la jeune femme a décidé d’aller gratter sous la terre, à 2900 kilomètres de profondeur, là où se trouve « une boule de feu qui génère le champ magnétique » dit-elle. Là, sous nos pieds, s’agitent et fusionnent à toute vitesse des métaux liquides créant un champ magnétique qui a pour effet de faire pointer l’aiguille de nos boussoles vers le « pôle Nord magnétique ». Jusqu’ici tout va bien ou presque (Nous marchons au quotidien sur une boule de feu).

Sauf que Capucine m’apprend que « le Nord » n’est plus tout à fait « au Nord » et que nous avons entamé ce que des scientifiques appellent un phénomène d’inversion des pôles.

- Le pôle Nord dérive de 55 kilomètres par an en direction de la Sibérie, m’indique Capucine. Il est mouvant alors que les cartes sont fixes.
- Le Nord n’est pas au Nord ? Donc les cartes sont fausses ? Je lui demande.
- En quelque sorte, elles sont des objets de fiction, je les prends comme telles dans mon travail. Dans l’année on va inventer une langue, imaginer un territoire et dessiner des cartes mentales avec les enfants, tu verras.

Tout comme Capucine, j’aime les globes, les planisphères, les cartes, les rayons et les centralités. Sauf que je déteste les îles, les bords de mers, les pointes, les finistères, les frontières et tout ce qui pourrait limiter ou entraver les mouvements. Ma famille a migré d’Est en Ouest, de l’Orient vers l’Occident. J’avais 16 mois, je ne me souviens de rien, alors je visualise souvent ce trajet dans ma tête avec un avion traçant une large courbe rouge sur le planisphère. En avion justement, je passe mon temps les yeux rivés sur l’écran de suivi de la navigation en temps réel. Devant une carte, depuis que je sais lire, la première chose je fais c’est chercher où je me trouve, d’où je viens, où je vais, où sont les gens que j’aime.

Il n’y a pas que les marins, les aviateurs, les randonneurs perdus, les migrants et Capucine Vever que le pôle Nord obsède. Les oiseaux migrateurs, me raconte Capucine, s’orientent eux aussi grâce au champ magnétique. Savent-ils que le Nord n’est plus vraiment au Nord ?

- Capucine, ça n’est pas vrai ton truc de « dérive magnétique », c’est juste pour nourrir l’imagination des enfants ?
- Non vraiment, l’indication du Nord, prend 1° tous les deux ans. La rose des vents, tu visualises ? Eh bien elle s’est déplacée. Il y a parfois 200 ans d’écart entre certains planisphères hérités de l’Histoire et le Nord actuel, ça fait beaucoup de degrés [de déviation].

Capucine n’est pas une allumée, elle ne s’est pas réveillée un matin en se demandant où était le Nord. La notion de territoire constitue le pivot de sa démarche artistique. Il y a quelques années, en recueillant des récits d’explorateurs urbains qui ont parcouru les anciennes carrières de Paris et de sa banlieue, l’un d’entre eux lui raconte que sur l’une des parois des galeries souterraines, il a découvert une très vieille rose des vents. Mais celle-ci n’indique pas tout à fait le Nord. Capucine découvre à travers ce récit que des questionnements scientifiques existent à propos de la dérive du pôle Nord magnétique. Elle rassemble des documents, rencontre des scientifiques, lit des récits, et se lance à sa poursuite, en ne cherchant pas forcément à l’atteindre. Le champ imaginaire engendré par cette découverte devient son terrain de jeu.

Un jeu dans lequel elle vient de m’inclure aux côtés des collégiens de la classe de 4ème 2 qu’elle va suivre cette année. Avant Capucine, je faisais confiance à ma boussole, je savais me diriger, je n’imaginais pas la vie en strates verticales sur une boule magnétique. Là, voilà, je dérive. « Aucun arrêt n’est prévu » prévient Capucine. Trop tard. Il y a bien un avant et un après Capucine Vever.

Découvrez ici le portrait de Joséphine Lebard et Bahar Makooi, journalistes auteures du feuilleton sur ces résidences artistiques et originaires toutes deux de Seine-Saint-Denis.

Prochain épisode : Les débuts de la résidence des réalisateurs Carine May et Hakim Zouhani au collège La Courtille à Saint-Denis.

Dans l'actualité