Librairies

Les librairies du département en mode système D

A l’instar d’autres commerces « non essentiels », les librairies indépendantes ont été contraintes de fermer leurs portes au minimum jusqu’à la mi-novembre dans le cadre du nouveau confinement. Devant ce qu’ils considèrent comme une injustice, les douze membres de l’association Librairies 93 se réorganisent pour « sauver les meubles ».

En mars, lors du premier confinement, le sentiment qui dominait chez les petits commerçants, parmi lesquels les libraires indépendants, était la sidération. Aujourd’hui, alors que la France traverse une deuxième vague de contaminations au coronavirus, c’est la colère et l’incompréhension qui l’emportent. Considérées par le gouvernement comme des commerces « non essentiels », les librairies ont dû de nouveau baisser le rideau le 30 octobre pour une durée de 15 jours minimum. Chez les libraires du département, notamment ceux qui font partie de l’association Librairies 93, on est partagé entre stupeur et écœurement. « Nous avons tout à fait conscience de l’ampleur de la crise sanitaire, il n’y a aucun déni de notre part, précise d’emblée Valérie Salaam, co-gérante de la librairie Folies d’encre des Lilas et présidente de Librairies 93. Notre frustration porte sur le fait qu’aujourd’hui, contrairement à la première fois où nous avions été pris de cours, nous avons une parfaite maîtrise des gestes-barrières et du protocole sanitaire – nous portons des masques, mettons à disposition de notre clientèle du gel hydro-alcoolique et avons réduit notre jauge. »

« Click and collect »

Et encore, la frustration aurait peut-être été plus grande si le gouvernement avait refusé d’interdire la vente de livres dans la grande distribution dès le 30 octobre après que des plaintes et autres indignations eurent inondé les médias et les réseaux sociaux. « On ne peut pas dire que c’est une victoire car ce que nous réclamions, c’était la réouverture de nos commerces, regrette Emilie Grieu, responsable de la librairie Les Pipelettes à Romainville. Voir des rayons de livres sous bâche pendant qu’on fait nos courses, ce n’est pas une belle image, nous nous réjouissons pas du tout de cette situation. » L’autre coup dur pour les libraires est la temporalité : c’est en effet à l’approche des fêtes de fin d’année qu’ils réalisent le plus gros de leur chiffre d’affaires. Selon le Syndicat de la librairie française (SLF), un quart des livres se vendent entre novembre et décembre. Du coup, pour limiter la casse, les douze membres de Librairies 93 pratiquent le « click and collect », qui permet aux clients de commander en ligne et de récupérer les livres sur le pas de la porte. Les amateurs de livres peuvent aussi passer commande sur le site de l’association, Librairies93.fr, qui depuis le premier confinement est devenu un site marchand.

Différence notable par rapport au printemps dernier, la chaîne du livre n’a pas été rompue. Retenant la leçon du premier confinement durant lequel les libraires ne pouvaient s’appuyer que sur leur stock, les fournisseurs sont désormais en capacité d’assurer les livraisons. « Nous pouvons continuer à vendre mais nous n’avons plus de lien social, qui constitue pourtant le socle des petits commerces, déplore Emilie Grieu. Dans les librairies de quartier, a fortiori en Seine-Saint-Denis où ces commerces se font rares, nous entretenons un lien privilégié avec nos clients. Certains nous ramènent des gâteaux, leurs enfants nous font des dessins… Nous ne voulons pas rompre ce lien. »

« Le conseil, cœur de métier du libraire »

« L’activité de conseil est le cœur de métier du libraire, rappelle Valérie Salaam. Actuellement, nous en sommes officiellement dispensés, ce qui rend la situation ubuesque. A défaut de pouvoir déambuler dans les rayons, on propose donc aux passants des vitrines tournantes afin qu’ils se tiennent informés des dernières sorties et arrivées, c’est notre seul outil d’exposition. » Si la patronne des Pipelettes de Romainville estime qu’il est « important que les gens continuent de se déplacer car, à la différence d’un algorithme, notre plus-value est le contact humain », elle reconnaît être plus active sur les réseaux sociaux depuis le premier confinement, où elle poste régulièrement des infos pratiques et ses coups de cœurs en lecture. Pour Rosalie Abirached, gérante de la librairie De Beaux Lendemains qui a ouvert à Bagnolet six semaines avant le premier confinement, les temps sont durs car la crise sanitaire ne lui a pas laissé le temps de se constituer une clientèle fidèle. Pour autant, la libraire ne perd pas espoir. « La veille de la fermeture, nous avons réalisé des ventes records, certaines personnes ont fait des provisions pour tout l’hiver. Un acte militant auprès des libraires comme on n’en avait encore jamais vu et qui, je suis sûre, est amené à se reproduire. »

Grégoire Remund
Photo : Librairie Les Pipelettes de Romainville

Le Top 5 d’une libraire du département

Morgane Payock-Monthé, gérante de la librairie La Malle aux Histoires à Pantin, nous livre ses conseils de lecture pour le reconfinement.

- Lumière d’été, puis vient la nuit, de Jon Kalman Stefansson (aux éditions Grasset). « Auteur majeur de la littérature nordique, Jón Kalman Stefánsson exerce à nouveau sa magie de conteur virtuose pour dire les vies minuscules et universelles des habitants d’un village islandais. Il a une façon de parler de l’ordinaire absolument remarquable. C’est drôle, poignant et diablement poétique. »

- Impossible, de Erri de Luca (aux éditions Gallimard).
« Dans un dialogue entre un juge d’instruction et un homme soupçonné de meurtre et placé en garde à vue après la mort accidentelle d’un autre en montagne, l’auteur met en scène tous les grands thèmes qui lui sont chers : la justice, la liberté, le combat politique, la trahison, l’amour et la montagne... C’est un livre court mais puissant, qui dit beaucoup de choses en très peu de mots. »

- La vérité sort de la bouche du cheval, de Meryem Alaoui (aux éditions Gallimard).
« C’est le journal intime d’une jeune femme marocaine de 34 ans, qui se raconte sans fard durant trois années, à travers la vie de son quartier et de son quotidien mouvementé de prostituée à Casablanca. Son destin va un jour radicalement se transformer à la faveur d’une rencontre... C’est un ouvrage impertinent, souvent très drôle et qui, malgré la lourdeur du sujet, met de bonne humeur. »

- Le cœur converti, de Stéphane Hertmans (aux éditions Gallimard).
« Lorsque Stefan Hertmans apprend que Monieux, le petit village provençal où il a élu domicile, a été le théâtre d’un pogrom il y a mille ans et qu’un trésor y serait caché, il part à la recherche d’indices. C’est le début d’un conte passionnant et d’une reconstruction littéraire grandiose du Moyen Âge. S’appuyant sur des faits et des sources authentiques, cette histoire d’amour tragique, menée comme une enquête, entraîne le lecteur dans un univers chaotique, un monde en pleine mutation. C’est une très belle description de la France faite par un écrivain néerlandais qui nous rappelle que l’antisémitisme est une très vieille histoire. »

- Aubervilliers, de Léon Bonneff (aux Editions de l’Arbre).
« Aubervilliers est un livre sur l’industrialisation à marche forcée écrit par le maître de la littérature prolétarienne, Léon Bonneff, en 1912-1913. Avec empathie, colère et parfois humour, l’auteur restitue la vie de ce faubourg et de ceux qui le peuplent, des être humains, victimes d’un capitalisme implacable, qui triment à en mourir. »

Grégoire Remund
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