Aubervilliers

La banlieue aura bientôt son musée

L’association pour un musée du logement populaire travaille depuis 2014 à la fondation d’un immeuble-musée en banlieue, racontant la vie de ceux qui l’auraient occupé. Grâce au financement d’un "programme d’investissement d’avenir", une exposition temporaire ouvrira ses portes dans une cité d’Aubervilliers dès septembre 2021.

Comment faire entrer les classes populaires dans l’Histoire ? Alors que certains proposent de déboulonner les statues de ceux qui les ont martyrisées, un groupe d’historiens s’avance sur un autre front. Eux aussi, s’inspirent des "States" : "En allant m’installer à New-York, j’ai découvert le "Tenement Museum", un immeuble du Lower East Side qui raconte la vie des migrants qui y sont passés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Grâce à la reconstitution de l’ameublement d’antan, d’archives, on se retrouve immergés dans leur vie", relate Muriel Cohen. Auteure d’une thèse sur le logement des Algériens des bidonvilles de Nanterre, la jeune femme accueille ses camarades de promo outre-atlantique, et peu à peu, naît le projet de créer un "Tenement Museum" ("immeuble" en anglais) dans le 93.

"Qui habitait là ?"

JPEG - 54.7 kio

De retour en France, alors qu’elle enseigne au lycée Utrillo, à Stains, l’idée de Muriel et de ses camarades, enseignants à l’université ou dans les collèges et lycée de Seine-Saint-Denis, prend forme. Ils créent l’AMULOP, l’association pour un musée du logement populaire, et proposent un dossier de création de musée au ministère de la Culture. "On nous a répondu qu’on avait pas de "collections". Mais nos collections, c’est la vie des gens, des entretiens, des archives", rétorque Muriel Cohen. Le groupe opte alors pour une autre stratégie en organisant des "balades enquêtes" intitulées "Qui habitait là ?" autour de quelques appartements dionysiens généreusement mis à disposition par des collègues, rue du Jambon et dans la ZAC de la Basilique de Saint-Denis. Elle emportent l’enthousiasme de ceux qui y participent.

Au printemps 2019, le projet de recherche déposé par les membres de l’AMULOP est sélectionné par l’Institut Convergence Migration, un "investissement d’avenir", qui finance, pour le mener à bien, un poste de chercheur. Ainsi, le versant "recherche" du projet sera porté par des historiens du Centre d’Histoire Sociale, et le versant musée, par l’AMULOP. "L’idée est de comprendre la manière dont les migrants - de province ou du bout du monde- sont arrivés là et ont fait leur trou. Nous allons bien sûr nous servir d’archives institutionnelles, mais l’histoire des habitants, c’est aussi celle de leurs relations. L’idée est de proposer une histoire à la hauteur des gens. Nous allons collecter toutes sortes de sources- registres de recensement, registres de police, archives militaires, par exemple pour ceux qui ont été mobilisés lors de la première guerre mondiale, archives d’entreprises... mais aussi les archives familiales de ceux qui ont occupé quatre immeubles : deux dans l’îlot du Cygne, à Saint-Denis, et deux dans la cité Emile-Dubois, à Aubervilliers. Et nous allons compléter avec des entretiens avec les habitants actuels", poursuit Muriel Cohen, qui sera détachée de l’Education nationale pour occuper le post-doc financé.

A mille lieues des "territoires perdus de la République"

Autres soutiens du projet : d’un côté le label "Villes et pays d’art et d’histoire" de Plaine Commune, de l’autre l’OPH d’Aubervilliers, qui envisage de mettre à disposition deux ou trois logements d’une cité datant de 1957, vouée à la démolition dans le cadre de la rénovation urbaine pour accueillir, dans un premier temps, une exposition temporaire à partir de septembre 2021. "Nous avons encore besoin de financements pour reconstituer le décor dans lequel évoluaient les familles à différentes époques, dans les années 50, 60, 70, et surtout pour payer des guides conférenciers capables de répondre aux questions du public", détaille encore Muriel Cohen. Le premier défi du musée sera de faire comprendre aux scolaires des environs qu’eux-mêmes, et leurs familles sont parties prenantes de l’Histoire avec un grand H. Le second sera d’attirer également un public de touristes, pour raconter une histoire des banlieues à milles lieues de celle des "no go zones" répandue par Fox News, ou des "territoires perdus de la République", par des plumes réactionnaires. "Les habitants de la banlieue ont été une main d’œuvre indispensable à la construction de la région parisienne", martèle Muriel Cohen. D’où l’importance d’ériger un lieu pour les rendre visibles et leur rendre un hommage à la hauteur de leur rôle. Encore mieux qu’une statue.

Dans l'actualité