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Les lanceur·euse·s d’alerte tiennent salon à Montreuil

Une centaine de « whistle blowers » de toute la France se sont rassemblé·e·s les 22 et 23 novembre à Montreuil. Le public a pu les rencontrer et s’interroger sur le rôle des lanceur·euse·s d’alerte dans nos sociétés modernes.

Pour sa cinquième édition, le salon « Des livres et d’alerte » a organisé une vingtaine de rencontres, sous forme de conférences et de tables-rondes dans un vaste hangar du quartier Croix-de-Chavaux. Au programme : les pesticides, les risques industriels, l’évasion fiscale ou encore les restrictions des droits des journalistes…

La toute-puissance des multinationales dans le viseur

Écrivain·e·s, élu·e·s, syndicalistes, gilets jaunes ou simples salarié·e·s… les profils des « whistle blowers » (souffleurs de sifflet en anglais) invité·e·s sont particulièrement variés. Ces personnes ont eu connaissance à un moment de leur vie de menaces ou de préjudices graves pour l’intérêt général et ont fait le choix de les dénoncer, aux dépens parfois de leur carrière, voire de leur vie privée.
L’édition 2019 du salon coïncide avec le trentième anniversaire d’Act Up, une association militante rompue à l’agitprop. Son co-fondateur Didier Lestrade a ouvert les rencontres en évoquant les actions coup de poing menées dans les années 90 pour alerter la population sur l’épidémie du Sida.
Le 22 novembre, les visiteur·euse·s ont découvert le documentaire « XY Chelsea », consacré à l’ex-analyste militaire responsable de fuites via WikiLeaks sur les agissements de l’armée américaine pendant la guerre en Irak.
Les dérives révélées lors de ce salon sont certes moins glaçantes que les actes de torture dénoncés par Chelsea Manning mais interrogent la probité des États et des entreprises. Les lanceur·euse·s d’alerte présents ont ainsi dénoncé les dérives de certaines firmes multi-nationales : évasion fiscale, pollution, management par le stress… et l’inertie des États pourtant seuls garants des droits des citoyen·ne·s. Parmi les abus abordés : les affaires de corruption, les scandales sanitaires (amiante, Médiator…), la pollution industrielle, les effets des entreprises chimiques sur la santé ou sur le vivant (perturbateurs endocriniens, pesticides agricoles…).

Des lanceur·euse·s d’alerte face aux puissants

Des « carillonneur·euse·s » venu·e·s de toute la France ont mis en garde contre l’effet euthanasiant des communications institutionnelles et ont donné des pistes pour défendre les droits. Parmi les invité·e·s : Denis Robert, Antoine Deltour, Irène Frachon, Maxime Renahy…, des journalistes, des avocats mais aussi nombre de salarié·e·s souvent mis sur la touche après la divulgation de dérives. « Les whistle blowers qui dénoncent les turpitudes de leur propre entreprise ont beaucoup de courage et paient en général très cher leur décision » prévient le fondateur du Salon Daniel Ibanez. « Ils sont précarisés puis licenciés par leur boîte et peuvent voir leur famille exploser du fait de la difficulté de trouver un nouvel emploi ».
L’intervenant Karim Ben Ali, ancien chauffeur intérimaire d’ArcelorMittal en a fait l’amère expérience. Après avoir diffusé en 2019 sur internet une vidéo sur les déversements de produits toxiques dans la nature que son employeur lui ordonnait d’effectuer, ce lanceur d’alerte se voit refuser toute nouvelle mission d’intérim en Lorraine et vit actuellement avec le RSA.

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D’autres « whistle blowers » moins éprouvé·e·s ont également subi des pressions pour leur engagement à l’image de douze « Résistantes » présentées par l’écrivaine et journaliste Florence Méréo, qui ont mobilisé l’opinion contre les dangers de médicaments ou de dispositifs médicaux dangereux.

Malgré les articles 6 et 7 de la loi Sapin II de 2016 et la récente directive européenne d’octobre 2019 sur la protection des lanceur·euse·s d’alerte, ceux·celles-ci subissent toutefois les affres de la précarité et de l’isolement.

Pour les soutenir, une permanence téléphonique lancée début 2019 propose aux requérant·e·s un accompagnement juridique, technique et éventuellement financier en passant par le site mlalerte.org/nous-contacter/. Les « whistle blowers » peuvent également saisir le Défenseur des droits par courrier (www.defenseurdesdroits.fr/fr/saisir) afin de bénéficier d’une marche à suivre et de la protection de la loi. Une façon de préserver ces « héros malgré eux » d’éventuelles rétorsions, en donnant s’ils·elles le souhaitent une plus grande médiatisation à leur action.

Santé, économie, environnement… des lanceur·euse·s d’alerte sur tous les fronts

Xavier Cœur-Jolly, ex porte-parole et vice-président d’Act Up Paris

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Depuis sa création, notre association n’a pas cessé de lancer l’alerte auprès des citoyens et des autorités sur le risque vital des infections sexuellement transmissibles. Nous assistons actuellement à un retour de l’ordre moral de la part du gouvernement avec une grande difficulté pour installer des distributeurs de préservatifs dans les lycées. Malgré de gros progrès en termes de dépistage et de nouveaux traitements comme la PrEP, les politiques sanitaires ne touchent pas certaines catégories particulièrement vulnérables de la population : les migrants, les prostituées, les consommateurs de drogue, les prisonniers et les homosexuels chez qui on observe un relâchement des pratiques de prévention. Or, c’est auprès de ces publics que l’État doit agir car ils représentent près de 40% des cas de nouvelles contaminations.

Nicolas Forissier, ancien auditeur interne de la banque UBS

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En 2005, lors de contrôles des établissements d’UBS France, j’ai découvert un gigantesque système d’évasion fiscale par le biais de comptabilités parallèles. Les commerciaux d’UBS étaient envoyés illégalement en France pour convaincre de riches clients d’ouvrir illégalement des comptes en Suisse par des mouvements de capitaux en liquide. Ce démarchage se faisait à l’échelle industrielle et représentait des pertes financières colossales pour la France. J’ai fait mon job d’auditeur et j’ai refusé de trafiquer les rapports, une décision que j’ai payée par près de dix ans de procédures judiciaires. En 2009, j’ai été licencié par cette banque mais j’ai gagné mon procès aux prud’hommes quelques années plus tard. Grâce à l’action des lanceurs d’alerte, UBS a été condamné en 2019 par le tribunal correctionnel de Paris à payer une amende record de 3,7 milliards d’euros dont 800 millions d’euros de dommages et intérêts pour l’État français. La banque a fait appel du jugement rendu.

Inès Leraud, journaliste d’investigation et documentariste

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Ma mère a longtemps souffert d’allergies et de troubles de la mémoire et de l’élocution à cause d’une intolérance au mercure contenu dans ses plombages dentaires. En 2008, j’ai enquêté et réalisé une émission sur France Culture sur la neurotoxicité de ces amalgames au mercure pourtant interdits en Allemagne et qui ont envoyé pas mal de gens en hôpital psychiatrique.
En 2016, j’ai traité des algues vertes en Bretagne par le biais d’une émission de radio puis d’une bande dessinée, qui s’est très bien vendue. L’agriculture intensive a engendré d’immenses marées vertes toxiques sur les plages de cette région, phénomène qui a été nié pendant des années par les élus et les lobbies. La mort d’un joggeur à l’embouchure du Gouessant a délié les langues de la population mais pendant trois ans, il m’a été très difficile d’enquêter auprès des autorités qui refusaient de regarder le problème en face.

Crédit photo : Carine ARASSUS et Les alerté·e·s

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