"Je cours Solid’R", des jeunes qui poussent
Depuis septembre 2018, une trentaine de lycéens de Jean-Renoir à Bondy s’investissent sur des courses où ils poussent dans des triporteurs adaptés des personnes handicapées. Quand le sport devient moment de partage...
Comme tous les jeudis soir, un étrange attelage fait le tour du stade Léo-Lagrange. Aya, Damian ou encore Soline, élèves au lycée Jean-Renoir de Bondy, s’entraînent à pousser une « joëlette », un triporteur servant à porter des personnes en situation de handicap. Les habitués des courses sur route ont vu fleurir ce genre d’attelage au cours des dix dernières années, tandis qu’un film sorti en 2016, « De toutes nos forces », avec Jacques Gamblin, popularisait aussi ce genre de moment de sport partagé.
En septembre 2018, Frédéric Tisseau, un professeur d’EPS au groupe scolaire Jean-Renoir, a fondé « Je cours Solid’R », un collectif de course à pied se proposant d’ « embarquer » des handicapés dans des compétitions sur route. Fort d’une trentaine d’élèves, le projet fait appel à la motivation des jeunes gens , car les heures passées à s’entraîner n’intègrent que partiellement leur emploi du temps au lycée. Et il faut croire que la formule marche puisque le groupe ne réunit pas que des férus de la course à pied, loin de là. « Avant, je ne courais pas du tout. Mais avec ce groupe, j’y ai pris goût. J’ai vu le sourire que ce projet donnait aux gens, qu’ils soient handicapés ou pas, et du coup je ne manque pas un entraînement. Je pense vraiment que ces initiatives sont de nature à changer le regard de certaines personnes sur le handicap », témoigne Justine. Cette élève de terminale en est à une dizaine de courses, dont un bon nombre réalisé avec joëlette comme la Course du Grand Paris ou encore la course des Flambeaux, une nocturne pas évidente dans les Yvelines.
Si le dépassement de soi est évidement l’un des buts recherchés, il n’est que la cinquième roue du carrosse dans ce projet : sensibilisation au handicap et dimension inclusive du sport viennent bien avant.
« Ce projet a vraiment un impact sur les élèves. Le moment des visites à l’hôpital ou en IME (Institut Médico-Educatif) les touche toujours beaucoup. Il y a un partage qui se crée à ce moment-là entre les enfants handicapés et les élèves et qui se prolonge ensuite en course », explique Frédéric Tisseau, l’initiateur du projet.
Car le projet se double autant que faire se peut d’une rencontre préalable avec les enfants transportés. Sur l’année scolaire 2018-2019, le collectif a ainsi fait 3 visites dans des centres ou des IME dont celui de Montreuil, avec lequel le lycée a noué les contacts les plus suivis.
Des rencontres effectivement fertiles pour les jeunes gens en construction qui courent ce soir-là sur la piste de Léo-Lagrange. « Une chose que m’a confirmé ce projet, c’est qu’on peut faire beaucoup de choses en étant handicapé. Ce n’est pas parce qu’on est handicapé qu’on a pas de talent ou de personnalité. », souligne ainsi Sarankan, en 1ère.
« Je ne sais pas si ça change notre regard sur le handicap, mais en tout cas, ça nous en rapproche. Moi, ça me fait plaisir de partager un moment de sport avec ces personnes handicapées à travers ce groupe », abonde de son côté Rayane qui se souvient de sa rencontre avec Dimitri, 10 ans, sur la course des Flambeaux.
Diriger une joëlette fait aussi se développer le sens des responsabilités : une fois en course, pas le droit à l’erreur. Or piloter le triporteur – prêté dans le cas de « Je cours Solid’R » par l’association Premiers de Cordée - n’est pas si simple, surtout sur des chemins tortueux ou lors de trails nocturnes. « Une équipe de joëlette, c’est 5 personnes. Une à l’avant, deux sur les côtés et une à l’arrière. C’est exigeant physiquement et aussi au niveau de la concentration. Mais j’aime bien l’aspect travail d’équipe », détaille Aya.
Et ces jeunes coureurs solidaires ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin : en 2020, ils se sont déjà inscrits aux Championnats du monde de joëlette à Rochefort.
L’aventure pourrait même se terminer en mai par un rallye « Bondy vers la mer », que Fred Tisseau aimerait bien offrir à ces élèves attachants, en guise de remerciement.
Un avant-goût de trajet de la flamme olympique, qui traversera tôt ou tard le département à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ? « On n’a pas fait ça pour ça au départ, mais ce serait forcément exceptionnel… Vous imaginez la fierté de ces élèves ou en l’occurrence de leurs successeurs de porter la flamme et de représenter ainsi leur ville et leur département ? », rêve Fred Tisseau à voix haute. Lors de la dernière journée olympique, Je cours Solid’R avait déjà répondu présent à l’appel en ralliant l’INSEP à la place de la Concorde….
En attendant, il reste encore ce soir-là une série de sprints à nos valeureux Bondynois. Mais là encore, la solidarité est de mise : chacun des jeunes s’encourage pour cette dernière salve, celle où le souffle se fait court, où l’acide lactique plombe doucement les cuisses. Si l’exercice s’appelle fractionné, le groupe est lui bien soudé…
Christophe Lehousse
Photos : ©Je cours Solid’R
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