La Cour des miracles : Une comédie tendre, écologique et sans cliché

La Cour des miracles : Une comédie tendre, écologique et sans cliché
Cinéma

Le film avec Rachida Brakni, Gilbert Melki, Serigne M’Baye (Disiz), tourné en Seine-Saint-Denis, sort le 28 septembre. Il s’intéresse à une école primaire qui voit s’installer à deux pas une école modèle destinée aux nouveaux arrivants. Interview de ses réalisateurs Carine May et Hakim Zouhani, qui ont grandi à Aubervilliers.

C’est votre premier film de fiction. Vous diriez que c’est un film sur les profs ? ou un film sur l’école dont vous rêvez ?

Hakim Zouhani : C’est plus un film sur les profs. Le moteur c’est l’équipe d’instits. Raconter qui sont les instits aujourd’hui dans ces quartiers. On a mis du temps à l’écrire. On était focus sur un territoire qu’on connaît bien. On se rend compte en fait que la problématique du manque de profs qui s’est exacerbée dans le 93 concerne toute la France.

Votre film tourné en Seine-Saint-Denis avec des comédiens amateurs et professionnels de Seine-Saint-Denis ne véhicule pas de clichés sur ce département. Comment avez-vous fait ?

Carine May et Hakim Zouhani  : Merci pour le compliment.

Carine May  : Il y a le fait d’avoir grandi dans ces quartiers, d’y avoir notre famille, nos amis, nos proches. Notre envie de faire du cinéma était de rendre les choses un peu plus justes sur le grand écran. Et puis ce qui, peut-être, donne cette impression, c’est qu’un cliché ce sont des images qui ont déjà beaucoup tourné, auquel on s’attend comme des images d’Épinal, auquel on est habitués. Le fait de parler d’écologie dans une école, de surcroit, dans les quartiers populaires, on est, en toute humilité, sur quelque chose d’un peu nouveau, quand même… en tout cas dans la fiction. Pareil parler de « carte scolaire », de sectorisation, peut- être je me trompe mais je ne pense pas que ça ait été traité frontalement comme ça.

Hakim Zouhani  : Lorsqu’on a fait notre premier long-métrage en 2011, déjà on nous reprochait ça : « Ah vous ne parlez pas du trafic de drogues » ? On avait l’impression qu’il fallait répondre à une sorte de cahier des charges lorsqu’on voulait filmer dans ces quartiers populaires. Le cliché tant attendu, tant vu, que ce soit au cinéma qu’à la télé que tous ces quartiers se résument à un jeune voyou, à un jeune délinquant avec une histoire avec la police… Notre cinéma c’est de parler de ces quartiers sans angélisme, sans misérabilisme non plus, mais surtout rendre la dignité aux gens qui y habitent. Pour nous, c’est un moteur quand on fait nos films.

Carine May  : Aujourd’hui il y a beaucoup de films où il y a beaucoup de chômeurs et où tout est très difficile. Ou alors au contraire il y a ceux qui vivent dans des appartements haussmanniens de 200 m2, je ne pense pas que ça parle à beaucoup de gens en France. Nous on a cette envie de mettre à l’écran les Français d’aujourd’hui : les classes moyennes, les travailleurs sociaux, les fonctionnaires… mais aussi les quartiers autour de Paris. Tous les films qu’on a faits, étaient géographiquement situés, dans l’ombre de grandes villes.

C’est important pour vous d’avoir réussi cela ?

Carine May  : Je m’attends à ce qu’on me dise qu’on a véhiculé des clichés sur certains personnages. Comme l’instit qui fait des fautes d’orthographe. Je n’aime pas trop parler de légitimité mais en l’occurrence, j’ai enseigné 15 ans… il n’y a pas un élément dans le film qui ne soit pas dans le réel, et pas vraisemblable.

Votre film est avant tout une comédie. De qui vous moquez-vous ?

Hakim Zouhani : Il ne s’agit pas de se moquer mais de rire des situations. Le propos passe mieux quand c’est à travers de la comédie. Dans tous nos films, on essaie d’avoir cette tonalité. C’est notre cinéma. Et nous, on l’aime ce territoire. On filme nos amis, nos copains, et on n’a pas envie de se moquer d’eux, par contre on rigole beaucoup avec eux. Ce sont des quartiers où l’humour, d’une manière générale, est très très présent. On a grandi avec ça avant de faire du cinéma. Le côté « chambre », la « répartie », les punchline… tout ce qu’on écoute dans le rap aussi aujourd’hui. On aime aussi beaucoup le cinéma des comédies italiennes dans un milieu social très défavorisé, mais ça restait des grosses comédies. Cela nous a beaucoup influencés. Risi, Scola…

Carine May  : Si un jour on atteint ce niveau- là, on sera bien contents. C’est un regard aussi. On ne regarde pas avec surplomb. On est à hauteur. Quand on raconte des personnages de 20 ans. C’est un peu de nos 20 ans, un peu des gens de 20 ans qu’on connaît. On ne se pose pas en sociologues, on est avec les nôtres en fait. On filme nos pairs. Et le ridicule des situations amène du burlesque.

Il y a beaucoup de tendresse aussi dans La Cour des miracles, entre les professeurs, entre les enfants, avec la nature. Comment vous y êtes-vous pris pour lui insuffler toute cette douceur ?

Carine May : On adore filmer l’enfance, les enfants car on sait qu’il y aura un cadeau en plus de ce qu’on leur demande. Il y a une telle spontanéité, une telle fraicheur. Ils n’avaient jamais joué.

Hakim Zouhani  : Le fait de mélanger des professionnels avec des non-professionnels crée sur le plateau de la bienveillance de tout le monde en fait : des techniciens, des comédiens notamment lorsqu’il y a des enfants, des animaux… on fait beaucoup de prises, on essaie de diriger au mieux, d’accompagner sans mettre la pression. Et puis on a beaucoup de tendresse pour tous les personnages. Dès l’écriture, la tendresse est présente.

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Gilbert Melki et Mourad Boudaoud forment un binôme très soudé, très aventureux et très drôle. Pour moi, ils sont le film : natures, dans toute leur complexité. Ils incarnent ce qu’on peut faire, ce qu’on doit faire, et ce qu’on fait…

Hakim Zouhani : Mourad incarne ce jeune qui a grandi dans ce quartier et lui consacre toute sa vie. Melki, c’est la réussite sociale, d’une autre manière, déchue. La rencontre de ces deux extrêmes c’est ce qu’on aime voir au cinéma. J’ai grandi à Aubervilliers, à la Maladrerie, et gosse, on jouait à la pétanque avec le service des retraités. Mais aujourd’hui, les barrières générationnelles sont devenues très clivantes. Il n’y a plus d’endroits où les gens issus de milieux sociaux très différents se retrouvent.

Rachida Brakni et Faïza Guène aussi quelque part incarnent cette complexité avec plus de sérieux, de gravité je dirais, et de dureté. C’est un duo qui fonctionne bien aussi. Plus qu’un film choral je dirai que c’est un film de duos. Ceux qui s’attirent, ceux qui se complètent, ceux qui s’affrontent.

Hakim Zouhani : Faïza Guène incarne un personnage qui cristallise toutes les préoccupations des parents dans les quartiers. Il y a beaucoup de face-à-face entre elle et Rachida Brakni dans le film. La première pense à l’avenir de ses trois enfants et la seconde à l’avenir de son école.

Carine May  : D’ailleurs on a beaucoup travaillé autour des binômes. Dans notre manière de travailler, on improvise beaucoup de choses, mais on ne répète pas les scènes avec eux. On les met dans les situations. Et si on parle de binôme… pour moi, il y a surtout le binôme de Zahia et Marion. Deux instits de deux générations différentes qui s’affrontent.

Est-ce que vous croyez vraiment qu’ « il est possible de changer l’école en y pensant l’écologie » ?

Carine May : Dans l’idéal il faudrait que l’écologie soit présente dans plein d’écoles, de collèges et tout. L’écologie, la nature et les enfants, c’est vital en fait, c’est une nécessité.
Mais sans la mixité, on ne changera pas l’école. Pour nous qui avons grandi à Aubervilliers, la vraie clé c’est la mixité sociale : dans les logements, dans les écoles, que les classes se mélangent un peu, dans tous les quartiers en France où ça se gentrifie aussi. La sectorisation scolaire est liée au territoire : ce sont les programmes immobiliers et comment les villes se transforment avec le Grand Paris.

Le Département de la Seine-Saint-Denis construit justement des collèges écologiques, où on pratique le tri à la cantine et où on forme des éco-collégien·ne·s. Qu’en pensez-vous ?

Carine May : J’ai beaucoup voyagé dans le 93 les dernières années où j’enseignais car j’étais remplaçante. Et les communes (ndlr : qui s’occupent des écoles) n’ont malheureusement pas le budget du Département.

À quoi va ressembler votre prochain film ?
Hakim Zouhani  : À une comédie romantique dans le milieu de l’art ethnique. Dans l’art, et dans l’arnaque…

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