Fabrique des Jeux JOP 2024

La Fabrique des Jeux se penche sur l’urbanisme

Mardi 17 septembre, plusieurs acteurs engagés dans la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ont évoqué au siège du CDOS 93 les liens entre sport et urbanisme. Leur conclusion : les futurs Jeux sont l’occasion d’influencer durablement la ville.

Pour cette nouvelle édition de la Fabrique des Jeux – une structure lancée par le Département pour fédérer les acteurs de la société autour des Jeux de 2024 - rendez-vous avait été donné au siège du Comité départemental olympique et sportif 93, à Pantin. Là, à deux pas des berges du Canal de l’Ourcq où le trafic des vélos a nettement augmenté au cours de ces dernières années, il s’agissait justement de réfléchir aux liens entre urbanisme et sport et à comment le premier se doit de favoriser la pratique du second.
Le premier constat, c’est Pierre-Olaf Schut, professeur à l’Observatoire des méga-événements à l’université de Paris-Est Marne la Vallée, qui le posait : la Seine-Saint-Denis est peut-être un pourvoyeur régulier de médailles dans le sport de haut niveau, mais « elle souffre d’un retard important en matière d’équipements sportifs » (1,59 équipements pour 1000 habitants, soit la 2e moyenne la plus basse en Ile-de-France). Les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dont une bonne partie se déroulera sur le territoire du 93, seront-ils à même de combler ce déficit structurel ? « Ce ne sera le cas que partiellement, car le retard pris est important et le boom démographique de cette partie de l’Ile-de-France l’un des plus forts dans les prochaines années », avançait ce spécialiste des grands événements sportifs (voir encadré).
Pas de quoi baisser les bras pour autant. Avec 8 piscines qui resteront sur le territoire de Seine-Saint Denis après les Jeux et de nombreux équipements de sport rénovés ou carrément neufs, l’héritage du grand rendez-vous de 2024 est tout de même bien assuré. Et pensé de manière à inclure le plus grand nombre... « Si l’on prend l’exemple de la piscine olympique qui restera à Saint-Denis après les Jeux, elle a aussi été pensée pour accueillir des scolaires et des habitants, en dehors du haut niveau. C’est la raison pour laquelle la jauge initiale des Jeux (gradins de 6000 places) sera ramenée à 2500, pour éviter tout effet de gigantisme », expliquait ainsi Malo de Lesquen, de la Métropole du Grand Paris, maître d’ouvrage sur cette opération.

Recoudre la ville

Inclusion, ce sera évidemment aussi le maître-mot du Prisme. Annoncé pour 2023, ce nouvel équipement porté par le Département favorisera la pratique handisport ou partagée. Installé au stade de la Motte à Bobigny, derrière l’hôpital Avicenne, ce « Pôle de référence inclusif sportif métropolitain » se veut aussi un futur lieu de recherche sur les applications du sport dans la santé ou en biomécanique. « Cet équipement, unique en Europe par son ampleur et sa conception, doit améliorer l’accès des personnes handicapées au sport et dynamiser tout le territoire sur les enjeux d’accessibilité universelle. », soulignait Joris Delivré-Melhorn, chef du projet paralympique au Département et du Prisme.
Offrir une large place au sport dans la conception de la ville, cette priorité animait les différents acteurs de la soirée, au point de déborder des équipements sportifs vers les espaces publics. « Sur les ouvrages dont nous avons la maîtrise d’ouvrage directe – le village des athlètes et des médias - nous veillons vraiment à façonner une ville active et résiliente, qui favorise la pratique du sport, assurait ainsi Pierre-Antoine Leyrat, représentant de la Solideo – la Société de livraison des ouvrages olympiques. Et de poursuivre : « Un concept clé est aussi l’accessibilité universelle. Cela inclut bien sûr les situations de handicap, mais aussi les questions de genre, puisqu’on sait que des femmes se sentent parfois exclues de certains espaces publics. En tout cas, il faut toujours placer la question des usages d’un lieu avant les questions techniques ou de budget. »
Autant de belles intentions sur le papier. Mais dans les faits ? Un doigt se levait dans l’assistance, pour une question pertinente : « Comment faites-vous pour associer les populations locales aux décisions d’aménagement ? » « L’écoute des habitants et des associations de quartier est effectivement fondamentale, convenait Céline Daviet, directrice de la Mission JO à Plaine commune. Et ce que nous disent souvent les habitants dans les consultations que nous menons, c’est qu’ils veulent que ces Jeux améliorent leur qualité de vie, celle des personnes déjà présentes sur les lieux. C’est effectivement notre objectif : ces Jeux peuvent être une occasion pour recoudre la ville et essayer de réduire des fractures urbaines » L’urbanisme, assurément, est un sport d’équipe.

Christophe Lehousse

Pierre-Olaf Schut : « Ces Jeux devraient être un accélérateur de développement »

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Professeur à l’université de Paris-Est Marne la Vallée, Pierre-Olaf Schut fait partie de l’Observatoire sur les méga-événements. Ce rassemblement pluridisciplinaire de chercheurs vise à évaluer les impacts de grands événements, notamment de Jeux olympiques, sur les populations, en termes d’emplois, de logements, de mobilité, mais aussi sur la culture, les représentations… Et l’urbanisme bien entendu.

Vous qui connaissez bien les exemples précédents de Jeux olympiques, y a-t-il des exemples à suivre ou ne pas suivre pour penser l’héritage des Jeux de 2024 ?

Je pense que naturellement, Paris 2024 a davantage les yeux tournés vers ce qu’a fait Londres que Pékin ou Rio, où il y a eu des abus et où les contextes politiques étaient aussi assez différents. Londres est à mon sens un très bon exemple de comment on peut faire de la régénération urbaine sur les quartiers, comment les infrastructures peuvent s’insérer harmonieusement dans un tissu urbain. Mais attention, même Londres 2012 avait des défauts : les logements pour les athlètes avaient été conçus sans cuisine et ne pouvaient donc être transformés directement en logements, y compris sociaux. Et le stade olympique n’était pas idéal dans son utilisation post-Jeux pour héberger un club de foot. Il y a donc à prendre et à laisser.

Le projet olympique de Paris 2024 se distingue par le peu d’équipements restant à construire et le caractère provisoire de certaines infrastructures, pour éviter les fameux éléphants blancs…

Oui, mais il y a un aspect qu’on souligne moins souvent, c’est qu’avec le vélodrome de Saint-Quentin et la base nautique de Vaires-Torcy, on a des équipements qui ont été pensés pour les Jeux mais qui ont été livrés bien avant Paris 2024. Derrière, il y a donc une stratégie qui dépasse la manifestation en elle-même et qui a permis de prévoir des événements autres que les Jeux, pour être à la hauteur des équipements. Pour Vaires-Torcy, le pôle France de canoë-kayak s’est par exemple réimplanté là-bas. A voir s’il en sera de même pour le centre nautique de Saint-Denis...

Mais le haut niveau n’est qu’une dimension de l’héritage. On sait par exemple que la Seine-Saint-Denis souffre d’un retard en matière d’équipements sportifs pour sa pratique loisirs. Est-ce que les Jeux peuvent être l’occasion de combler ce retard ?

Le rattraper partiellement, sans doute. Le combler, je dirais que non. Car le boom démographique annoncé est tel qu’il sera compliqué pour la Seine-Saint-Denis de repasser devant la moyenne nationale. Ce département compte actuellement 1,59 équipement pour 1000 habitants, deuxième moyenne la plus faible d’Ile-de-France… (à titre de comparaison, l’Essonne en compte 3,27). En revanche, je pense que les piscines annoncées dans l’héritage des Jeux (au nombre de 8) vont rééquilibrer un peu la situation.

Un certain nombre d’habitants de Seine-Saint-Denis redoutent la gentrification qui peut aller de pair avec les Jeux. Quels sont les outils publics qui pourraient encadrer ce phénomène ?

Le risque, c’est évidemment une flambée du coût de la vie et notamment des loyers pour les populations déjà sur place et qui pourraient être repoussées par des populations plus aisées. Mais ce n’est pas lié qu’aux Jeux : le Grand Paris Express, annoncé en même temps que les Jeux puis dans leur continuité, est aussi un facteur puissant. De ce point de vue, la construction de logements sociaux peut être un outil efficace. Aux collectivités locales de s’assurer qu’elles ont bien des planifications représentatives de tous les milieux quand elles autorisent des permis de construire.

Diriez-vous que les Jeux de 2024 tels qu’ils sont conçus actuellement peuvent être une chance pour la Seine-Saint-Denis ?

Oui, ça va faire bouger les choses, incontestablement. Ces Jeux devraient être un accélérateur de développement. Il est vrai que certains exemples passés nous montrent qu’il peut aussi y avoir des évolutions négatives. C’est aux acteurs impliqués – Comité d’organisation, Solideo et collectivités territoriales - d’anticiper au maximum pour que ces évolutions soient les plus positives possible. Mais il n’y a pas lieu de douter de leur bonne volonté »

Photos :©Daniel Ruhl

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