In Seine-Saint-Denis Clichy-sous-Bois Théâtre

Les Clameuses, la critique joviale

Ce groupe de femmes de Clichy-sous-Bois s’est réuni à l’initiative de la compagnie L’Ile de la Tortue pour aller voir et critiquer, une année durant, des pièces de théâtre jouées en Seine-Saint-Denis. Lever de rideau sur ce projet jovial et énergique, lauréat de la marque de territoire IN Seine-Saint-Denis.

« J’ai trouvé la pièce excellente. C’est toujours bon de montrer que le combat des femmes pour leurs droits n’est pas terminé. », juge Meryem. « Ce qui est sûr, c’est que ça change de ce qu’on voit d’habitude. », estime de son côté Touria.
Non, vous n’écoutez pas le Masque et la plume, mais les Clameuses de Clichy-sous-Bois ! Aidé par la compagnie de théâtre L’Ile de la Tortue, ce groupe d’une trentaine de femmes s’est fixé pour but d’aller voir neuf pièces proposées cette année dans l’offre culturelle en Seine-Saint-Denis et d’en faire la critique sur des podcasts enregistrés. « Attention, on est en passe de devenir des stars », lâche Touria, la boute-en-train du groupe.
Et pour leur première pièce de la saison, les Clameuses n’ont pas fait dans la facilité. Voilà nos critiques en herbe réunies ce vendredi 22 novembre à la MC93 pour « Après coups. Projet Un-Femme », de Séverine Chavrier. Une pièce dure, exigeante, racontant les trajectoires de cinq femmes artistes, issues de l’immigration et ayant toutes d’une manière ou d’une autre affronté la dictature ou l’exploitation. Sur scène, Victoria l’Argentine, Natascha la Russe, Voleak la Cambodgienne, Salma la Palestinienne et Cathrine la Danoise se livrent, corps et âme. Alternant dénonciation des régimes autoritaires, du harcèlement de rue ou critique de la société de consommation, au risque de liens logiques parfois un peu hasardeux.

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A l’issue de la représentation, encore sous le choc des trois heures de spectacle qu’elles ont traversées, les Clameuses hésitent à prendre la parole. Puis les langues se délient doucement.
« J’ai beaucoup aimé. C’est sombre, triste, mais ce rassemblement de fragments de la vie de cinq femmes est pertinent. », lâche Houda. Sidika, à l’inverse, n’est pas convaincue : « Je trouve que la pièce a des qualités, comme l’interprétation des jeunes femmes, mais globalement, elle rend le sujet inutilement compliqué. C’est dommage, car la lutte des femmes pour leurs droits est un sujet important, qui devrait être accessible à tous. »
« C’est une pièce très trash, qui peut dérouter. Au début, j’ai eu beaucoup de mal mais après, j’ai accroché, quand je me suis efforcée de me concentrer sur mon ressenti. Le statut de la femme, à la fois victime et battante, est bien abordé », souligne à son tour Annie.

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Jeunes ou plus âgées, travailleuse sociale, comédienne, femme au foyer ou à la retraite, elles découvrent qu’elles ont toutes un avis. Et là où elles n’auraient pas forcément osé le donner, elles se lancent désormais. Faisant tout naturellement un travail de critique.
« Pour ces femmes, les Clameuses est une possibilité d’avoir une parole libérée, de débat. C’est aussi un moment de sortie, sans enfants, un moment qui leur appartient », résume Sarah Mathon, metteuse en scène. La trentenaire, qui mène avec sa compagnie de l’Ile de la Tortue une résidence dans le quartier du Bois du Temple à Clichy-sous-Bois, repense encore avec plaisir à la manière dont tout a commencé : « Le projet vient en fait autant d’elles que de nous. Tout est parti d’un spectacle de magie qu’on les avait emmenées voir à Paris. Cette représentation a déclenché des réactions très opposées dans le groupe : certaines avaient adoré, d’autres détesté. C’est là qu’une partie d’entre elles nous a dit : on aimerait continuer ce genre de débats, mais à partir de spectacles qu’on aurait choisis. Les Clameuses étaient nées. »

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Preuve de leur totale liberté : ce sont les Clichoises qui ont choisi les neufs spectacles à chroniquer. Et ce n’est évidemment pas un hasard si dans cette liste, beaucoup des pièces traitent de la cause des femmes : des Bonnes de Genet à Du Sale ! de Marion Siéfert, qui explore les liens entre la création d’une rappeuse et d’une danseuse, la programmation de ces critiques au verbe haut est fort heureusement « girl power » !
« Bravo les filles ! », crie ainsi Touria au moment du salut au public. Energiques et de bonne humeur, les Clameuses sont aussi capables d’une concentration extrême quand il s’agit d’enregistrer leurs podcasts à Clichy-sous-Bois, chez les unes et les autres ou dans les locaux de l’ASTI (Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés).
« J’aime bien ce moment où on échange toutes ensemble, où chacune affine ses arguments à l’écoute de l’autre », explique Meryem. Ambitieuses, elles ont même pour projet de sélectionner un de ces spectacles pour le programmer dans un festival conçu par leurs soins, au mois de mai prochain.
« Les Clameuses, c’est très positif pour nous toutes, conclut Zouzou, coordinatrice famille de son état et accompagnatrice du projet. Grâce à cette initiative, on a enfin l’impression que la culture, ce n’est pas que pour les autres » Branchez-vous vite sur radio Clameuses, et voyez les impressions qu’elles ont glanées.

Pour écouter les podcasts des Clameuses : https://www.facebook.com/pg/liledelatortue93/posts

Christophe Lehousse
Photos : ©Sylvain Hitau

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