Portrait

Le latin est une langue bien vivante au collège Henri IV

Depuis novembre dernier, une quarantaine d’élèves de 4e et de 3e du collège Henri IV de Vaujours sont au cœur d’un projet original : avec le soutien de leur professeure de latin Manon Besnier, ils entretiennent une correspondance épistolaire avec des collégiens d’un établissement de Reims. Dans la langue de Cicéron bien sûr. Reportage.

« Capillus mihi est flavus et media statura sum » (en français, « Je suis blonde et de taille moyenne ») ou encore « Duodecim annos natus sum, capillus mihi est fuscus et duo fratres habeo » (« J’ai 12 ans, je suis brun et j’ai deux frères »). Cela faisait plusieurs semaines que Farah, Fleur et leurs petits camarades latinistes de 4e et de 3e du collège Henri IV de Vaujours attendaient ce moment : ouvrir les lettres rédigées en latin et envoyées par leurs correspondants d’un collège de Reims pour les traduire avec leur professeure Manon Besnier. Dans cette première missive, les élèves champenois devaient se présenter, donner leur âge, dire où ils habitent et décrire leurs activités. Un mois auparavant, les collégiens d’Henri IV s’étaient prêtés exactement au même jeu.

Cette correspondance épistolaire en latin, qui a officiellement commencé en novembre dernier, entre dans le cadre du projet « Epistulae » (« lettre », en latin), porté pour la seconde année consécutive - la première au collège de Vaujours - par l’association « Arrête ton char ! », un réseau francophone qui promeut les langues de l’Antiquité. L’initiative est ouverte aux élèves de latin en France – mais aussi à l’étranger - dans un établissement reconnu par l’Éducation nationale. Plus de 11 000 élèves répartis dans 22 pays se sont inscrits pour cette seconde édition qui prévoit que les élèves écrivent durant l’année scolaire deux lettres. Dans leur deuxième courrier, programmé en avril, ils devront revenir sur un élément du quotidien qui fait référence à la Rome antique et qui les a marqués.

« C’est avant tout un moment ludique qui permet aux élèves d’étudier sans s’en rendre vraiment compte », dévoile Manon Besnier. Une bouffée d’oxygène au milieu d’un programme scolaire dense et dont la finalité est de réhabiliter une langue que d’aucuns considèrent comme élitiste et/ou inutile. « L’objectif est aussi de démontrer que le latin peut avoir, le temps de quelques exercices, un statut de langue vivante », fait valoir la professeure. Classé au rang de langue morte ou ancienne, au sens propre comme au sens figuré, menacé de disparition lors de la réforme du collège en 2015, pratiqué seulement en option à raison d’une heure par semaine en 5e et deux heures en 4e et 3e, le latin n’est plus vraiment en odeur de sainteté.

« Epistulae permet de s’ouvrir vers l’extérieur »

Une impopularité qui ne se vérifient pas chez les élèves du collège Henri IV. « Je trouve ça passionnant d’apprendre une langue qui n’existe plus », déclare tout de go Lélia qui, en même temps, tente de déchiffrer l’écriture de son correspondant. Ce dernier s’est donné du mal : il a rédigé sa lettre sur une feuille qui ressemble à s’y méprendre à du papyrus, ce papier végétal très en vogue sous l’Empire romain. « Et puis, le latin ne se résume pas seulement à de la traduction, poursuit la jeune fille. On étudie l’histoire du peuple romain qui était d’une richesse incroyable. » Pour Nicolas, cette option, pour peu qu’on soit un minimum investi, donne l’opportunité d’avoir d’excellentes notes et de remonter sa moyenne générale. « J’ai eu 16 en latin ce trimestre, fanfaronne l’ado. C’est vrai cela représente quelques heures supplémentaires dans notre emploi du temps mais ça vaut vraiment le coup. » Cet habitant de la ville limitrophe de Coubron a tout de suite été emballé par le projet Epistulae, qui constitue un vrai plus pour ceux qui auraient besoin de se réconcilier avec le latin. « D’autre part, il nous permet de nous ouvrir vers l’extérieur, de faire connaissance avec des personnes de notre âge qu’on n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer autrement, à notre âge c’est une chance. »

Le latin possède d’autres avantages. A l’origine de plusieurs langues, à commencer par le français, son étude permet de mieux appréhender les subtilités orthographiques, grammaticales et sémantiques. Il rend aussi plus facile l’apprentissage des autres langues européennes enseignées en milieu scolaire comme l’espagnol, l’italien et même l’anglais, dont certains mots sont issus du latin. D’après la DEPP, le service statistique du ministère de l’Education nationale, en 2015, le taux de réussite des latinistes au brevet des collèges a atteint 96,3 % contre 80 % chez les non-latinistes.
Assise au premier rang à côté de sa copine Kaïna, Nouha n’a eu besoin que de quelques petites minutes pour traduire la lettre de son homologue rémoise. « J’aurais voulu en savoir un peu plus sur elle, je suis un peu frustrée, concède-t-elle. La prochaine fois, je lui demanderai son Snapchat [application de partage de photos et de vidéos] pour pouvoir réagir en direct avec elle. » Ecrire une lettre en latin c’est bien, mais les réflexes du quotidien ne sont visiblement jamais très loin.

Grégoire Remund

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