La petite fabrique d’histoires des éditions Evalou
Il y a un an, David Ribet, un mordu de livres originaire de Saint-Denis, lançait "Evalou", une maison d’édition jeunesse. Un projet bénévole que lui et sa petite famille portent à bout de bras, par pur plaisir des histoires et de la transmission. Portrait.
« Tu as vu ? Le mec devant nous a une veste Sea Shepherd. Moi aussi je les soutiens à fond ! » Au moment de pousser la porte du café où a lieu la rencontre, David Ribet croise un autre admirateur de cette ONG luttant pour la biodiversité marine. Il ne lui en faut pas plus pour se lancer dans un vibrant éloge de l’association du militant écologiste Paul Watson. David Ribet est comme ça : il a l’enthousiasme naturel.
Il en va de même pour sa décision, il y a un an, de fonder avec sa femme Céline et une amie une petite maison d’édition jeunesse. « On s’est dit : soit on fait un voyage au Kenya, soit on fait la maison d’éditions. Et banco : on l’a lancée avec nos économies, soit 10 000 euros. »
Un an plus tard, Evalou- la contraction des prénoms de leurs deux filles, Lou, 10 ans et Eva, 7 ans et demi – se porte bien merci. « On perd de l’argent, mais le but premier n’est pas d’en gagner. Si quelques gamins se souviennent un jour d’un bouquin qu’on aura sorti, ce sera pour moi la plus belle des récompenses », dit cette sorte de super-héros de la lecture, à la tête d’une petite entreprise de détection de métaux le jour et éditeur la nuit.
Evalou, c’est environ huit titres par an, des thèmes variés – de l’acceptation de soi au respect de la nature - et beaucoup de bonne humeur. « On peut aborder des sujets assez profonds ou sérieux comme la religion ou les conflits à l’école, mais toujours avec un zeste d’humour pour dédramatiser. »
Et David Ribet d’étaler avec gourmandise les couvertures chamarrées de ses derniers ouvrages : « Un dragon pour Noël » va parler de l’amitié et des animaux domestiques quand « Le chasseur et le lézard », commandé à Ousmane Diarra, le directeur de la médiathèque de Bamako - « un bonhomme comme ça ! » - aborde la protection de l’environnement.
Révélation
Au départ de cette aventure de papier, il y a la conviction que les livres peuvent changer le monde, ou au moins le rendre meilleur. Une conviction qui émane de l’expérience-même de David Ribet. « A la maison, on ne manquait de rien, mais on n’avait pas de livres. Le seul qu’il y avait, c’était le Télé 7 jours. Un jour, quand j’ai vu que je pouvais emprunter pour presque rien des livres à la bibliothèque municipale de Saint-Denis, ç’a été une révélation », raconte ce Dionysien pur jus, qui a grandi cité Floréal avec ses deux frères et une maman ouvrière chez Fenwick, à Saint-Ouen. « J’empruntais des livres sur Cousteau, pour moi c’était magique. La bibliothèque centrale à côté de la Basilique, c’était mon refuge », continue-t-il avec les yeux qui brillent.
David Ribet vient sans le savoir de croiser une passion qui durera toute une vie. Quelques années plus tard, le voici passé de l’autre côté du miroir, engagé en service civique dans cette même bibliothèque. Il y croise notamment Mohamed Bouali, aujourd’hui directeur de la médiathèque de Pierrefitte, qui le marquera par sa capacité de conteur. « On faisait le tour des centres de loisirs et des PMI en bibliobus. Et quand Mohamed racontait des histoires, les gamins ouvraient de grands yeux. Pour certains, ce plaisir d’entendre un récit, c’était un monde qui s’ouvrait à eux. C’est ça que j’ai eu envie de retrouver en créant Evalou », se souvient David Ribet, passé ensuite dans le milieu de l’édition chez Hachette puis Glénat.
Tête bien remplie
Une révélation que cet ancien animateur de centre aéré et accompagnateur de l’ASE (Aide sociale à l’Enfance) sait reproductible à d’autres. « Je salue les efforts de Saint-Denis et du Département pour un accès de tous à la culture. Pour moi la culture, c’est ce qui fait la force d’une nation, et ça doit donc être gratuit pour ceux qui n’en ont pas les moyens. Les enfants qui ont la tête bien remplie, ce sont des enfants qui se sentiront bien, qui iront loin... »
S’il a désormais quitté sa ville natale pour les grands espaces et les champs de betteraves de Tournan-en-Brie, il porte toujours la Seine-Saint-Denis dans son cœur. « C’est une grande fierté pour moi de venir de Saint-Denis », affirme celui qui ne veut ni verser dans le sensationnalisme ni dans l’angélisme à propos de son département. « Bien sûr, il peut y avoir des problèmes, des trafics divers, mais à côté de ça, il y a aussi des gars avec un talent de fou, avec des cœurs énormes, et personne ne veut le voir », s’agace-t-il à propos de certains médias prompts à relayer toujours les mêmes clichés.
Alors, à quand un livre dénonçant avec humour les stéréotypes sur la banlieue ? « Ça viendra », dit avec un sourire celui qui reçoit environ 10 manuscrits par semaine. Pour l’instant, le comité de lecture Evalou, également composé de ses deux filles – « elles n’hésitent pas à donner leur avis » – vient de donner vie à « T’es cap ? », un livre sur les défis absurdes entre copains, et à un récit sur les jouets genrés. Dans sa tête, David Ribet les entend déjà lus par la voix de Mohamed Bouali.
Photo : ©Cécilie Clervil
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