Déconfinement

Le monde de la culture entre espoirs et inquiétudes

Avec la levée du confinement, attendue le 15 décembre, les salles de spectacles, de cinéma et de concerts de Seine-Saint-Denis devraient enfin pouvoir rouvrir après presque sept semaines de fermeture. Un soulagement pour le monde de la culture, mais relatif. Pour nombre d’acteur·rice·s de ce milieu, déjà très fragilisé·e·s, l’année 2021 s’annonce en effet encore très difficile.

Attention, cet article a été publié avant les annonces du 10 décembre, repoussant l’ouverture des théâtres, cinémas et musée au 7 janvier 2021

près les librairies, les disquaires et les bibliothèques le 28 novembre, cela devrait être au tour des cinémas, salles de concerts et de spectacles de rouvrir leurs portes le 15 décembre, dans des conditions cependant très strictes : jauges réduites, distanciation sociale, port du masque, limitation des groupes à six personnes et fermeture avant 21h. Seule avancée : les spectateurs bénéficieront d’une dérogation pour rentrer chez eux·elles après l’heure du couvre-feu, sur présentation de leur billet. Cette reprise est donc loin de signifier un retour à la normal pour le monde de la culture alors qu’il est déjà un des secteurs les plus éprouvés par la crise sanitaire et sociale.

MISE A JOUR : Le gouvernement a annoncé le 10 décembre que les cinémas, salles de spectacles et de concerts n’ouvriront finalement pas leurs portes le 15 décembre mais resteront fermés au moins trois semaines supplémentaires. Un nouveau coup dur pour le monde de la culture, économique autant que psychologique.

Le Cinéma dans l’incertitude sur son avenir

Au cinéma l’Écran de Saint-Denis, l’équipe est dans les starting-blocks. Trois semaines avant le 15 décembre, la programmation était déjà prête. À l’affiche par exemple : « Adieu les cons », le dernier film aussi drôle que noir d’Albert Dupontel, l’émouvant « ADN » de Maïwenn sur ses origines ou encore la plongée dans les arcanes des démocrates américains du documentariste Frederick Wiseman.

Il faut dire que le second confinement pèse beaucoup. Après une reprise très progressive, le cinéma avait enfin retrouvé un bon niveau de fréquentation en octobre. « C’est vraiment rageant et on a pris un coup sur la nuque, confie Boris Spire, son directeur, d’autant qu’Emmanuel Macron n’a pas eu un mot sur la culture lors de l’annonce... »

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Depuis, chaque semaine de confinement supplémentaire fait perdre 5 000 euros à l’association qui gère le cinéma. « Avec une fermeture de trois mois au printemps et plus de six semaines là, je vous laisse faire le calcul, soupire le directeur. Heureusement, nous avons les aides publiques, mais l’impact pour les cinémas est monumental, d’autant que l’hiver est la période la plus haute en termes de fréquentation. » Le couvre-feu, débuté dès le 24 octobre et qui va se poursuivre au moins jusqu’au 20 janvier, interdit qui plus est la séance de 20 h. Or, elle représente à elle seule 40 % des entrées.

Boris Spire se satisfait cependant que son cinéma – un des 23 d’arts et d’essais de Seine-Saint-Denis et un des six à être indépendants, même s’il est subventionné– soit moins impacté que les multiplex. Selon lui, la fréquentation de ces derniers a en effet chuté de 70 % au cours de la période inter-confinement, contre « seulement » 50 % pour L’Écran. Les raisons : un public « plus assidu » et une programmation plus variée, moins dépendante des blockbusters. Certaines sorties de films ont en effet été repoussées, le risque étant jugé trop grand si les salles ne rouvraient finalement pas ou à cause des demi-jauges. « Les Tuche 4 », qui se déroule pourtant durant les fêtes de fin d’année, ne sortira par exemple en salle que le 3 février, au lieu du 16 décembre.

Le manque de films tient aussi à l’impact du premier confinement sur l’ensemble de la filière cinématographique. « Cela a mis un stop à bon nombre de productions », explique Caroline Safir de Commune image (Saint-Ouen), avec un impact économique « conséquent  », notamment pour les petites entreprises, les acteur·rice·s et les scénaristes. Au sein de sa structure, qui regroupe une centaine d’entreprises et créateur·rice·s de cinéma et de réalité virtuelle, 10 à 20 % des résident·e·s ont mis définitivement fin à leurs activités au printemps.

Depuis, la reprise a eu lieu et la directrice reste très optimiste pour la suite. Selon elle, « la montée en puissance des plateformes a fait apparaître un besoin de contenus, et de contenus de qualité. Cela ouvre des opportunités, notamment pour la jeunesse et pour des gens qui ne viennent pas du sérail. » Sa structure est d’ailleurs en train de réfléchir à une politique d’action culturelle en Seine-Saint-Denis, afin de susciter des vocations.

Cette évolution préoccupe en revanche Boris Spire. « La France apparaissait comme une exception culturelle mais quand on voit le choix de Disney de sortir ses films uniquement sur sa plateforme et le succès rencontré... on se demande ce que cela va bousculer comme habitude à long terme dans le rapport à la salle de cinéma » s’inquiète-il.

À vos agendas !
- 15 décembre : ré-ouverture du cinéma L’Écran de Saint-Denis avec quatre séances à 16 h (Michel-Ange), 16h15 (Drunk), 19h (Adieu les cons) et 19h15 (ADN). L’Écran : 14 passage de l’Aqueduc – Saint-Denis, 01 49 33 66 88. Programmation et pré-réservation sur https://www.lecranstdenis.org/films/
- 16 décembre : retour des Mercredis de Commune Image, au cours desquels un réalisateur vient présenter son film. Programmation à venir sur https://www.facebook.com/communeimagesaintouen/events Commune Image : 8 rue Godillot – Saint-Ouen, 01 78 35 06 10, http://communeimage.com/

Concerts : une reprise au ralenti

La réouverture, le directeur de la Marbrerie (Montreuil) l’attend lui aussi avec impatience mais elle ne pourra se faire qu’en janvier. « Relancer la machine aussi vite, c’est injouable, explique Jérémy Verrier. Le live est un métier qui a besoin de temps : pour programmer, négocier les dates et contrats, communiquer. »

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L’enjeu est cependant de taille pour cette salle indépendante, ouverte il y a seulement quatre ans. Depuis le mois de mars, seuls quelques concerts ont pu avoir lieu en septembre et octobre. L’entreprise a tenu le coup grâce aux aides et au dispositif de chômage partiel, mais elle a aussi dû se ré-endetter et ne dispose à ce jour, pour sa trésorerie, que d’une visibilité à trois mois.

Pour l’Odéon, de Tremblay-en-France, la situation est un peu différente. Parce qu’elle est gérée par une association et s’inscrit dans le cadre de la politique de la ville, la salle, comme beaucoup de structures culturelles en Seine-Saint-Denis, est en grande partie subventionnée et son budget a été maintenu. « Nous allons passer 2020, indique Guillaume Garcia, son directeur, mais, pour 2021, je prévois des pertes...  »

Pour tous, les prochains mois suscitent en effet de nombreuses inquiétudes, avec notamment une inconnue : le public sera-t-il au rendez-vous ? « Une entreprise de spectacles, c’est un savoir-faire et un capital de clients que l’on construit dans le temps », précise Jérémy Verrier. « Quand on rompt le lien, c’est difficile de reconstruire derrière, confirme Guillaume Garcia. Il y a tout un public que nous aurons du mal à récupérer, d’autant qu’il va y avoir des craintes par rapport au virus, ou des réticences à assister à un concert masqué.  »

Le protocole sanitaire bouleverse en effet l’expérience même du concert, puisqu’ils ne seront autorisés qu’assis et avec une jauge très réduite. Tous ne se prêtent pas à ces conditions. Comme le souligne Jérémy Verrier, « la distanciation sociale est antinomique  » avec un métier qui consiste avant tout à « rassembler les gens  » et à créer de la convivialité. Le défaut de billetterie - le nombre de places passe de 500 à 110 à l’Odéon, de 600 à 150 à La Marbrerie - comme l’interdiction d’ouvrir bar et espace de restauration vont par ailleurs continuer à peser fortement sur les finances.

Pour autant, aucun ne baisse les bras. Chacun se démène au contraire pour programmer de nouveaux événements, compatibles avec la situation sanitaire. Guillaume Garcia le sait : « il va falloir faire très fort  », car « il va y avoir une suroffre, mais pas un sur-public, au contraire.  » Optimiste et combatif lui aussi, Jérémy Verrier ne table cependant sur un retour à la normale qu’en septembre, « au plus tôt  », et estime qu’il faudra quatre à cinq ans pour « se remettre complètement ».

JPEG - 30 kioÀ vos agendas !
 14 janvier à 19h30 :
le Franco-Libanais Bachar Mar-Khalifé donnera un concert piano solo à l’occasion de la sortie de son 5e album, à la croisée de la musique classique et électronique, des codes du jazz et de la tradition orientale. La Marbrerie : 21 rue Alexis Lepère – Montreuil, 01 43 62 71 19, https://lamarbrerie.fr/
 16 janvier : concert de la divine chanteuse franco-vénézuélienne La Chica à L’Odéon : 1 place du Bicentenaire de la Révolution Française – Tremblay-en-France, 01 49 63 44 18, www.lodeonscenejrc.com/

Le spectacle vivant navigue à vue

Villeneuve-les-Maguelone en mars, Cergy en mai, le Festival Musiques du monde au printemps, Bobigny il ne sait pas quand : Mehdi Slimani a pour sa part toujours peu de visibilité sur l’agenda de sa compagnie No MaD. « Tous les calendriers sont chamboulés et tout le monde se réadapte, explique le chorégraphe du Blanc-Mesnil. Nous avons quelques dates de calées mais, dans ce monde, on n’est plus sûr de rien.  »

En mars pourtant, tout se présentait au mieux. Depuis un mois déjà, les danseur·euse·s répétaient leur dernière création « C’Franc », avec plusieurs dates prévues. « Nous étions en train de transpirer, de donner le meilleur de nous-mêmes. Nous arrivions au bout », se souvient Mehdi Slimani. Et puis tout s’est arrêté. « Toutes ces répétitions pour rien.... artistiquement et financièrement, c’est compliqué, avoue le chorégraphe. Il n’y a plus de rentrées d’argent. Il faut expliquer ça aux danseurs... avec des organisateurs délicats, d’autres beaucoup moins...  »

À Clichy-sous-Bois, La Fontaine aux Images et son chapiteau, qui accueille des dizaines de spectacles par an, se trouve confrontée à ce dilemme. « Nous avons dû tout annuler mais, précise Lisa Valverde, à la tête de la compagnie de théâtre, nous avons essayé d’honorer tous les cachets. » Une charge financière qu’elle n’aura cependant plus la capacité d’assumer si un nouveau confinement devait se produire.
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« Nous essayons d’être solidaires et de reporter un maximum de projets, indique la directrice, sauf que nous n’avons pas le budget ni les moyens humains de le faire pour tous... Même si nous programmions des spectacles tous les jours, le public ne serait pas au rendez-vous ! Un spectacle, c’est un mois de communication. On ne sait pas comment faire... »

Pour préserver sa propre troupe, la Fontaine aux Images a renoncé dès le printemps à une création ambitieuse et s’est consacrée à un projet participatif, qui lui permet de maintenir le lien avec son public. « Toutes les compagnies naviguent à vue. Une création, c’est aussi convaincre des gens, trouver des programmateurs, des salles, insiste-t-elle. L’embouteillage va en éliminer certaines. »

Pour « sauver les meubles  » et « que les comédiens puissent continuer à avoir des revenus  », elle a aussi renforcé ses actions de médiation culturelle, animant par exemple cette année deux « Culture et Art au collège » (un dispositif du Département à destination des collégiens). Grâce à cela, au « plan de rebond du Département et aux aides aux intermittents », la compagnie n’est « pas encore dans la panade ».

La compagnie No Mad n’a elle eu d’autre choix que de faire appel aux dispositifs de chômage partiel. « Cela nous a archi soulagé, tient à préciser Mehdi Slimani. Quand on compare avec les danseurs d’autres pays, nous sommes plutôt bien lotis, malgré tout ce qui dysfonctionne. » Cela ne compense pas intégralement les cachets mais « la précarité fait partie de notre terrain de jeu dans le hip hop, poursuit le chorégraphe. On l’accepte et on apprend à se satisfaire de ce qu’on a, tout en combattant pour de meilleures conditions de travail. »

À vos agendas !
 La cie No MaD se produira dans le cadre du festival Villes des musiques du monde dont la deuxième partie, mise à mal par le confinement, a en grande partie était reportée au printemps, à des dates non encore fixées. Vous pouvez suivre son actualité sur son site ou sa page Facebook.
 Le Chapiteau de la Fontaine aux Images devrait pour sa part rouvrir en janvier, avec notamment les Goûters à la menthe du mercredi et le traditionnel BalO’Chap de début d’année, le 29 janvier : Stade Roger Caltot, avenue de Sévigné – Clichy-sous-Bois, 01 43 51 27 55, http://www.fontaineauximages.fr/

Pour les intermittents, le pire est-il à venir ?

Pour Sébastien Richaud, violoniste de Pantin, une année normale c’est une soixantaine de concerts avec l’orchestre Les Siècles et jusqu’à une trentaine encore avec son quatuor à cordes Leonis. En 2020, ce sera deux fois moins. Pour le moment, le statut d’intermittent·e lui permet de garder la tête hors de l’eau. Grâce à l’ « année blanche » décrétée par le gouvernement, ses droits au chômage sont en effet prolongés jusqu’au 31 août 2021 et les artistes et technicien·ne·s ont jusqu’à cette date pour effectuer les 507 heures nécessaires à leur maintien dans ce statut. «  Pour ceux qui avaient le moins de mal, explique Sébastien Richaud, cela reste donc vivable. Pour ceux qui étaient déjà juste en revanche, c’est vraiment la
galère...
 »

Encore faut-il aussi pouvoir jouer en 2021. Or, la reprise s’annonce très lente. « Dans mon domaine, précise-t-il, les concerts sont souvent prévus un an en avance. Les gens ont besoin de voir le spectacle avant, les salles ont besoin de visibilité pour engager des budgets. Là, les gens sont frileux. Nous essayons de trouver des lieux mais c’est très compliqué. »

« Ce n’est que le début, confirme Cyril Glaser, technicien son et lumière de Clichy-sous-Bois. Le pic sera en septembre 2021, avec des techniciens qui vont se retrouver sans rien. Il va y avoir du dégât... » Pour lui, « ça devrait aller  ». Il a en effet « basculé  » ses compétences vers de l’assistance technique pour des institutions, notamment à la visioconférence. « C’est moins funky et intéressant mais j’ai de la chance, dit-il. Si je continue comme ça, j’arriverai à faire mon quota d’heures ».

Habituellement, entre la culture et l’événementiel, il en fait à peu près 900. Cette année, il en était seulement à 250 fin novembre. Conséquences : son salaire a été divisé par deux. Il est par ailleurs désormais dépendant d’une seule entreprise et le montant de chaque cachet est moins élevé. Ce qui lui vaudra donc en prime une réévaluation à la baisse de ses indemnités à partir de septembre. Mais il ne se plaint pas : « J’ai des collègues qui ne travaillent plus du tout. C’est un peu le néant et, pour l’instant, rien ne repart. »

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