Rugby Bobigny

Les Louves de Bobigny de A à Z

Après avoir entraîné pendant 14 ans l’équipe première des Louves de Bobigny, qu’il a co-fondée, Fabien Antonelli éprouvait le besoin de revenir sur cette aventure hors-norme. Il le fait avec verve et tendresse dans un « Dictionnaire passionné » qui nous en apprend beaucoup sur ce club historique, devenu l’une des références nationales en matière de rugby féminin.

« Faudrait que j’invente des mots qu’existent pas dans le dico » La référence aux Inconnus peut paraître incongrue ou hors d’âge, mais elle colle bien à l’ouvrage que Fabien Antonelli vient de publier. L’ancien coach des Louves de Bobigny – et co-fondateur en 2003 de la section féminine à l’AC Bobigny Rugby 93 avec son acolyte Marc-Henri Kugler – clame tout son amour pour le rugby féminin dans son « Dictionnaire passionné des Louves de Bobigny ». Un ouvrage enlevé et sincère, comme le jeu de ces guerrières en rouge et noir, qui côtoient l’Elite depuis 11 ans maintenant.
A la lecture du recueil, quelques mots s’imposent d’eux-mêmes. Sous l’entrée « Banlieue », on lit par exemple, à propos de cette institution fondée en 1965 : « Club formateur, club familial, club au coeur de la cité. Tout comme le tribunal de Bobigny, le club est un élément important du centre-ville, mais à la différence de l’instance judiciaire, il véhicule une image autrement positive au yeux de l’opinion publique, et ce en raison des liens tissés avec la population. » Ou encore sous le mot « Emotions » : « Au coeur de la meute, j’ai vécu, sans aucun doute, mes plus grandes émotions sportives – positives comme négatives. En tant que joueur, j’avais grandi avec nombre de sensations puissantes (...) Mais en bord de touche, dans la cabane en bois, les émotions semblent plus intenses, plus profondes. »
Des émotions, ce prof d’EPS, nommé en 2003 au collège Jorissen de Drancy pour son premier poste, en aura en effet connu : la montée en Elite en 2009 malgré une finale de Challenge Armelle Auclair (2e division) perdue aux tirs au but, une autre finale, cette fois au plus haut niveau français, perdue en 2014 face à Montpellier, un titre de championnes de France de rugby à 7 en 2015… Mais, questionné au téléphone sur son plus beau souvenir, Fabien Antonelli, en bon épicurien, n’évoque rien de tout ça : « Plus que les résultats, c’est le cheminement que je retiens. La vie de groupe, les stages, les déplacements… Le chemin est plus important que le but... »

De nos différences une force

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Fabien Antonelli (en rouge), veillée d’armes avec les Louves

Passionné tout en restant pudique, l’ouvrage présente une autre qualité : il sait jouer collectif. Ressemblant en cela à l’équipe des Louves, dont le slogan pourrait être « Unies dans la diversité ». Il est ainsi fréquent que l’ancien coach s’efface pour laisser la parole à des ex-adjoints ou à d’anciennes joueuses. Marc-Henri Kugler, le complice de ses débuts, avec qui il a lancé la section féminine quand le club lui-même demandait encore à voir, écrit ainsi sous le vocable « Athlètes » : « De tout temps, les Louves se sont caractérisées par le métissage de deux populations bien identifiables : les filles du « cru » et les « recrues ». (...) Le portrait type des recrues : ce sont les profs d’EPS nommées systématiquement dans l’académie de Créteil, venant directement de la province et plutôt de régions au fort accent « ru’bystique ». Le portrait type de la fille du cru : le rugby découvert à l’école, au collège ou à la fac a été, dans leur culture locale, le laissez-passer vers des jeux de contacts, de combats comme ceux que les garçons avaient eux le droit de pratiquer. »
Et c’est incontestablement ce mélange détonant qui aura été le carburant principal du bolide Rouge et Noir. Au chapitre « Louves », Clémence Gueucier, ancienne joueuse et actuelle entraîneure de l’équipe de France U18 en rugby à sept, valide : « En fait, aujourd’hui comme hier, dans la meute on a toujours fait de nos différences une force. »
Des influences diverses qui, tout en étant un atout, auront aussi amené à l’époque leur lot de difficultés. « Ca nous est arrivé de devoir faire de la pédagogie auprès de certaines familles pour qu’elles laissent leurs filles vivre leur passion. Derrière, il y avait un peu l’idée que le rugby n’est pas un sport de filles, se souvient Fabien Antonelli. Mais au fur et à mesure de l’affirmation de l’équipe, ces problématiques ont disparu. Et puis, le rugby féminin a pris de l’ampleur, il s’est démocratisé, a été plus ancré dans les mœurs, même s’il arrive qu’il y ait encore quelques réticences. »
Pas de langue de bois donc, et pour ne rien gâcher, l’ouvrage a aussi le sourire – carnassier – des Louves. Hors de question ainsi pour Fab’Antonelli de ne pas évoquer les chants de victoire – ou de consolation – qui ont fait la renommée des « filles de Bobi » : le Haka des Louves ou encore le fameux « Cuir Moustache » aux origines équivoques. Et puis, fidèle à l’esprit vanne qui règne dans l’équipe, l’auteur s’autorise aussi quelques facéties dans l’écriture. Voici ce que le lecteur découvre ainsi fébrilement à l’entrée « Troisième mi-temps »- la première que vous lirez évidemment tous : « Scénarios imaginaires et fantasmes inassouvis seront ton lot, lecteur, car je ne dirai rien : ces moments n’appartiennent qu’au Louves. » Zut, remboursez…

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Et aujourd’hui ? Quel regard porte l’entraîneur « historique », encore dans le métier puisqu’il dirige désormais à 40 ans les juniors de l’équipe de Pessac, sur l’équipe actuelle des Louves ? Là encore un discours constructif, mais pas démago : « C’est vraiment une nouvelle génération, issue de l’école de rugby. Les cadettes d’aujourd’hui ont d’autres habitudes de travail, elles arrivent au haut niveau en ayant déjà amassé une culture rugby. Et Bobigny parvient à attirer des recrues d’Ile-de-France parce qu’elles sont un ton au-dessus du Stade français ou de Chilly. Ce qui leur manque pour enfin devenir championnes de France ? Peut-être davantage d’expérience, c’est encore un groupe très jeune. Mais je ne m’en fais pas pour elles, le talent et le travail sont là. » « Ballon ovale, on va faire mal », comme le chantent les Louves dans leur célèbre Haka...

 Dictionnaire passionné des Louves de Bobigny, de Fabien Antonelli, 18 euros 90, Nombre sept éditions
https://librairie.nombre7.fr/recit-essai/1962-dictionnaire-passionne-des-louves-de-bobigny-9782381532752.html

Christophe Lehousse
Photo de tête : Les Louves de Bobigny, championnes de France à 7 en 2015

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